Décentralisation, économie, racisme... Ce qu'il faut retenir de l'allocution d'Emmanuel Macron
Emmanuel Macron a refermé, au cours d’une courte allocution dimanche 14 juin, le chapitre sanitaire - entamé le 17 mars (lire article ci-dessus) - et a « dessiné en quelques lignes » le « nouveau chemin » qu’il souhaite faire emprunter à la France pour qu’elle « retrouve son indépendance ». Comme il l’avait déjà fait il y a plus d’un an en conclusion du grand débat national, le président de la République a annoncé une réforme de l’État qui ferait le pari de la décentralisation. Le projet de loi « 3D » (décentralisation, différenciation, déconcentration), que d’aucuns considéraient tombé dans les oubliettes, pourrait ainsi être à l’agenda des deux dernières années du quinquennat, qu’Emmanuel Macron « veut utiles pour la Nation ».
« Des responsabilités inédites » aux maires ?
« Tout ne doit pas être si souvent décidé à Paris (…) L’organisation de l’État et de notre action doit profondément changer », a de nouveau affirmé le président, déjà à l’origine de la création de 2 000 Maisons France Service et du transfert de 6 000 fonctionnaires parisiens en régions d’ici 2022 (lire Maire info du 18 novembre 2019). S’il est resté évasif sur le sujet hier, Emmanuel Macron « veut ouvrir une page nouvelle donnant des libertés et des responsabilités inédites à ceux qui agissent au plus près de nos vies, libertés et responsabilités pour nos hôpitaux, nos universités, nos entrepreneurs, nos maires et beaucoup d’autres acteurs essentiels ». Une première réponse à l’exacerbation des « inégalités sociales et territoriales » observée pendant la crise ?
Les attentes sont grandes au regard des réactions suscitées par la déclaration du chef de l'État. « En ce qui concerne la santé, on est obligé de se rendre compte qu'aujourd'hui que le système avec les ARS (Agences régionales de santé, ndlr) qui ont tout pouvoir, directement reliées au ministère de la Santé ça ne fonctionne pas », a réagi, ce matin sur Public Sénat, le sénateur (Doubs, PS) et ancien maire d’Audincourt, Martial Bourquin. « L’ARS, c’est l’État et cela doit changer », grondait elle aussi, il y a huit jours sur les bancs de l’Assemblée nationale, la députée Martine Wonner (Bas-Rhin, Écologie, Démocratie, Solidarité).
« Il faut décentraliser la gestion des ARS et des hôpitaux au niveau département, le niveau régional est trop éloigné », estimait, le 13 mai au Sénat, le président de l’Assemblée des départements de France (AdF) Dominique Bussereau, qui appelait aussi de ses vœux un approfondissement de la décentralisation « dans le secteur médicosocial, la psychiatrie, le handicap, la médecine scolaire notamment ». Quand le président de l’AMF, François Baroin, défendait, lui, l’idée d’un « transfert de compétences d’une partie du bloc santé, notamment pour pouvoir investir dans des hôpitaux comme nous l’entendons, salarier des médecins, des infirmières… » Et si l’État devra toujours « fixer un cadre protecteur », ce type de transfert pourrait également concerner le « logement, le tourisme, le sport, la culture (…) et il n’y a pas de raison de ne pas réfléchir à l’accompagnement territorialisé de l’emploi », a-t-il soutenu (lire Maire info du 14 mai).
Une revendication à laquelle Emmanuel Macron se disait acquis, au moins en partie, lorsqu’il proposait, au sortir du grand débat national, « un nouvel acte de décentralisation » (lire Maire info du 26 avril 2019). « Cela fait tellement de temps qu'on entend parler [de décentralisation] en France, qu'il faut maintenant passer aux actes », se lassait, ce matin sur France Bleu Grand Est, le président de la région Jean Rottner.
