Urgences : les préconisations de la mission « flash », très loin du compte selon les urgentistes
Par Franck Lemarc
C’est le 31 mai que le président de la République, confronté à une crise historique des services d’urgence (lire Maire info du 1er juin), a mandaté une « mission flash » pilotée par le professeur François Braun, président de Samu-Urgences de France. Cette mission a été lancée au moment où 120 services d’urgence, à l’échelle du pays, sont perturbés, avec des mesures allant du « délestage » jusqu’à la fermeture provisoire ou définitive, et où les professionnels craignent un été catastrophique, tant le manque de personnel est criant.
Majoration des heures de nuit
Dès la nomination de cette mission flash, beaucoup de représentants de la profession s’étaient déjà montrés plus que réservés sur son utilité, craignant « un énième rapport » qui n’apporterait rien de plus que les travaux déjà abondants, sur ce sujet, de l’Assemblée nationale et du Sénat notamment.
La remise des propositions de la mission, hier, ne va pas forcément les rassurer.
Les 41 propositions sont divisées en quatre thèmes : « Proposer en amont des parcours de soins adaptés sans recourir aux urgences », « maintenir la réponse aux urgences vitales et/ou graves dans les établissements de santé et en préhospitalier », « Soutenir et préserver les équipes des structures de médecine d’urgence » et « fluidifier les parcours de soins à partir des urgences ».
Outre des mesures déjà évoquées (favoriser l’activité des médecins retraités et des étudiants en médecine, maintenir la prise en charge à 100 % des téléconsultations tout l’été, « simplifier radicalement pour l’été la mise en application des protocoles de coopération entre professions de santé sous coordination médicale dans les territoires fragiles volontaires », faire travailler des médecins libéraux dans les services hospitaliers en plus de leur activité libérale…) la mission propose quelques mesures d’ordre financier : la majoration (« pour l’été » ) de l’indemnité de sujétion de nuit, des heures de nuit et du week-end, avec une incitation financière spécifique pour les deux périodes qui paraissent le plus critique cet été – les ponts du 14 juillet et du 15 août.
Les mesures de revalorisation du travail de nuit et du dimanche ont d'ailleurs déjà été arbitrées, et font l'objet d'un décret validé la semaine dernière par le Cnen et paru cette semaine au Journal officiel.
« Avant de vous déplacer, appelez »
Au-delà, la mission préconise surtout d’améliorer la « régulation » … et de dissuader si possible les patients de se rendre aux urgences. La toute première des recommandations est d’ailleurs de lancer « une campagne nationale sur le bon usage des services d’urgence » – comme si le recours aux urgences, notamment dans les territoires où la médecine de ville n’existe plus ou presque plus, résultait d’une méconnaissance du « bon usage » des urgences… Dans le rapport lui-même, la mission résume sa philosophie par cette formule : « Avant de vous déplacer, appelez ! ».
Les auteurs du rapport préconisent d’utiliser le standard téléphonique du Samu pour procéder à une « régulation médicale préalable systématique ». Dans le rapport, les auteurs insistent : « Présenter le Samu-Centre 15 ou le Service d’accès aux soins comme la plateforme de régulation médicale à contacter pour tout problème de santé considéré par le patient ou son entourage comme devant faire l’objet d’un avis médical immédiat, est l’enjeu le plus important. » Ce qui supposerait, à tout le moins, d’embaucher massivement des ARM (assistants de régulation médicale), les services téléphoniques du Samu étant régulièrement débordés.
Les rapporteurs proposent d’ailleurs, là où c’est nécessaire, de pérenniser la pratique consistant à limiter l’accès des urgences « aux seules urgences vitales », notamment la nuit, estimant que cette « suspension d’activité partielle pourrait permettre de mutualiser les moyens de plusieurs services sur un seul site » – mesure largement qualifiée, sur les réseaux sociaux, de « partage de la misère ».
Colère des urgentistes
C’est peu de dire que ces préconisations n’ont pas été bien reçues par les professionnels, déçus, voire en colère, de constater que les rapporteurs ne suggèrent pas d’attaquer le mal à la racine. Sur Twitter, où ces préconisations ont largement circulé, les commentaires des médecins et infirmiers vont de « J’ai envie de pleurer » à « Une œuvre d’art », en passant par « Je préfère me taire », « Les infirmiers n’existent pas ? », le commentaire le plus acide étant de renommer cette mission flash « mission crash ».
Patrick Pelloux, le président de l’Association des médecins urgentistes de France, n’a pas caché sa colère hier, dans les médias. « C’est une faillite du service public, déclarait-il hier sur France inter. Ce rapport va contribuer à casser l’hôpital public en disant qu’on remplace l’hôpital public par un grand standard où les gens vont téléphoner, où les gens vont avoir de la téléconsultation, où ils ne verront plus de médecins mais des soignants qui auront des délégations de tâches. Et ils pensent que le monde sera formidable. »
Sur BFMTV, hier encore, il se disait « consterné » par ce rapport, le jugeant « kafkaïen ». « Quelqu’un se rend compte que si les gens vont aux urgences, c’est parce qu’ils n’ont plus rien d’autre près de chez eux ? On est en train d’assister à l’effondrement du système ».
L’AMF alertait déjà la semaine dernière sur les difficultés d’accès aux soins pour la population et les risques de rupture ou renoncement aux soins et demandait la mise en œuvre de solutions immédiates (lire Maire info du 23 juin).
Même son de cloche chez un autre représentant de l’association et militant syndical Christophe Prudhomme, qui a jugé, sur France info, ce rapport « affligeant ». « C’est du bricolage, c’est catastrophique, juge le médecin, visiblement furieux. Avoir un service d'urgence à 30 minutes de chez soi, ouvert 24 heures sur 24, 365 jours par an, ce n'est pas une option. C'est une nécessité absolue pour assurer la sécurité de la population. Il y a déjà des morts et il va y avoir des morts. (…) On n’a pas besoin de gestionnaires de lits [‘’bed managers’’, l’une des recommandations du rapport – ndlr], on a besoin de lits ouverts. Il faut stopper l’hémorragie de démissions à l’hôpital, parce que les personnels n’ayant aucun espoir d’améliorations de leurs conditions de travail et de leurs rémunérations quittent massivement l’hôpital. »
Les réactions des représentants de la médecine libérale sont un peu moins négatives, mais tout de même loin de l’enthousiasme. Témoin le président de l’Union française pour une médecine libre, Jérôme Marty, qui a certes salué « des propositions qui vont dans le bon sens », tout en les qualifiant de « vœux pieux », au regard de la carence criante d’effectifs dans les services.
Au moment où une septième vague de covid-19 se confirme en France, les plus grandes inquiétudes restent donc de mise sur la situation de l’hôpital pour cet été. Ce dossier sera certainement le premier que devra traiter le ministre de la Santé qui devrait être nommé dans les prochains jours en remplacement de Brigitte Bourguignon. Le gouvernement aura alors à rendre ses arbitrages sur le rapport de la mission flash.
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