Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 6 septembre 2024
Gouvernement

Réactions très contrastées à la nomination de Michel Barnier à Matignon

Les associations d'élus ont accueilli la nomination de Michel Barnier à Matignon avec un certain soulagement, dans la mesure où cela met fin, au moins provisoirement, à la situation de blocage des institutions. Dans le monde politique, les réactions sont beaucoup plus tranchées. 

Par Franck Lemarc

L’arrivée de Michel Barnier marque le retour, pour la première fois depuis Jean Castex en 2020, d’un ancien président d’exécutif local à Matignon : ni Élisabeth Borne ni Gabriel Attal ne l’avaient été. Ce retour a été salué notamment par l’association Régions de France, dans un communiqué étonnamment chaleureux, où Michel Barnier est qualifié « d’homme politique particulièrement expérimenté (…) (ayant) eu à cœur d’œuvrer pour l’intérêt général à chaque échelon de l’action publique ». L’association « forme le vœu que ses expériences d’élu de terrain, sa solide pratique de l’action publique locale, nationale et européenne permettent enfin de restaurer un dialogue constructif et apaisé entre l’État et les acteurs publics locaux ». Même tonalité enthousiaste à Départements de France, dont le président, François Sauvadet, ne tarit pas d’éloges sur X : Michel Barnier est « l’homme de la situation », il « correspond au portrait-robot que j’avais dressé à Emmanuel Macron lors de notre entretien ». « Un ancien président de conseil général nommé à Matignon, c’est une chance pour la France », conclut François Sauvadet. 

L’AMF, elle, s’est montrée plus mesurée dans le communiqué qu’elle a publié hier : ce n’est pas la personne de Michel Barnier qu’elle salue, mais sa nomination, dans la mesure où celle-ci « met fin à la situation du ‘’Gouvernement démissionnaire’’ qui place le pays et les collectivités locales dans l’incertitude ». Si l’AMF souhaite à Michel Barnier de « réussir à mettre en œuvre des mesures concrètes pour surmonter les défis auxquels la France est confrontée », elle pose ses priorités : « La liberté locale, qui implique les moyens financiers et la capacité juridique d’agir des collectivités, reste prioritaire, car elle est une source d’efficacité de l’action publique et de vitalité démocratique. Le nouveau gouvernement doit établir un dialogue de confiance pour relancer la décentralisation et rompre avec les discours stigmatisant les collectivités locales. »  L’association se dit « à la disposition du nouveau Premier »  pour « y travailler ensemble ». 

Même ton à Intercommunalités de France, qui appelle à « un changement de méthode, fondé sur un dialogue et un esprit de concertation renouvelé entre l’État et les représentants des collectivités ». IdF nourrit toutefois quelques espoirs, eu égard à la personnalité du nouveau Premier ministre : « L’association ne doute pas qu’avec son expérience des collectivités locales, Michel Barnier saura affirmer qu’en matière de finances publiques, le combat ne réside pas dans une opposition stérile entre État et collectivités, mais dans l’émergence de solutions partagées ». 

Réactions politiques à gauche et à droite

Le choix de Michel Barnier laisse entrevoir la possibilité d’un gouvernement qui ne serait pas immédiatement renversé par les députés, contrairement à ce qui se serait vraisemblablement passé en cas de nomination de Lucie Castets, de Bernard Cazeneuve ou de Xavier Bertrand. En effet, le Rassemblement national, qui apparaît désormais comme l’arbitre de l’Assemblée nationale, étant le groupe le plus nombreux, a fait savoir au chef de l’État qu’il ne censurerait pas Michel Barnier avant de voir ce qu’il a à proposer : les députés RN « attendront la déclaration de politique générale de Michel Barnier pour se positionner », a déclaré Marine Le Pen hier. Autrement dit, le nouveau gouvernement risque d’être, en quelque sorte, prisonnier des décisions du RN : ou le Premier ministre donne, dès son discours de politique générale, des gages au RN, ou il tombera aussitôt. 

À gauche, les réactions à cette nomination ont été violentes : « Déni de démocratie », « démocratie piétinée », « bafouée », « front républicain transformé en affront républicain », les formules ont fusé toute la soirée d’hier. Le Nouveau Front populaire, qui a fait mine jusqu’au bout de continuer de croire que le chef de l’État pourrait nommer Lucie Castets à Matignon, dénonce aujourd’hui le fait que les deux partis qui vont se partager les postes au gouvernement sont précisément ceux qui ont perdu les dernières élections européennes et législatives – rappelons que les Républicains, dont est issu le Premier ministre, n’ont que 47 députés dans l’hémicycle. 

Par ailleurs, la gauche fustige le fait que le chef de l’État, selon elle, « se soumet »  au RN. Même le modéré François Hollande s’en est ému hier : si Michel Barnier a pu être nommé, a-t-il déclaré, c’est « parce que le RN a donné une forme de quitus ». « On sait qui décide, a quant à elle dénoncé Marine Tondelier pour les Écologistes : elle s’appelle Marine Le Pen. » 

Côté Républicains, on se félicite bien sûr de la nomination d’un des leurs, Laurent Wauquiez, patron des députés LR, saluant « la nomination d’un homme de grande qualité qui à tous les atouts pour réussir ». Annie Genevard, autre porte-parole du parti, rappelle que Michel Barnier porte « les priorité portées par notre famille politique », à savoir le « pacte législatif »  présenté par les LR en juillet (lire Maire info du 23 juillet) , qui contient un « pack »  de 13 projets de loi que les Républicains souhaitent voir adoptés dans les meilleurs délais. 

Les macronistes prennent leurs distances

La surprise vient, finalement, de la réaction du parti présidentiel, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas fait preuve d’un grand enthousiasme face à la nomination de Michel Barnier. Sur X, le parti Renaissance s’est fendu d’un communiqué glacial et particulièrement laconique : « Il n’y aura pas de censure automatique mais des exigences sur le fond, sans chèque en blanc », annonce le parti, qui annonce simplement qu’il va « présenter ses priorités programmatiques au Premier ministre ». « Pas de chèque en blanc », c’est-à-dire que le parti présidentiel conditionnera son soutien au nouveau gouvernement… dont on peut pourtant d’ores et déjà parier que plusieurs de ses dirigeants seront membres. 

Autre témoin de ce peu d’enthousiasme du parti Renaissance, la lettre de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet au président de la République, envoyée hier. Alors que la session ordinaire du Parlement doit démarrer le 1er octobre, Yaël Braun-Pivet demande instamment au chef de l’État de convoquer dès que possible une session extraordinaire – ce qu’il est le seul à pouvoir faire. « Le Premier ministre doit en effet pouvoir se présenter devant la représentation nationale pour exposer ses priorités. »  Cette demande semble aller dans le même sens que le communiqué de Renaissance, qui demande à voir avant de décider de son soutien. Au passage, la présidente de l’Assemblée nationale liste un certain nombre de textes dont elle souhaite que l’examen reprenne, comme celui sur la régulation des meublés de tourisme. Une façon, comme a tenté de le faire Gabriel Attal hier lors de la passation de pouvoirs, d’essayer d’imposer au Premier ministre un certain nombre de priorités. 

Le nouveau chef du gouvernement va donc devoir gouverner en tentant de trouver un équilibre entre le « pacte législatif »  fixé par son propre parti et les appels du pied des macronistes, avec, suspendue au-dessus de sa tête, l’épée de Damoclès d’une censure soutenue par le RN. 

La crise politique est loin d’être terminée. 

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2