« Reconstruire une économie forte, écologique, souveraine et solidaire »
Une large part de l’allocution présidentielle a surtout été consacrée à la relance de l’économie. « Notre première priorité est donc d’abord de reconstruire une économie forte, écologique, souveraine et solidaire », a lancé le chef de l’État, qui a rappelé que la France avait « mobilisé près de 500 milliards d’euros pour notre économie, pour les travailleurs, pour les entrepreneurs, mais aussi pour les plus précaires ». « C’est inédit. Et je veux ce soir que vous le mesuriez aussi pleinement. Dans combien de pays tout cela a-t-il était fait ? », s’est-il satisfait, suscitant, ce matin, la critique de la presse. « Macron félicite Macron », titre Libération en une. « Emmanuel Macron loue sa gestion de crise lors d’une opération de communication », résume 20 Minutes. Mais aussi des politiques. « C'est la France qui a tenu, avec les soignants en première ligne, les Français et leur débrouillardise, les régions qui ont acheté les masques, les maires qui ont fait tenir les écoles et les services publics... Mais quand l'État a voulu tout faire tout seul, il a échoué », taclait elle aussi, ce matin sur France 2, Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France. « Nous avons vu le satisfecit habituel, mais nous ne voyons rien de concret dans les annonces d’Emmanuel Macron », jugeait, ce matin, pour sa part le député Éric Coquerel (Seine-Saint-Denis, France insoumise) sur Sud Radio.
Seule certitude pour l’heure : ces dépenses engagées pendant la crise ne seront pas financées par des augmentations d’impôts. « La seule réponse est de bâtir un modèle économique durable, plus fort, de travailler et de produire davantage pour ne pas dépendre des autres. Et cela, nous devons le faire, alors même que notre pays va connaître des faillites et des plans sociaux multiples en raison de l’arrêt de l’économie mondiale, prévient Emmanuel Macron. Il nous faut créer de nouveaux emplois en investissant dans notre indépendance technologique, numérique, industrielle et agricole. Par la recherche, la consolidation des filières, l’attractivité et les relocalisations lorsque cela se justifie. Il nous faut créer les emplois de demain par la reconstruction écologique (…) avec un plan de modernisation du pays autour de la rénovation thermique de nos bâtiments, des transports moins polluants, du soutien aux industries vertes. » « Ce plan de reconstruction se fera avec l’Europe », a-t-il encore garanti.
Racisme : « La République ne déboulonnera pas de statue »
Emmanuel Macron a, enfin, tenté de tenir une difficile position d'équilibre sur les manifestations contre le racisme et les violences policières dont il n'a pas parlé explicitement. 15 000 personnes (selon la préfecture de police) étaient rassemblées samedi à Paris, plus de 20 000 dans toute la France. « Nous sommes une Nation où chacun, quelles que soient ses origines, sa religion doit trouver sa place. Est-ce vrai partout et pour tout le monde ? Non, a-t-il d’abord reconnu. Nous serons intraitables face au racisme, à l’antisémitisme et aux discriminations et de nouvelles décisions fortes seront prises », a-t-il indiqué, sans en préciser la teneur.
Mais il a alerté, ensuite, sur le positionnement des militants antiracistes - sans jamais les nommer - et sur les risques de dévoiement d’un « combat noble » susceptible d’être « récupéré par les séparatistes ». Et le président de la République de prévenir en référence aux débats sur le sens des monuments historiques lancé ces derniers jours : « La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son Histoire. La République ne déboulonnera pas de statue ».
« Nous ne bâtirons pas davantage notre avenir dans le désordre, a conclu le Président en hommage aux forces de l’ordre en colère depuis la conférence de presse du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner (lire Maire info du 9 juin). Sans ordre républicain, il n’y a ni sécurité ni liberté. Cet ordre, ce sont les policiers et les gendarmes sur notre sol qui l’assurent. Ils sont exposés à des risques quotidiens en notre nom, c’est pourquoi ils méritent le soutien de la puissance publique et la reconnaissance de la Nation ». Le discours n'y a rien fait : des policiers mécontents se sont tout de même rassemblés place du Trocadéro à Paris dans la foulée de l’allocution présidentielle. Une nouvelle déclaration d'Emmanuel Macron est attendue entre le 28 juin et le 14 juillet.
Ludovic Galtier
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