Création ou extension d'aérodromes : les collectivités seront consultées deux fois en cas de procédure d'expropriation
Par Franck Lemarc
La loi Climat et résilience prévoit des dizaines de décrets d’application qui, au fil des mois, sont distillés par le gouvernement. Le dernier en date concerne l’article 146 de la loi : « Les projets de travaux et d'ouvrages visant à créer ou à étendre une aérogare ou une piste pour augmenter les capacités d'accueil des aéronefs, des passagers ou du fret d'un aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique ne peuvent être déclarés d'utilité publique en vue d'une expropriation (…) s'ils ont pour effet d'entraîner une augmentation nette, après compensation, des émissions de gaz à effet de serre générées par l'activité aéroportuaire par rapport à l'année 2019. » Ce même article de loi prévoit que les collectivités locales, dans des conditions fixées par décret, devront être « consultées » sur ces projets si leur territoire « subit l’influence des aérodromes concernés ».
Dispositif a minima
Cet article est un lointain avatar d’une des propositions de la Convention citoyenne sur le climat (celle dont le président Macron avait promis d’appliquer toutes les propositions « sans filtre » ) : la convention avait demandé (proposition SD-E3) « l’interdiction de la construction de nouveaux aéroports et l’extension des aéroports existants ». En lieu et place de cette interdiction pure, le gouvernement a choisi une voie moins radicale : les exploitants d’un aéroport qui serait créé ou agrandi devront désormais prouver que cette création ou cette extension n’a pas d’impact sur les émissions globales de gaz à effet de serre.
Mais attention, ce dispositif ne sera mis en œuvre que lorsque les travaux prévus nécessiteront une expropriation forcée. Cela réduit assez largement la portée de ces dispositions, puisque les principaux projets d’extension aéroportuaires actuellement à l’étude ne prévoient aucune procédure d’expropriation foncière… et n’entrent donc pas dans le champ du dispositif.
Le décret paru hier fixe, d’une part, les données qui doivent être prises en compte pour vérifier si une opération accroît, ou non, les émissions de gaz à effet de serre (GES). Une étude devra être réalisée pour mesurer « les émissions générées par l’activité aéroportuaire en 2019 » (année de référence), et présenter des « hypothèses d'évolution des émissions des aéronefs prenant en compte l'amélioration de leur efficacité énergétique, l'incorporation de carburants durables d'aviation et le recours à de nouveaux vecteurs énergétiques » ainsi qu’une évaluation « des émissions de gaz à effet de serre générées par l'activité aéroportuaire à compter de la date prévisionnelle d'achèvement de l'opération ».
Mais ce que les élus doivent surtout retenir, c’est que lorsqu’un exploitant demande à faire déclarer d’utilité publique un projet de création ou d’extension d’un aéroport, le préfet de département devra « saisir pour avis », dans les deux mois, les collectivités et EPCI concernés. À savoir : ceux « dans le ressort duquel se situe l’aérodrome concerné », ceux qui se situent dans le paramètre du plan d’exposition au bruit (PEB) de l’aérodrome concerné, et enfin ceux qui sont situés dans le périmètre du PGS (plan de gêne sonore).
Ces collectivités et EPCI auront à leur tour deux mois pour rendre un avis.
Démarche « inflationniste »
Lors de l’examen de ce texte par le Conseil national d’évaluation des normes (Cnen), le 5 mai dernier, les représentants des élus ont, une fois de plus, regretté de ne pas avoir été consultés au moment de la rédaction du décret, alors que les collectivités sont concernées « à double titre », « en tant qu’autorités de consultation préalable et en tant que propriétaires d’aérodromes ». Les élus ont estimé pour le moins paradoxal que le gouvernement ait prévu de consulter les collectivités dans le cadre des expropriations menées lors de ces opérations sur les aéroports, sans avoir considéré « pertinent et opportun de les associer à l’élaboration de (ces) dispositions ». Comme sur bien d’autres textes parus ces derniers mois, les élus voient là « le zèle déployé par les administrations pour accélérer la publication des textes d’application en fin de mandature ». Cette « précipitation » dénoncée par l’AMF à de nombreuses reprises nuit, in fine, « à l’effectivité des mesures prises par le gouvernement ».
Les représentants des élus ont pointé une autre incohérence de ces dispositions : d’une part, le décret prévoit que les collectivités et groupements devront être consultés et auront deux mois pour rendre leur avis ; mais, d’autre part, l’article 122-1 du Code de l’environnement prévoit, pour tout projet ayant un impact sur l’environnement, une « évaluation environnementale » qui inclut, également, une consultation des collectivités territoriales.
Celles-ci vont donc devoir se prononcer deux fois sur le même projet, dans le cadre de deux procédures différentes, l’une déjà prévue par le Code de l’environnement et l’autre dans le cadre du nouveau décret publié hier. Les représentants des élus, au Cnen, se sont permis de « douter de l’efficacité » de ce dispositif « qui peut induire des risques de confusion, une collectivité devant se prononcer plusieurs fois au titre d’un même projet », ce qui aura, de surcroît, pour conséquence de « surcharger les services locaux au titre d’une démarche que l’on peut qualifier d’inflationniste ».
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2