Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 17 février 2025
État civil

L'interdiction du mariage lorsqu'un des époux est en situation irrégulière jugée inconstitutionnelle par la commission des lois du Sénat

C'est cette semaine – jeudi 20 février – que la proposition de loi du sénateur Demilly « visant à interdire un mariage en France lorsque l'un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire » va être débattue au Sénat. Mais dès son passage en commission, elle a été rejetée, tout simplement parce qu'elle est inconstitutionnelle. Explications. 

Par Franck Lemarc

Dans la semaine à venir, on entendra beaucoup parler maires et mariages. D’abord, parce que c’est demain que le maire de Béziers, Robert Ménard, va passer devant un tribunal pour avoir refusé, en 2023, de marier un couple dont l’époux était sous OQTF ; ensuite, parce que deux jours plus tard sera débattue en séance publique au Sénat une proposition de loi visant à interdire, précisément, le mariage d’un couple dont l’un des membres serait en situation irrégulière. 

La proposition de loi Demilly

Mercredi dernier, lors des questions au gouvernement au Sénat, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a réitéré son soutien à cette proposition de loi, soutien déjà exprimé dans les médias quelques jours plus tôt (lire Maire info du 10 février). Le ministre était interrogé sur la comparution du maire de Béziers devant le tribunal : « N'est-ce pas le monde à l'envers ?, demandait le sénateur Reichardt. C'est la personne en situation irrégulière, qui viole la loi et doit obligatoirement quitter le territoire, qui fait un procès au maire qui refuse de le marier ! »  Gérald Darmanin, sans se prononcer sur le cas spécifique du maire de Béziers, a déclaré : « Nous donnerons, sous l'autorité de M. le Premier ministre, un avis favorable à la proposition de loi visant à interdire un mariage en France lorsque l'un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire », a déclaré Gérald Darmanin, tandis que la sénatrice socialiste Marie-Pierre de La Gontrie lui lançait : « Elle est inconstitutionnelle ! ». 

La sénatrice a raison (et, comme on le verra, le garde des Sceaux le sait parfaitement) : la commission des lois du Sénat, le même jour, a examiné la proposition de loi du sénateur Christian Demilly, et l’a rejetée, dans la mesure où elle « contrevient manifestement à la jurisprudence du Conseil constitutionnel ». Une telle proposition de loi, concluait la commission, « n’est pas envisageable en l’absence de révision constitutionnelle ». 

Rappelons que ce texte est composé d’un article unique, qui ajouterait un article 143-1 au Code civil : « Le mariage ne peut être contracté par une personne séjournant de manière irrégulière sur le territoire national. »  Il ne s’agit donc pas tout à fait, comme l’avait dit Gérald Darmanin la semaine dernière dans une interview, de prévoir « que le maire puisse s’opposer »  à un tel mariage, puisque le texte ne fait que prévoir une interdiction générale, sans déterminer « l’autorité qui serait en charge de se prononcer sur le respect de la condition de régularité du séjour », relève la commission des lois dans le rapport très détaillé qu’elle a rendu public depuis. Pour la commission, seul le procureur de la République aurait autorité pour le faire, et non le maire. 

Liberté fondamentale

Mais la question fondamentale n’est pas là. Elle tient au fait que le Conseil constitutionnel, à plusieurs reprises, a jugé impossible, sans modification de la Constitution, de conditionner la liberté de mariage à la régularité du séjour d’un ou des époux. « La liberté matrimoniale », ont maintes fois répété les Sages, est partie intégrante de « la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 ». La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales va dans le même sens, tout comme l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose qu’« à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille ». 

En France, cette liberté n’est pas absolue : le Code civil fixe quatre restrictions à ce droit. Ces restrictions sont la minorité, la polygamie, la consanguinité et l’absence de consentement. 

C’est ce dernier cas, notamment, qui peut conduire un procureur – par exemple saisi par le maire en cas de doute – à s’opposer à un mariage, en cas de suspicion de mariage arrangé ou de mariage blanc. Mais de nombreux maires – dont Gérald Darmanin lorsqu’il était maire de Tourcoing – se sont plaints ces dernières années que le procureurs ne répondent pas, ou qu’ils répondent, pour reprendre les termes de Gérald Darmanin devant le Sénat il y a un an : « Mariez quand même ». 

Selon la commission des lois du Sénat, « le nombre d’oppositions au mariage formulées par le procureur de la République au motif d’une suspicion de mariage simulé ou arrangé s’élève approximativement à quelques centaines de cas chaque année ». 

Mais en tout état de cause, relève la même commission, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est claire : « La liberté de mariage n’est pas conditionnée à la régularité du séjour », et « le maire en tant qu’officier d’état civil ne dispose d’aucun pouvoir pour s’opposer formellement à un mariage y compris impliquant une personne sous OQTF ». Il ne peut que « surseoir à un mariage suspect et saisir le procureur de la République », mais celui-ci ne pourra pas s’opposer au mariage sur le seul critère de l’irrégularité de séjour. 

Le représentant de l’AMF auditionné par la commission lui a par ailleurs rappelé que « l’officier d’état civil ne dispose de toute façon pas, en l’état du droit, des informations nécessaires pour apprécier la régularité du séjour des futurs mariés, dans la mesure où l’article 63 du code civil, qui liste les pièces justificatives que les futurs époux doivent fournir avant célébration du mariage, n’inclut aucunement un visa ou un titre de séjour ». 

Revirement du ministre

On peut noter, au passage, que la position de Gérald Darmanin vis-à-vis de cette proposition de loi constitue un revirement, puisqu'un an plus tôt, en tant que ministre de l’Intérieur, il avait défendu une position strictement inverse lors de l’examen du projet de loi immigration. Pendant ce débat, des amendements allant dans le même sens que l’actuelle proposition de loi Demilly avaient été proposés. Le ministre de l’Intérieur s’y était opposé au nom du gouvernement, précisant qu’une telle disposition serait « contraire non seulement à nos engagements internationaux, mais également à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui s’appuie, excusez- du peu, sur deux articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». Le ministre avait alors déclaré qu’en adoptant une telle disposition, « on se ferait plaisir quelques instants », avant que celle-ci soit « à coup sûr »  censurée par les Sages. 

Le ministre a changé d’avis, maintenant convaincu que les sénateurs « trouveront les moyens de rendre ce texte conforme à la Constitution », leur a-t-il dit mercredi dernier. Comment ? il ne l’a pas dit, et en tout état de cause, la commission des lois ne partage pas ce point de vue, estimant qu’il faudrait d’abord passer par une réforme de la Constitution. 

En revanche, Gérald Darmanin a donné deux pistes d’évolution – toujours lors des questions au gouvernement – qui, elles, seraient « en tout point conformes à la Constitution » : d’abord, « faire en sorte que le maire ait le dernier mot quand le procureur ne répond pas ». « Aujourd’hui c'est l'inverse qui se produit : quand le procureur de la République ne répond pas, le maire est obligé de procéder au mariage. »  Deuxièmement, le ministre souhaite que la loi change pour intégrer aux pièces à fournir à l’officier d’état civil, avant le mariage, « une preuve de la régularité du séjour », avec « possibilité de recours »  en cas de refus. 

On verra, lors de l’examen de ce texte, jeudi, si de telles mesures sont proposées par amendement.  

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2