Le gouvernement dégaine, par surprise, le « vote par anticipation » pour l'élection présidentielle
C’est une manœuvre pour le moins hardie que tente le gouvernement en introduisant, sans en avoir averti qui que ce soit et sans concertation, un amendement sorti de nulle part et autorisant le vote par anticipation à l’élection présidentielle, dans une commune « au choix » des électeurs.
Ce que dit l’amendement
Cet amendement a été introduit à la veille de l’examen par le Sénat, en séance publique, du projet de loi organique relatif à l’élection présidentielle, texte qui a été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 19 janvier (lire Maire info du 20 janvier).
L’amendement du gouvernement est assez détaillé. Il dispose que « les électeurs peuvent à leur demande voter de manière anticipée dans l’un des bureaux ouverts à cette fin, parmi une liste arrêtée par les ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères », cette disposition entrant en vigueur le 1er janvier 2022 – donc à temps pour l’élection présidentielle.
Ce vote par anticipation aurait lieu à une date fixée « par décret », « durant la semaine précédant le scrutin », précise l’exposé des motifs, sur une machine à voter. Les électeurs qui auraient choisi ce mode de scrutin ne pourraient évidemment pas voter le jour du scrutin. La liste d’émargement de ces votes par anticipation serait conservée « par le maire » entre les opérations de vote et le dépouillement ; le dimanche du scrutin, à 19 heures, « le président du bureau de vote rend visibles les compteurs totalisant les suffrages exprimés par chaque candidat ainsi que les votes blancs, de manière à en permettre la lecture par les membres du bureau de vote ».
Dans l’exposé des motifs, le gouvernement donne quelques indications supplémentaires : le bureau de vote par anticipation serait « similaire à un bureau de vote de droit commun, notamment en ce qui concerne ses membres ». Il pourrait avoir lieu dans un certain nombre de communes choisies par le gouvernement, ainsi que dans des villes étrangères déterminées par le ministère des Affaires étrangères. La date d’entrée en vigueur choisie (1er janvier 2022) permet, selon le gouvernement, « de prévoir les mesures d’application du dispositif ».
Pourquoi la méthode fait débat
L’introduction d’une telle mesure par amendement a de quoi surprendre. Rappelons d’abord que ce projet de loi ne visait, selon les termes mêmes du gouvernement, qu’à procéder à des « ajustements techniques » relatifs à l’élection présidentielle, notamment en fixant une date butoir pour la publication du décret de convocation des électeurs. Or l’amendement du gouvernement va bien au-delà d’un « ajustement technique », puisqu’il introduit rien de moins qu’un mode de scrutin jusqu’à présent jamais utilisé en France.
Pourquoi, si le gouvernement avait cette idée, ne pas l’avoir introduite dans le projet de loi initial ? Pourquoi le faire maintenant – alors que, même lors de l’examen du texte en commission des lois du Sénat, le 10 février, il n’en a pas été question ?
Il faut rappeler que tout projet de loi (texte d’initiative gouvernementale) est soumis à des règles strictes : il doit être examiné par le Conseil d’État, faire l’objet d’une étude d’impact, notamment sur les coûts qu’il est susceptible d’engendrer pour les collectivités territoriales, et être soumis à l’examen consultatif du Conseil d’évaluation des normes. Le fait d’introduire un nouvel élément par amendement, après le dépôt du texte, permet de se passer de ces étapes pour ce qui concerne le nouvel élément introduit.
Nombreuses questions
Les nombreuses questions qui se posent sur ce nouveau dispositif ne trouveront donc pour l’instant pas de réponse : Quel impact pour les communes qui seront « choisies » par le ministère ? Dans quelles conditions celles-ci pourront-elles mobiliser un bureau de vote pendant une semaine entière ? Quelles seront les mesures de sécurité pour éviter les fraudes, les doubles votes ? Quels ajustements techniques la mesure demandera-t-elle dans la gestion du répertoire électoral unique ? Les réponses à ces questions auraient dû figurer dans une étude d’impact… ce ne sera pas le cas.
Par ailleurs, le projet de loi sur le report des élections départementales et régionales prévoit qu’un rapport gouvernemental soit remis au Parlement avant le 1er octobre 2021 sur « la possibilité de recourir aux machines à voter pour les communes qui le souhaitent » – rapport qui doit trancher les questions de sécurité qui se posent depuis des années sur ces machines, et qui ont conduit, en 2008, à prononcer un moratoire sur leur extension. Que le gouvernement propose son amendement avant même que ce rapport soit rédigé est, également, assez surprenant.
Sans compter que sur le fond, cette réforme pose des questions importantes. La tradition des scrutins en France s’appuie sur un vote qui peut être modifié jusqu’au dernier moment, après la clôture de la campagne électorale, la veille ou l’avant-veille. Avec ce dispositif, le vote aurait lieu alors que la campagne n’est pas terminée, et sans possibilité de le modifier le dimanche. Sur une réforme de cette importance, la moindre des choses aurait donc été de connaître l’avis du Conseil d’État, voire du Conseil constitutionnel.
Des sénateurs « en colère »
Plusieurs sénateurs ont donc exprimé dès hier leur « stupéfaction », dans un autre débat – celui sur le projet de loi reportant les élections départementales et régionales au mois de juin. C’est le sénateur Philippe Bas, ancien président de la commission des lois, qui a ouvert le bal, visiblement furieux, en interpellant la ministre chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa. « Dès l'an prochain, pour l'élection présidentielle, mère de toutes les élections, nous pourrions recourir aux machines à voter, y compris un jour de semaine, par anticipation. Et le tout, imposé par décret ! Ce point n'a même pas été débattu par l'Assemblée nationale, qui a déjà adopté le texte. Cette improvisation et cette absence de respect des règles du débat parlementaire ont beaucoup choqué sur tous les bancs du Sénat. Comment peut-on envisager une expérimentation aussi hasardeuse pour une élection qui engage autant l'avenir de la nation ? » Philippe Bas a vivement « espéré » que l’amendement serait aussitôt retiré.
« Je partage la surprise, voire la colère, de notre rapporteur sur l'amendement relatif aux machines à voter. Sous prétexte de favoriser le vote, il ne faut pas s'arranger avec les règles », a surenchéri la sénatrice communiste Cécile Cukierman.
La ministre Marlène Schiappa n’a pas souhaité répondre à ces interpellations, préférant « concentrer (son) propos sur le projet de loi dont nous discutons ce soir ».
Ce matin, l’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, maintenant patron du groupe LaREM à l’Assemblée nationale, a défendu l’idée du vote par anticipation, tout en assurant que « le gouvernement n’imposera rien (car) c’est le Parlement qui décidera in fine ».
Dans un communiqué publié en fait de matinée, l'AMF exprime sa « stupéfaction » : « Aucune concertation préalable avec les maires n’a été faite par le gouvernement, alors qu’ils ont la responsabilité de l’organisation des élections », dénonce l'association, qui fustige « précipitation et la gestion confuse » de ce dossier. L'AMF appelle le Parlement à « écarter » cet amendement.
Il y a fort à parier que cette question figurera au menu des questions au gouvernement, cet après-midi, au Sénat. Dossier à suivre.
Franck Lemarc
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