La Fondation Abbé-Pierre redoute « la bombe à retardement » des expulsions
En pleine épidémie, le ton ne pouvait guère être plus optimiste que les années précédentes. D’autant que les conséquences de cette épidémie (confinement, perte d’emploi, réduction d’activité, etc.) agissent davantage comme un révélateur ou un effet loupe sur les inégalités.
Pour les mal logés, le « choc du covid » c’est « double peine et bombe à retardement » synthétise le délégué général de la Fondation, Christophe Robert.
La promiscuité et le surpeuplement dans les logements ont augmenté les risques d’être contaminé. Les conditions d’habitat indigne (moisissures, cafards) ont pesé plus lourd encore lorsque les personnes ne pouvaient plus en sortir. La précarité énergétique, s’est, elle aussi « accrue pour second confinement » pointe Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation. Cela se mesure sur les factures (plus lourdes et plus compliquées à payer) mais aussi sur la santé. 672 000 coupures d’énergie sont rapportées pour 2020, soit 18 % de plus qu’en 2019.
Parenthèse paradoxalement parfois « enchantée »
Il y a pourtant eu quelques « satisfactions ». À commencer par la mobilisation, notamment des collectivités, au premier confirment, et qui a permis de mettre à l’abri la majeure partie de la population. « Il y a même eu un soir, pour la première fois de l’histoire, où le 115 du 93 (Seine Saint Denis) a pu satisfaire toutes les personnes ! » livre Manuel Domergue. Cela « montre qu’on sait le faire », glisse-t-il.
Cette crise a été aussi servi de révélateur à des initiatives intéressantes, et fait tomber certains « cloisonnements » entre les acteurs du logement, de la santé ou du social. Parmi ces initiatives, celles de bailleurs se rapprochant de personnes âgées pour échelonner leurs loyers, de fonds solidarité logement « réactifs pour aider les personnes à faire face aux impayés » ou des CLAJ (comité de logement des jeunes) surfant sur les réseaux sociaux pour « trouver les jeunes là où ils sont ». Mais cette « sorte de parenthèse enchantée » ne dure pas.
Les points noirs sont connus : l’hébergement d’urgence n’est pas toujours adapté (à l’exemple des gymnases où des dizaines de personnes doivent cohabiter). L’offre de logements sociaux fait toujours défaut. La fondation s’inquiète de l’impact pour ces « nouveaux et anciens pauvres », « les franges précaires du salariat ou ceux vivant de revenus non déclarés », dont les personnes en situation irrégulière.
La critique d’une politique à court, moyen et plus long terme
La Fondation Abbé-Pierre alerte sur les « bombes à retardement ». 2020 peut se targuer d’avoir été une année pauvre en expulsions, avec cinq fois moins d’expulsions qu’en 2019. Mais la Fondation redoute l’effet boomerang, qui sera forcément violent, « car les impayés vont s’accumuler. On compte déjà 61 millions d'euros d’impayés en plus dans le seul parc social ». Pour Manuel Domergue, c’est « l’indice d’une vague qui se dessine ». Et qui touchera plus largement « des commerçants, des guides touristiques, des vacataires » – des personnes jusque-là inconnues des acteurs sociaux. Signe que ces tendances sont effectivement mauvaises, la ministre chargée du Logement, Emmanuelle Wargon, vient d’annoncer, hier, une prolongation jusqu’au 1er juin de la trêve hivernale.
Ce diagnostic justifie pour la Fondation Abbé-Pierre un changement de la politique du gouvernement en direction des plus pauvres et du logement social, le « grand oublié » du plan de relance. Or, la production de logements sociaux a chuté en 2020 et risque de chuter encore en 2021. « La chaine de la rénovation est aussi grippée ». Cette « embolie générale » met « en danger » la politique de logement d’abord. Sans une politique « à la hauteur », 2021 et 2022 risquent d’être « pires encore que 2021 » pour les mal-logés, craint la Fondation.
Parmi ses préconisations, elle recommande de revenir sur les « ponctions sur les bailleurs sociaux (1,3 milliards en 2020 et 2021) ». Elle encourage la ministre à réviser la loi SRU pour accorder de nouveaux délais, « réalistes », mais aussi à « renforcer les sanctions » et l’action de l’État « en substitution des communes récalcitrantes ». La rénovation énergétique doit passer à une autre échelle, estime la fondation, qui plaide pour davantage d’obligations, un encadrement des loyers généralisé, ou encore pour la création d’un fonds national d’aide aux paiements des loyers et charges.
Emmanuelle Stroesser
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