Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 11 mars 2024
Statut de l'élu

Proposition de loi sur le statut de l'élu : beaucoup d'avancées et un « camouflet »

Plusieurs associations d'élus ont salué l'adoption à l'unanimité de la proposition de loi sur le statut de l'élu local, jeudi 7 mars. Avec au moins un bémol, de la part de l'AMF, qui « condamne » une mesure qui « stigmatise » les maires. 

Par Franck Lemarc

Maire-Info
© Sénat

La proposition de loi sur le statut de l’élu local a été adoptée dans une belle unanimité (pas un seul sénateur n’a voté contre) jeudi 7 mars (lire Maire info du 8 mars). L’AMF et France urbaine ont salué, par voie de communiqué de presse, cette adoption unanime.

L’AMF a jugé ce texte « essentiel »  et se félicite que de nombreuses dispositions répondent aux propositions qu’elle a faites à la suite des travaux de son groupe de travail dédié à cette question. Les mesures votées sur « l’amélioration des conditions matérielles du mandat », sur le statut de l’élu étudiant, sur la prise illégale d’intérêt, etc., vont « indéniablement dans le bon sens », écrit l’AMF, qui espère qu’elles seront « confirmées au cours de la navette parlementaire ». 

Du côté de France urbaine, on salue notamment les avancées sur la situation des maires en congé maternité, qui comblent « le vide juridique »  qu’a pointé récemment la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy (lire Maire info du 22 février). « Le texte voté par le Sénat constitue un signal clair », écrit, de son côté, la maire de Poitiers : « Il faut désormais encourager, par un cadre légal sécurisant, la conciliation entre mandat et parentalité et donc le renouvellement des profils politiques ». 

France urbaine « se félicite de cette avancée majeure pour la conciliation de la vie personnelle des élus avec leur engagement public local et sera particulièrement attentive à sa confirmation définitive dans les textes ». 

Avancées sur les congés maladie et maternité

Profitons-en pour revenir plus en détail sur ce que contient le texte du Sénat en matière de congé maternité, paternité ou adoption, et plus généralement en matière de congés maladie. 

Le texte contient en effet une disposition très importante sur les congés maladies, en lien avec les graves problèmes rencontrés par des élus qui avaient poursuivi leur mandat pendant un congé maladie (lire par exemple Maire info du 29 janvier 2024). Pour mémoire, la loi permet bien aujourd’hui à un élu de poursuivre son mandat pendant un arrêt maladie, « sous réserve de l’accord formel de (son) praticien »  (article L323-6 du Code de la Sécurité sociale). Mais beaucoup de médecins et d’élus ne connaissant pas suffisamment cette disposition, et les formulaires modifiés permettant d’exprimer cet « accord formel »  tardant à être diffusés, certains élus se sont vus demander par l’Assurance maladie de rembourser plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d’euros d’indemnités journalières, faute de ce fameux « accord formel »  du médecin.

Les sénateurs ont proposé une solution consistant à renverser la norme : au lieu de « l’accord formel », la nouvelle rédaction conduirait à ce que l’élu puisse continuer l’exercice de son mandat de droit, « sauf avis contraire »  du médecin. Il reste à savoir si cette disposition passera le cap des débats à l’Assemblée nationale, dans la mesure où le gouvernement y est opposé. La ministre Dominique Faure, au Sénat, a déclaré jeudi que pour elle « l'accord exprès et préalable du médecin est nécessaire pour déterminer si l'état de santé de l'élu est compatible avec l'exercice de son mandat ». L'AMF dit d'ailleurs partager cette position, considérant que l'accord préalable du médecin offre une meilleure garantie dans la préservation de la santé des élus.

Deuxième évolution adoptée par le Sénat, concernant cette fois les congés maternité en complément de l’article 331-3 du Code de la Sécurité sociale, qui impose un congé maternité obligatoire d’au moins huit semaines, les sénateurs ont ajouté : « La présente section ne fait pas obstacle à l’exercice par une élue locale des activités liées à son mandat, sauf avis contraire de son praticien, et le cas échéant à la perception d’indemnités de fonction. »  Par ailleurs, les sénateurs ont adopté le fait que si un ou une élu(e) prend un congé maternité, paternité adoption ou accueil d'un enfant, il ou elle peut continuer d’exercer son mandat pendant ce temps, sauf avis contraire de leur praticien pour les congés maternité et d’accueil de l’enfant. Il ou elle pourrait percevoir ses indemnités journalières et indemnités de fonction. 

