Maire-info
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Édition du vendredi 8 novembre 2024
Laïcité

Un tribunal se prononce à nouveau sur la question des menus de substitution à la cantine

Le tribunal administratif de Lyon vient de rendre une décision par laquelle il enjoint une commune à rétablir les menus de substitution à la cantine scolaire, menus qu'elle aurait supprimés en 2016... ce que le maire conteste formellement. Explications.  

Par Franck Lemarc

Le sujet est toujours extrêmement délicat : où placer le curseur entre le principe de laïcité et l’intérêt supérieur de l’enfant ? Une fois encore, cette question est arrivée devant un tribunal – qui a rendu une décision sans surprise, conforme à ce que le Conseil d’État avait déjà statué en 2020. Sauf que les arguments du tribunal sont jugés, en l'espèce, « sans fondement »  par le maire.

« Esprit de laïcité » 

Le litige dont il est question opposait une mère de famille à la commune de Tassin-la-Demi-Lune, dans la métropole de Lyon. Le maire de la commune, à l’occasion du renouvellement du délégataire de la cantine scolaire, en 2016, a décidé qu'il n'y aurait pas de menus de substituion (destinés à permettre aux enfants de confession musulmane de pouvoir fréquenter la cantine) dans le nouveau contrat. Le maire avait déclaré, à l’époque, que le renouvellement de la délégation se ferait « dans un esprit de laïcité ».  

Quant à la plaignante, mère de deux enfants scolarisés dans la commune, elle a demandé l’annulation de cette décision, par un courrier adressé au maire en janvier 2022. Sans réponse de la commune (ce qui vaut refus implicite), elle a décidé d’attaquer la décision devant le tribunal administratif. Reste à savoir s'il y a bien eu une « décision », justement : le maire a-t-il vraiment mis fin à une pratique existant auparavant ? Lui, en tout cas, est formel : « Cet état de fait [les menus de substitution] n'a jamais existé », écrit-il dans un communiqué publié avant-hier. Précisant même que « la ville a fait le choix depuis toujours du menu unique (...), à la lumière des valeurs de laïcité et de neutralité ».

Jurisprudence Chalon

Sur le fond, le débat n’est pas nouveau : la question de savoir si le fait de servir des menus de substitution encourage le « séparatisme »  a déjà été discutée bien des fois – certains parlementaires ayant eu l’occasion d’enfourcher ce cheval de bataille. Mais la question est complexe : si le fait de déterminer des menus pour des raisons confessionnelles ou religieuses pose un réel problème au regard du principe de laïcité, il faut également tenir compte de la nécessité à offrir un repas équilibré à tous les enfants qui fréquentent la cantine, dès lors que la commune a fait le choix d’en avoir une, ce qui n’est, rappelons-le, nullement obligatoire.

Le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de statuer sur ce point, et le Conseil constitutionnel lui-même a fait référence à cette décision en 2022, lors du débat sur le « burkini ». Il s’agit de ce que l’on appelle « la jurisprudence Chalon » : le Conseil d’État, face à la même décision du maire de Chalon-sur-Saône de mettre fin aux menus de substitution dans les cantines de la ville, avait rendu un jugement très mesuré. D’une part, il avait rappelé que les menus de substitution ne sauraient être rendus obligatoires dans les cantines scolaires, qui sont un service public facultatif (à la différence, par exemple, des cantines de prisons), et que les usagers n’ont aucun droit à exiger de tels menus. Mais en revanche, qu’il est tout à fait possible « d’adapter »  les menus pour que tous les enfants puissent bénéficier d’un repas : « Ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d’égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que (les) collectivités territoriales puissent proposer de tels repas », avait conclu le Conseil d’État. En résumé : ni obligation ni interdiction de proposer des menus de substitution. 

« Erreur de droit »  sur le motif

Le tribunal administratif de Lyon, dans l’affaire de la cantine de Tassin-la-Demi-Lune, a rendu un jugement tout à fait similaire. 

Il a donc commencé par rappeler qu’il n’y a « aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d'un service public de restauration scolaire de distribuer à ses usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, et aucun droit pour les usagers qu'il en soit ainsi ». Pour ajouter dans la foulée que « ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d'égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que ces mêmes collectivités territoriales puissent proposer de tels repas ». 

Lorsque les collectivités définissent les règles d’organisation de la restauration scolaire, poursuit le juge administratif, « il leur appartient de prendre en compte l'intérêt général qui s'attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public, au regard des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont disposent ces collectivités ». 

Pour le tribunal, il n'y a aucun doute : le maire a supprimé en 2016 les menus de substitution. Il écrit même que la commune « ne peut sérieusement soutenir qu'aucune décision supprimant les menus de substitution n'a été prise en 2016 ». Pourtant, dans le communiqué publié hier, la commune le nie formellement. 

Le tribunal a donc rendu son jugement sur la base de la certitude que le maire a supprimé ces menus, et pour des raisons tenant à la laïcité. Pour le juge, ce n'est pas la décision elle-même qui est illégale, mais le motif de la décision. En supprimant ces menus de substitution pour un motif de laïcité, le maire « a commis une erreur de droit ». La décision est donc illégale, et le tribunal exige que la commune abroge la décision prise en 2016.

En d’autres termes : si une commune décide de ne pas servir de menus de substitution, elle est dans son droit, et aucun usager ne pourra l’obliger à agir autrement. Mais si la pratique existe, la commune ne peut pas la supprimer au nom du principe de laïcité : les seuls arguments recevables pour modifier les menus seraient, par exemple, relatifs « aux moyens humains et financiers »  dont dispose la commune. Il en avait été de même en 2020, le Conseil d’État considérant que « le gestionnaire d’un service public facultatif ne peut décider d’en modifier les modalités d’organisation et de fonctionnement que pour des motifs en rapport avec les nécessités du service ».

Le maire de Tassin-la-Demi-Lune n'est absolument pas convaincu, dans la mesure où il affirme qu'on lui demande d'abroger une décision qu'il n'a jamais prise. Il a annoncé qu’il ferait appel de la décision et était prêt à aller devant le Conseil d’État. Reste à savoir si celui-ci jugera que les conditions sont différentes de celles qui l'ont conduit à rendre la décision relative à Chalon-sur-Saône. 

Télécharger la décision du tribunal administratif de Lyon.

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