Nouvelle-Calédonie : les élections du Congrès et des assemblées de province officiellement repoussées à décembre 2024
Par Franck Lemarc
Le gouvernement a engagé, en janvier, l’examen de deux projets de loi relatifs à la Nouvelle-Calédonie : l’un pour reporter la tenue des élections au Congrès (le Parlement local) et aux assemblées de province ; l’autre, constitutionnel, pour modifier la composition de corps électoral dans l’archipel.
« Dégel » de la liste électorale spéciale
Ces élections auraient dû se tenir au mois de mai, puisque normalement, le mandat des élus aux assemblées provinciales expire le 12 mai, soit cinq ans après les précédentes élections. Mais le gouvernement souhaitant modifier la composition du corps électoral pour corriger certaines « distorsions », il a proposé le report de quelques mois de ce scrutin afin que la réforme puisse aboutir.
Rappelons que la Nouvelle-Calédonie, depuis les accords de Nouméa de 1998, a la particularité d’avoir non pas une mais deux listes électorales : la liste générale, qui ouvre le droit de participer aux élections nationales (présidentielle, législatives, etc.) ; et la liste spéciale, qui permet de voter aux élections provinciales. Pour être inscrit sur la liste spéciale, plus restreinte que la liste générale, il fallait remplir un certain nombre de conditions fixées en 1998 : à l’époque, notamment, il fallait être établi en Nouvelle-Calédonie depuis au moins dix ans.
En 2007, il a été décidé de « geler » cette liste spéciale en l’état où elle était en 1998. Elle n’a donc pas bougé depuis et reste bloquée à environ 178 000 électeurs, à comparer aux presque 221 000 que compte la liste générale.
Cette différence est le nœud du problème : le gel de la liste aux chiffres de 1998 signifie que tout citoyen français qui s’est installé en Nouvelle-Calédonie se voit privé du droit de participer aux élections provinciales, même s’il y réside constamment depuis 26 ans, voir s’ils y sont nés. En 2007, il n’y a avait qu’environ 8 000 électeurs inscrits sur la liste générale mais ne pouvant participer aux élections provinciales. Aujourd’hui, ce nombre dépasse les 42 000. Une situation que l’exécutif juge « intenable ».
D’où la décision de lancer une réforme, par le biais d’un projet de loi constitutionnelle, et la nécessité subséquente de reporter les élections de quelques mois.
Les élections reportées
Sur ce dernier point, les choses se sont relativement bien passées : le projet de loi portant report des élections, déposé fin janvier au Sénat, a été adopté en une passe : si le Sénat a fait quelques modifications mineures sur le texte gouvernemental, l’Assemblée nationale a adopté le texte du Sénat sans modification, ce qui a évité de rallonger les débats. Le texte adopté a été validé par le Conseil constitutionnel le 11 avril, et promulgué dans la foulée. Il est publié ce matin au Journal officiel.
Ce texte dispose que les élections des membres du Congrès et des assemblées de province devront avoir lieu au plus tard le 15 décembre prochain, et que les mandats en cours des élus sont prolongés en conséquence, jusqu’à la première réunion des assemblées nouvellement élues.
La modification de la Constitution loin d’être acquise
Les choses s’annoncent un peu plus compliquées pour la proposition de loi constitutionnelle déposée au même moment par le gouvernement, et qui a été adoptée par le Sénat le 2 avril.
Ce texte vise à pérenniser le « dégel » de la liste électorale spéciale à toutes les élections provinciales à venir et non uniquement pour le scrutin de 2024. Il dispose que cette liste serait désormais ouverte à tours les électeurs inscrits sur la liste générale dès lors qu’ils sont nés en Nouvelle-Calédonie ou y sont domiciliés depuis plus de dix ans.
Cette modification aurait pour conséquence, indique le gouvernement, d’ouvrir la liste spéciale à environ 25 000 personnes supplémentaires, dont 12 000 personnes nées sur l’archipel. Le texte prévoit que cette modification entre en vigueur le 1er juillet prochain, si elle est adoptée – comme toute modification de la Constitution – par le Parlement réuni en Congrès à Versailles. Toutefois, si entretemps « un accord politique ou institutionnel » est trouvé, sur place, par les partenaires de l’accord de Nouméa, et que cet accord est validé par le Conseil constitutionnel, cet accord rendra caduc le projet de loi. Le texte donnait enfin la possibilité au gouvernement, en cas d’accord local, de reporter à nouveau, par simple décret, les élections jusqu’au 30 novembre 2025.
Le Sénat, lors de son examen de ce texte, a modifié ce dernier, en donnant au Parlement français, et non au Conseil constitutionnel, le rôle de valider « l’accord politique et institutionnel » qui pourrait être trouvé localement. Mais surtout – et c’est un camouflet pour le gouvernement – il est revenu sur le dispositif permettant au gouvernement de reporter les élections à 2025, jugeant que ce dispositif « contournait le Parlement ». Dans la version adoptée par le Sénat, tout nouveau report demanderait l’adoption par le Parlement d’une nouvelle loi organique à la place du décret prévu.
Pour que le président de la République puisse réunir le Parlement en Congrès, il faut maintenant que l’Assemblée nationale, début mai, adopte ce texte exactement dans les mêmes termes que le Sénat… et rien n’est moins sûr.
Manifestations
Ces débats se déroulent sur fond de tensions en Nouvelle-Calédonie, où les oppositions sont vives entre le camp « loyaliste », qui défend le dégel du corps électoral, et les indépendantistes qui y sont farouchement opposés. Samedi dernier, deux manifestations à peu près égales en nombre se sont déroulées, en même temps, à Nouméa, chacune réunissant une quinzaine de milliers de participants – ce qui est considérable par rapport à la population de l’archipel. D’un côté, les loyalistes menés par l’ancienne ministre Sonia Backès ont défilé, drapeaux tricolores en main, aux cris de « Ici c’est chez nous » ou « Fiers d’être Calédoniens, fiers d’être Français ! ». En face, les indépendantistes, sous les bannières du FNLKS, ont défendu l’idée, comme l’a expliqué l’un des dirigeants du Front, que « le dégel du corps électoral nous mène à la mort ».
« L’accord politique et institutionnel » entre les partenaires de Nouméa, on le voit, semble plus éloigné que jamais.
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