Suppléance : une clarification

Enfin, les sénateurs ont éclairci les choses en matière de suppléance du maire ou du président d'EPCI. Léonore Moncond’huy, la maire de Poitiers, avait en effet soulevé une difficulté qu’elle avait rencontré : l’employeur de l’adjoint qu’elle avait chargé de la remplacer pendant son congé maternité avait refusé de suspendre le contrat de travail de celui-ci. 

Dominique Faure avait réagi à cette situation en  estimant que c’était un non-sujet  (lire Maire info du 27 février), selon elle, le Code du travail oblige un employeur à suspendre le contrat de travail à un salarié maire ou adjoint au maire si celui-ci le demande. L’AMF, elle, a une lecture un peu différente de la loi, jugeant que ces dispositions du Code du travail ne peuvent s’appliquer que pour un mandat complet, et ne couvrent donc pas le problème d’une suppléance de quelques semaines ou mois. 

Les sénateurs semblent partager la lecture de l’AMF, puisqu’ils ont jugé utile de rajouter un alinéa à l’article concerné du Code du travail, rendant cette fois les choses parfaitement claires : ces dispositions, ont ajouté les sénateurs, sont applicables « à l’adjoint au maire (…) qui exerce provisoirement les fonctions de maire »  en cas d’absence, de suspension, de révocation ou de tout autre empêchement. 

Un « camouflet »  pour les maires

Ces dispositions vont donc, pour l’AMF, « dans le bon sens ». Ce n’est pas le cas, en revanche, de l’article 23 du texte adopté en première lecture, qui dispose que « dans l’exercice de son mandat, l’élu local s’engage à respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité et de dignité de la personne humaine ainsi que les lois et les symboles de la République et s’abstient de toute action portant atteinte à l’ordre public ». En outre, les élus locaux devraient s'engager publiquement à respecter les valeurs de la République. 

L’AMF se montre particulièrement choquée de cet article, et va jusqu’à le « condamner »  dans le communiqué qu’elle a diffusé vendredi. Les maires seraient donc obligés de s’engager à respecter les valeurs de la République, « comme s’ils les avaient un jour menacées », fulmine l’AMF. « Une telle déclaration ne s’applique pas aux parlementaires, au président de la République et aux ministres, ou aux magistrats. En imposant aux seuls élus locaux cette obligation, c'est un camouflet pour tous ces maires qui l'été dernier encore, sont montés en première ligne dans leur commune pour protéger la République face à l'émeute, au péril de leur intégrité physique et parfois de celle de leur famille. » 

Lors des débats, au Sénat, les sénateurs du PCF et écologistes ont tenté de faire supprimer cet article, par amendement. « Ce texte est censé faciliter la vie des élus. Jeter sur eux le discrédit et la suspicion, en les forçant à prêter serment, est incompatible avec cet objectif. Les élus locaux connaissent la loi et la respectent. Pourquoi les pointer ainsi du doigt ? », a demandé la sénatrice écologiste des Yvelines Ghislaine Senée. La sénatrice communiste de la Loire Cécile Cukierman a fait état de la « surprise »  de l’AMF vis-à-vis de cet article qui « laisse entendre que les élus ne respecteraient pas les valeurs de la République », ajoutant : « Ne donnons pas le sentiment d’une suspicion généralisée ». 

Réponse sèche de la rapporteure du texte, Jacqueline Eustache-Brinio (LR, Val-d’Oise) : « La plupart des associations d'élus ne trouvent rien à reprocher à cet article : seule l'AMF s'interroge. Mais il n'y a pas que l'AMF dans la vie. » 

La ministre Dominique Faure s’en est remise à « la sagesse »  du Sénat, sans montrer d’enthousiasme débordant pour cet article : « Est-il nécessaire de rappeler l’évidence même ? ». Le socialiste Simon Uzenat (Morbihan) a également exprimé son « malaise »  sur cet article : « Ce sont les élus locaux qui permettent à la République de tenir face aux vents contraires – crise sanitaire, guerre en Ukraine, inflation... (…) Les maires sont des défenseurs acharnés de la République ». 

Finalement, à la demande du groupe LR, un scrutin public a eu lieu sur cet article. Les amendements de suppression ont été rejetés par 152 voix contre 57. Ces dispositions sont donc conservées dans le texte qui a pris, désormais, le chemin de l’Assemblée nationale.  

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