Suppression des enseignements des langues et cultures d'origine : une vraie-fausse annonce ?
Ce n’est que la premier wagon d’un train de mesures qui sera complété d’ici le mois d’avril : le président de la République a dévoilé, hier à Mulhouse, les premières pistes des actions qu’il compte engager pour lutter contre ce qu’il appelle « le séparatisme islamiste ».
Tout au long de ce déplacement, Emmanuel Macron a voulu insister sur le fait que son gouvernement ne cherche pas à combattre l’islam en tant que religion, mais « l’islam politique » : « Dans la République, on ne doit jamais accepter que les lois de la religion puissent être supérieures aux lois de la République. »
La principale annonce faite hier est la suppression annoncée, « partout sur le sol de la République », des Elco (enseignements des langues et cultures d’origine) et leur transformation en Eile (enseignements internationaux de langues étrangères). « Je ne suis pas à l’aise à l’idée d’avoir dans l’école de la République des femmes et des hommes qui peuvent enseigner sans que l’Éducation nationale ne puisse exercer le moindre contrôle. Et nous n’avons pas non plus le contrôle sur les programmes qu’ils enseignent », a déclaré hier le chef de l’État.
Un dispositif plus encadré qu’il n’y paraît
De quoi s’agit-il ? Le dispositif des Elco a été mis en place dans les années 1970, lorsque les enfants des nombreux travailleurs immigrés arrivés en France pendant les Trente glorieuses ont été scolarisés. Des accords bilatéraux ont été conclus entre la France et neuf pays, (Turquie, Espagne, Italie, Portugal, Serbie, Algérie, Tunisie, Maroc et Croatie) entre 1972 et 1991, permettant à chacun de ces pays de mettre à disposition – et de rétribuer – des enseignants chargés de donner des cours, notamment de langue. Il s’agit toujours de cours optionnels, sur le temps périscolaire (en fin de journée après la classe, le mercredi après-midi ou le samedi matin).
Les maires ont un rôle direct à jouer dans l’organisation des Elco. Une note de la Direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) du 22 février 2016 indique que « les horaires des cours sont arrêtés par le directeur de l’école après concertation avec le maire de la commune ». Les cours ont lieu dans les locaux scolaires, précise la Dgesco : « Il appartient au directeur académique des services départementaux de l’Éducation nationale de notifier au maire de la commune l’existence d’un cours d’Elco avant le début de celui-ci. Le maire doit alors mettre à disposition des locaux scolaires adaptés et conformes aux règles de sécurité en vigueur. » Il est en revanche possible que des cours Elco se déroulent hors des locaux scolaires. Mais dans ce cas, précise une circulaire du 29 janvier 2016, « (ils) sortent du cadre Elco géré par l’Éducation nationale ».
Reste à savoir si oui ou non, comme l’affirmait hier le chef de l’État, ces cours ont lieu « sans le moindre contrôle ». Ce n’est en tout cas pas ce que disent les textes officiels. Plusieurs académies ont publié des « guides du professeur Elco », qui ne poussent pas à ce que ces enseignants soient des électrons libres. Ainsi, le guide de l’académie de Caen indique-t-il que l’enseignant Elco est « professeur à part entière et membre de l’équipe pédagogique. (…) Il prend connaissance du référentiel de compétences des enseignants et adapte sa pratique aux exigences de professionnalité attendus. » Les compétences acquises par les élèves dans le cadre de ces cours doivent être évaluées « en fin de CM2 » (circulaire du 24 novembre 2008). L’académie de Reims, quant à elle, publie sur son site internet des fiches destinées aux directeurs d’école et aux enseignants Elco, listant très précisément leurs tâches. On y lit notamment que les directeurs doivent, « tout au long de l’année », « contrôler l’assiduité de l’enseignant » et « prendre connaissance des résultats obtenus par les élèves » ; quant au professeur, il doit, entre autres, « évaluer régulièrement le travail et l’apprentissage des élèves et en transmettre les résultats aux directeurs des écoles » et « respecter les obligations de laïcité et de neutralité ». Le portail Exper de l’académie de Reims indique par ailleurs, sur sa page dédiée aux Elco, que les professeurs mis à disposition par les pays d’origine sont toujours « agréés par le ministre de l’Éducation nationale ».
Il semble donc quelque peu excessif de parler d’absence totale de contrôle – même si des élus ont parfois constaté des dérives.
Une « transition progressive » engagée depuis 2016
Néanmoins, le dispositif a des carences qui ont été pointées depuis longtemps, que ce soit par le Haut Conseil à l’intégration, qui prônait sa suppression en 2013, que par des élus de l’AMF au sein de sa commission éducation et de son groupe de travail Laïcité. La transformation progressive des Elco en Eile est, en réalité, engagée depuis plusieurs années – comme ne s’est pas privée de le rappeler hier l’ancienne ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. C’est à l’été 2016 que la transition a été engagée au niveau national.
À l’époque, le ministère expliquait cette évolution non pas par des problèmes liés au communautarisme, mais par la volonté « de valoriser par une plus-value pédagogique l’apprentissage des langues concernées, tout en s'inscrivant pleinement dans le cadre d'une politique linguistique cohérente et diversifiée ». Les principales évolutions, explique par un exemple un document de l’académie de Versailles, sont que, dans le système Elco, l’enseignant n’était « pas inspecté », qu’il n’était « pas forcément enseignant » dans son pays d’origine et n’avait « pas d’obligation de la maîtrise du français ». Toutes choses qui deviennent obligatoires dans le dispositif Eile. Ce document, datant de novembre 2016, prévoit « la fin des Elco » dans l’académie de Versailles « au plus tard en 2018 ».
Les annonces d’Emmanuel Macron en la matière n’en sont donc pas vraiment – même si les experts se réjouissent ce matin du fait que le président ait, d’une certaine manière, conforté les orientations qui sont celles du ministère depuis plusieurs années. À savoir, par exemple, que « l’enseignement de l’arabe soit pleinement et totalement assumé par l’Éducation nationale, (pour ne pas) prendre le risque de laisser des officines religieuses s’en acquitter », estime par exemple l’ancien ministre l’Éducation nationale Jack Lang dans la presse.
On peut aussi noter que, sur ce sujet précis, le président n’a pas abordé des questions pourtant prégnantes : les allers et retours législatifs sur les rythmes scolaires, qui n’ont pas facilité l'organisation des Elco sur le temps périscolaire. Et la quasi-suppression des emplois aidés, qui a obligé un certain nombre d’associations à abandonner leurs activités, laissant de fait le champ libre à des structures religieuses ou parareligieuses.
Il reste à savoir si les nouvelles annonces du gouvernement, prévues après les élections municipales, aborderont ces questions.
Franck Lemarc
Suivez Maire info sur twitter : Maireinfo2
Sécheresse : un rapport pointe les carences du système de gestion de crise
Rapport Thiriez : cinq chantiers pour réformer la haute fonction publique
Nucléaire : seuls 22 % des riverains de centrales ont retiré leur comprimé d'iodeÂ