Apprentissage : la Cour des comptes pointe les conséquences délétères de la réforme de 2018
Par Franck Lemarc
« Une voie en plein essor, un financement à définir ». Le titre du rapport de la Cour des comptes publié hier résume parfaitement le contenu du document : la formation en alternance et l’apprentissage ont connu une hausse « inédite », mais le système existant mène à « un déséquilibre financier préoccupant » de l’organisme France compétences.
« Effets d’aubaine »
L’objet du rapport est la formation en alternance dans son ensemble, c’est-à-dire à la fois l’apprentissage et les contrats de professionnalisation. Le système a connu de profondes évolutions depuis la loi Pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018, qui a mené à la création de l’organisme national France compétences en 2019 et à la dérégulation de la création des CFA (Centres de formation d'apprentis). La réforme du financement de l’apprentissage est entrée en vigueur au 1er janvier 2020. Cette réforme a été notamment marquée par une recentralisation du système, auparavant géré par les régions – recentralisation que Régions de France, quatre ans plus tard, juge « désastreuse ».
La Cour des comptes rappelle que le nombre de jeunes en alternance a quasiment doublé entre 2016 et 2021, passant de 438 000 à près de 800 000. Si les contrats de professionnalisation se sont « effondrés » (- 57 %) sur la période, les entrées en apprentissage « ont augmenté de 98 % entre 2019 et 2021 », ce qui semble en grande partie dû aux « aides exceptionnelles versées aux employeurs » face à la crise du covid-19. Ces aides ayant été prolongées, comme l’a annoncé le gouvernement en mai dernier, « les entrées en apprentissage resteront vraisemblablement à un niveau élevé », prévoit la Cour des comptes. Celle-ci relève également « une évolution du profil des apprentis », la part des apprentis préparant un diplôme de niveau inférieur au bac diminuant de 63 à 49 %. Cette recomposition, note la Cour, « ne correspond pas aux objectifs historiquement associés à la politique de l’apprentissage, qui jusqu’à présent visait à améliorer l’insertion professionnelle des jeunes présentant les plus bas niveaux de qualification » .
Dans un communiqué publié dans la foulée, hier, Régions de France ne peut qu’abonder dans le même sens : « Ce rapport valide l’analyse maintenue contre vents et marées par les régions depuis la réforme de 2018 et la désastreuse recentralisation de la compétence : l’augmentation des entrées en apprentissage est d’abord due aux effets d’aubaine et aux aides exceptionnelles versées aux employeurs. Surtout, la réforme ne bénéficie pas à ceux qui ont le plus de difficultés à s’insérer : les jeunes de niveau bac et infrabac, aujourd’hui minoritaires dans les effectifs d’apprentis. »
« Profonde dégradation financière »
La Cour se penche ensuite sur le financement des centres de formation (CFA). Depuis la création de France compétences, « instance unique de gouvernance nationale de la formation professionnelle et de l’apprentissage », les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) ont été transformés en « opérateurs paritaires de compétences » (Opco), chargés de financer les CFA, dont la création a été dérégulée. L’un des résultats de cette dérégulation a été « la croissance du coût des formations » et « des écarts injustifiés entre formations de même niveau et de même domaine ».
Les dépenses consacrées à l’apprentissage s’envolent : de 5,5 milliards d’euros en 2018, elles sont passées à 11,3 milliards en 2021, notamment depuis 2021, une aide exceptionnelle aux employeurs d’apprentis de quelque 4 milliards d’euros a été mise en place. Conjuguée à la baisse des recettes de France compétences, liées au covid-19, cette hausse des dépenses « a fortement contribué au déficit » de l’organisme (3,2 milliards d’euros en 2021), qui ont obligé l’État à lui verser une aide exceptionnelle. Malgré ce soutien, « de nouvelles difficultés de trésorerie » sont à attendre dès cet été, redoute la Cour, qui parle d’une « profonde dégradation financière », non soutenable à long terme. Les magistrats proposent un certain nombre de pistes pour augmenter les recettes (suppression des exonérations de taxe d’apprentissage, par exemple). « Une augmentation de la contribution des entreprises, comme la création d’une subvention annuelle de l’État à France compétences, pourraient également être envisagées. »
Concertation annuelle
La Cour des comptes estime enfin que la dérégulation de la création des CFA a conduit à la création d’une offre pas forcément adaptée « aux besoins des entreprises et des territoires », ce qui était moins le cas lorsque l’offre de formation en apprentissage était « pilotée par les régions ». Les « très nombreux CFA » qui se sont créés sont aujourd’hui « principalement positionnés sur le segment des formations tertiaires et supérieures au niveau bac + 2 ». Ce qui provoque un risque de voir « fragilisées les formations peu attractives, pourtant nécessaires ». La Cour recommande donc de mettre en place « une concertation entre les principaux acteurs » pour « identifier et soutenir les formations moins rentables mais correspondant à des besoins de main-d’œuvre des entreprises ».
Régions de France se félicite que la Cour des comptes valide les positions que l’association défend depuis la réforme et se dit « disponible » pour mettre en œuvre les recommandations de la Cour. « Sans revenir à la gouvernance d’avant 2018, les régions demandent à ce que leur soit confiée la maîtrise de la carte des formations initiales de la voie professionnelle, sous statut scolaire comme par l’apprentissage. » Quant à la proposition d’organiser, sous pilotage des régions, une concertation annuelle avec les Opco et les branches professionnelles, elle « va dans le bon sens », juge Régions de France. L’association en profite pour rappeler au passage que les enveloppes « résiduelles » versées France compétences (180 millions d’euros pour l’investissement et 138 millions d’euros pour le fonctionnement) sont « notoirement insuffisantes au regard des besoins des CFA ».
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