Qu'est-ce que l'état de « calamité naturelle » qui vient d'être déclaré, pour la première fois, à Mayotte ?
Par Franck Lemarc
Alors que l'acheminent des secours et des denrées vers Mayotte se met en place progressivement, le gouvernement vient de prononcer l’état de « calamité naturelle exceptionnelle » sur l’île, pour une durée d’un mois. C’est le ministre démissionnaire chargé des Outre-mer, François-Noël Buffet, qui a déclaré hier cet état de « calamité naturelle » sur « l’ensemble du territoire de Mayotte », annonce qui a été confirmée par la publication d’un décret, ce matin, au Journal officiel.
Ce dispositif diffère totalement de l’état de catastrophe naturelle – mais en quoi ?
« Présumer l’urgence »
C’est la première fois que ce dispositif, issu de l’article 239 de la loi 3DS du 21 février 2022, est activé. Cet article dispose que l’état de calamité naturelle peut être déclaré dans une collectivité d’outre-mer « lorsqu'un aléa naturel d'une ampleur exceptionnelle a des conséquences de nature à gravement compromettre le fonctionnement des institutions et présentant un danger grave et imminent pour l'ordre public, la sécurité des populations, l'approvisionnement en biens de première nécessité ou la santé publique ». Il est décrété pour un mois, puis peut être renouvelé par période de deux mois.
Ce que permet ce nouveau dispositif, c’est de « présumer la condition de force majeure ou d’urgence » – ce qui, explique le ministre dans un communiqué, « permet une plus grande réactivité aux autorités locales et nationales tout en allégeant certaines procédures administratives ».
Cette déclaration de l’état de calamité naturelle n’est pas contradictoire avec celle de l’état de catastrophe naturelle, qui peut être déclenché en même temps pour le même territoire. Mais si la déclaration en « catastrophe naturelle » ne vise qu’à déclencher un mécanisme assurantiel particulier, les objectifs de la déclaration en « calamité naturelle » sont tout autres.
Police administrative ou commande publique
En réalité, si l’on se réfère à l’étude d’impact de la loi 3DS, ce dispositif ne crée pas de procédure dérogatoire nouvelle, mais permet simplement de déclencher en une seule fois toutes les mesures dérogatoires déjà existantes en pareil cas. Il existe en effet de nombreuses mesures permettant de déroger au droit commun pour faire face à l’urgence, mais elles supposent que « l’urgence », justement, soit reconnue. Désormais, lorsque l’état de calamité naturelle est déclenché, « la condition légale tenant à l’urgence ou à la force majeure est présumée remplie ».
Lorsque survient une catastrophe particulièrement grave, les autorités doivent prendre un certain nombre de mesures pour rétablir les institutions et préserver l’ordre public. Elles disposent pour ce faire de plusieurs procédures dérogatoires notamment des procédures de police administrative (réquisition de biens, de services ou de personnes) ou encore de commande publique. Par exemple, le Code de la commande publique permet à un acheteur public de résilier un marché « en cas de force majeure ». Mais surtout, pour accélérer les délais concernant les travaux publics d’urgence, il est possible de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence, « lorsqu'une urgence impérieuse résultant de circonstances extérieures et qu'il ne pouvait pas prévoir ne permet pas [à l’acheteur]de respecter les délais minimaux exigés par les procédures formalisées » (article R2122-1 du Code de la commande publique). Cette procédure de passation, très utilisée pendant la crise du covid-19, peut s'envisager, par exemple, pour la réfection de voies endommagées après une catastrophe, la consolidation d’ouvrages menaçant de s’effondrer, le rétablissement des réseaux, la fourniture de denrées essentielles ou de produits médicaux...
Dans tous ces cas, il ne peut être fait recours à ces procédures que face à une « urgence impérieuse » … qu’il faut pouvoir prouver. Or les autorités locales ont en général autre chose à faire lorsque survient une catastrophe. Par ailleurs, après coup, les autorités « peuvent être soumises à un risque de contentieux, notamment indemnitaire », peut-on lire dans la fiche d’impact, « leur imposant de justifier, au cas par cas, que la condition légale posée à la mise en œuvre des procédures dérogatoires était bien remplie ».
Tout cela crée une situation « d’insécurité juridique » qui peut faire perdre du temps aux autorités, voire entraver leur action « dans des situations de crise qui nécessitent pourtant une rapidité dans la prise de décision et une sérénité de l’action publique ».
« Centraliser » en un seul acte
C’est ce problème que vise à régler la nouvelle procédure : dans l’immédiat après-crise, la déclaration de calamité naturelle permet de « présumer une situation d’urgence ou de force majeure, afin de centraliser le débat relatif à l’existence de cette condition légale sur un seul et unique acte ».
Autrement dit, dès lors que ce décret a été pris par le Premier ministre, il constitue une preuve suffisante du caractère « urgent » de la situation sur le territoire concerné, et justifie donc le déclenchement des procédures dérogatoires permises en matière de police administrative, de commande publique, d’environnement et de sécurité sanitaire.
La fiche d’impact de cette disposition précise toutefois que cette déclaration de calamité naturelle ne constitue en aucun cas « un blanc-seing aux personnes publiques qui en bénéficient pour s’affranchir des règles prévues par chacune des procédures auxquelles elles ont recours. En effet, cette présomption ne joue qu’autant qu’elle vise la mise en œuvre de procédures dérogatoires aux seules fins de protéger les populations, rétablir le fonctionnement normal des institutions et préserver l’ordre public, pris en ses différentes composantes ». Dit autrement, « présomption d’urgence » ne veut pas dire « pleins pouvoirs » !
Blocage des prix
Un autre décret paru ce matin instaure le blocage des prix des produits de grande consommation à Mayotte, pour éviter la spéculation. Sont notamment concernés l’eau minérale, les produits alimentaires, les piles, les produits d’hygiène et les outils.
Selon le ministre chargé des Outre-mer, d’autres mesures pourraient être annoncées aujourd’hui par Emmanuel Macron, mesures réglementaires ou « législatives » – ce qui supposerait d’attendre la rentrée parlementaire, sauf à convoquer le Parlement pendant la trêve des confiseurs. Ces mesures seraient relatives à la reconstruction et pourraient par exemple concerner les permis de construire.
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