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Édition du mercredi 11 septembre 2024
Environnement

Hydrocarbures : la limitation du réchauffement climatique peut motiver un refus de permis 

Par un arrêt du 24 juillet, le Conseil d'État a jugé que l'administration peut refuser un permis de recherche d'hydrocarbures en se fondant sur le motif d'intérêt général de limitation du réchauffement climatique. Une décision qui pourrait ouvrir de nombreuses possibilités, au-delà du droit minier.

Par Caroline Reinhart

« Historique »  pour l’avocat Arnaud Gossement, « à marquer d’une pierre blanche »  pour nos confrères d’Actu Environnement… Au cœur de l’été, la plus haute juridiction administrative a rendu un arrêt qui devrait bousculer les pratiques en matière de droit minier – et peut-être même au-delà. 

Depuis la loi Transition énergétique de 2015 jusqu’à la loi Climat et résilience de 2021, en passant par les accords de Paris du 12 décembre 2015, l’État français s’attache à réduire la part des énergies fossiles dans son mix énergétique, tout comme, plus globalement, ses émissions de gaz à effet de serre. Des mesures, accords et prises de position qui portent peu à peu leurs fruits dans la jurisprudence administrative, semble indiquer la décision du Conseil d’État du 24 juillet dernier. 

Des choix de politique énergétique...

À l’origine de l’affaire, la demande de la société European Gas Limited, formalisée en 20l4, de délivrance d’un permis exclusif de recherches d’hydrocarbures liquides ou gazeux – dit « permis Bleue Lorraine Nord ». Une demande rejetée en 2017 par la ministre de l’Environnement. En 2020, le tribunal administratif de Strasbourg annule cette décision de refus. La ministre se tourne alors vers la cour administrative d’appel (CAA) de Nancy, qui rejette son recours par un arrêt du 29 décembre 2022, contre lequel elle se pourvoit en cassation. C’est donc 10 ans plus tard qu’intervient le Conseil d’État, qui par sa décision, renforce la portée de l’objectif de limitation du réchauffement climatique dans la délivrance des permis de recherche d’hydrocarbures, en se référant à la notion plus large de « motif d’intérêt général »  pouvant justifier le refus de tels permis. 

Pour ce faire, la Haute juridiction rappelle en premier lieu les dispositions du Code minier, selon lesquelles « les travaux de recherches ou d’exploitation minière doivent respecter (…) les contraintes et les obligations nécessaires à la préservation de la sécurité et de la salubrité publiques, de la solidité des édifices publics et privés, à la conservation des voies de communication, de la mine et des autres mines, des caractéristiques essentielles du milieu environnant, terrestre ou maritime, et plus généralement à la protection des espaces naturels et des paysages, de la faune et de la flore, des équilibres biologiques et des ressources naturelles (…), ainsi que des intérêts agricoles des sites et des lieux affectés par les travaux et les installations afférents à l’exploitation. ». 

Puis, énonce que « l’État est seul habilité à délivrer des autorisations permettant d’explorer et d’exploiter les ressources naturelles du sous-sol relevant du régime des mines », et que « ce régime ne confère aucun droit à l’attribution d’un permis exclusif de recherches pour les opérateurs qui en font la demande alors même qu’ils justifieraient des capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien de tels travaux ». 

... aux traductions juridiques concrètes

Par conséquent, précise le Conseil d’État, « lorsque l’administration est saisie d’une demande tendant à la délivrance d’un tel permis, elle peut la rejeter en se fondant sur un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de l’autorisation en cause. S’agissant des permis de recherches d’hydrocarbures, la limitation du réchauffement climatique par la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation des énergies fossiles constitue un tel motif. ».

En l’occurrence, pour refuser le permis sollicité par la société European Gas Limited, la ministre de l’Environnement « s’est fondée sur les choix de politique énergétique de la France résultant, d’une part, de ses engagements dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015 et, d’autre part, des orientations et objectifs de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte tendant notamment à promouvoir le développement des énergies renouvelables et à réduire les consommations d’énergie fossile ». Le Conseil d’État estime ainsi que la CAA a commis une erreur de droit « en jugeant que la ministre ne pouvait rejeter la demande de la société European Gas Limited au seul motif que le projet méconnaissait les objectifs de cette politique énergétique ». 


Accéder à l'arrêt du Conseil d’État du 24 juillet (n° 471780).
 

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