Les députés adoptent la réforme du mode de scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille... en attendant le texte sur le statut de l'élu
Par Franck Lemarc

« Avancée démocratique » ou « tripatouillage pré-électoral » ? Sur les différents bancs de l’Assemblée nationale, la semaine dernière, ces expressions radicalement contradictoires ont souvent été brandies pour qualifier un texte qui, pour une fois, a bouleversé les clivages habituels : il a été âprement combattu par les Républicains, les socialistes et les communistes, tandis que le RN, le « bloc central » et LFI l’on soutenu.
« Écrasement majoritaire »
Rappelons que depuis 1982 et la loi dite PLM, les élections municipales à Paris, Lyon et Marseille se déroulent dans des conditions dérogatoires au droit commun : les conseils municipaux y sont élus de façon indirecte. Les électeurs votent pour des conseils d’arrondissement, et certains conseillers d’arrondissement seulement siègent au conseil municipal et y élisent le maire.
Ce système, initialement pensé pour rapprocher les élus de leurs électeurs dans de très grandes villes, est critiqué par certains pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il s’agit d’un mode de scrutin à deux étages – s’apparentant à un système de « grands électeurs » – et qu’il peut conduire à des situations ubuesques, comme l’élection d’un maire minoritaire en nombre de voix. Ce fut le cas à Marseille, en 1983, où Gaston Deferre avait été élu avec plusieurs milliers de voix de moins que son adversaire Jean-Claude Gaudin. Plus généralement, le dispositif favorise un « écrasement » du conseil municipal par le groupe majoritaire : la commission des lois de l’Assemblée nationale cite le cas des élections municipales de 1983 à Paris où le RPR de Jacques Chirac, avec 51,6 % au second tour, avait obtenu 86 % des sièges au Conseil de Paris.
D’autres adversaires de ce dispositif critiquent le fait que ces grandes villes disposent d’un régime dérogatoire au droit commun – d’autant plus aujourd’hui où même les communes de moins de 1 000 habitants se voient désormais privées de toute dérogation et connaitront, en 2026, le même régime électoral que les autres.
Deux scrutins distincts
Le texte adopté le 9 avril par les députés modifie le mode d’élection des conseillers municipaux, mais sans pour autant établir une « égalité » de ces trois villes avec le reste des communes.
Il a en effet été acté deux modifications essentielles : premièrement, ces trois communes devront organiser non pas un, mais deux scrutins le jour des élections. L’un permettra d’élire les conseils d’arrondissement, comme c’est déjà le cas aujourd’hui ; l’autre, d’élire un conseil municipal, comme dans les autres communes, sur une liste dont les membres seront élus au scrutin proportionnel à deux tours. C’est au sein de ces conseils municipaux que seront élus les maires de ces trois villes, ce qui les rapproche des autres communes.
Avec une nuance, toutefois : une deuxième modification prévue par le texte prévoit que la « prime » au vainqueur ne sera pas de 50 % des sièges mais de 25 %. Pour mémoire, rappelons qu’aux municipales, la liste qui obtient la majorité absolue au premier tour ou qui arrive en tête du second tour obtient de droit 50 % des sièges au conseil municipal, plus un nombre de sièges proportionnel à son score.
Les députés ont adopté le fait qu’à Paris, Lyon et Marseille, cette prime majoritaire soit réduite à 25 % des sièges. Ce qui, ont fait remarquer certains députés, rétablit une différence de traitement entre ces villes et les autres communes, différence que la proposition de loi était précisément censée gommer.
Problèmes logistiques
Consultée en amont de la discussion, l’AMF, sans méconnaître l'intérêt d'une évolution qui viserait à ce que les voix des électeurs soient mieux prises en compte, a surtout alerté sur les difficultés logistiques majeures que pourrait entrainer cette réforme. Il va en effet falloir organiser deux scrutins distincts le même jour – et même trois à Lyon, qui doit en même temps élire les conseillers à la Métropole de Lyon. Il faudra donc organiser deux, voire trois bureaux distincts, dédoubler voire tripler les bulletins de vote, les plis de propagande électorale, les listes d’émargement… Et l’on imagine aisément le casse-tête que représentera le fait de trouver deux fois, voire, à Lyon, trois fois plus d’assesseurs que d’habitude.
L’AMF a fait remarquer par ailleurs que le passage de la prime majoritaire à 25 % risque d’empêcher, dans certains cas, l’établissement d’une majorité claire à la liste arrivée en tête. Peut-être verra-t-on demain, à Paris, Lyon ou Marseille, des situations de majorité relative comme c’est le cas à l’Assemblée nationale aujourd’hui. Enfin, elle a regretté le manque de préparation et de concertation dont a fait l'objet cette proposition de loi.
Problèmes de calendrier
Au-delà du fond, une large partie des débats a porté sur le calendrier – ce texte, à la différence de celui sur les élections municipales dans les communes de moins de 1000 habitants, n’a pas encore été mis à l’ordre du jour du Sénat, et pourrait ne pas y être adopté, s’il l’est, avant l’été. Ce qui le rapproche dangereusement du mois de septembre, début du cycle pré-électoral des municipales. Plusieurs députés, devant l’empressement des macronistes à inscrire ce texte à l’Assemblée nationale, y voient une manœuvre destinée à faciliter l'implantation, voire la victoire des macronistes à la mairie de Paris.
Surtout, on peut s’étonner du fait que ce texte ait été mis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale avant celui sur le statut de l’élu, déjà adopté par le Sénat, mais dont on ne connaît toujours pas la date d’examen au Palais Bourbon. Pourtant, il s’agit d’un texte qui ne concerne pas que trois villes – fussent-elles les plus grandes du pays – mais la totalité des élus locaux du pays. Du côté de l'AMF, on se prépare à tenter de mobiliser les élus pour obtenir une inscription urgente de ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
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