Maire-info
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Édition du vendredi 7 juin 2024
Social

Femmes à la rue : des communes submergées face à un phénomène négligé par l'État 

La délégation sénatoriale aux droits des femmes mène une mission d'information sur « les femmes sans domicile et sans abri » depuis le début de l'année. C'était hier, jeudi 6 juin, au tour des collectivités territoriales de témoigner de leur action, difficultés et préconisations. Elles sont nombreuses, et s'adressent à l'État comme aux départements.

Par Emmanuelle Stroesser

Pour les sénatrices, le phénomène des femmes à la rue est au croisement de « plusieurs problématiques » : « féminisation de la précarité », « manque de solutions d'hébergement », « violences sexuelles et sexistes », « accès aux soins »  ou encore « insertion sociale et professionnelle ». Un phénomène qui « explose »  assure Dominique Vérien, présidente de la délégation, sénatrice de l'Yonne. Elle cite quelques chiffres : «  Parmi 330 000 personnes sans abri aujourd'hui en France, 40 % sont des femmes seules ou bien souvent avec enfants. 3 000 dorment chaque nuit dans la rue. Elles se cachent pour éviter d’être proies aux violences dont sont victimes 100 % des femmes au bout d’un an dans la rue. » 

Ces estimations ne suffisent pourtant pas à dire le phénomène, assure Léa Filoche, adjointe au maire de Paris, représentant l'AMF et l'UNCCAS. « Car oui les femmes restent invisibles »  et « très difficiles à repérer », « elles ont une inventivité incroyable pour se planquer le plus possible ! ». 

Le besoin de mesurer et d’objectiver le phénomène des personnes sans abri sur leur territoire a conduit des communes à organiser les « nuits de la solidarité ». Sans prétendre à l'exhaustivité, cette démarche permet « d’affiner nos politiques publiques (comme de prévoir des bagageries pour répondre aux difficultés de se déplacer avec), d'éviter les instrumentalisations, de rendre visible cette question des personnes à la rue, pour que tout le monde assume que l'on doit se mobiliser collectivement pour construire des parcours pérennes et dignes », assure Léa Filoche. Une proposition de loi, adoptée par le Sénat en janvier, et qui attend son examen par les députés, propose d'ailleurs de généraliser l'expérience aux villes de plus de 100 000 habitants.

Une compétence par défaut

Les collectivités n'ont pas de compétence sur l'hébergement, rappellent Léa Filoche et David Travers, adjoint au maire chargé de la Solidarité de Rennes, représentant les grandes villes (France urbaine). L'hébergement d'urgence est de la compétence de l'État mais « face aux urgences, de nombreuses collectivités font des mises à l'abri dans des haltes de nuit, des locaux vacants ou des gymnases ». Léa Filoche et David Travers citent nombre d'initiatives mises en place ou soutenues par leurs communes ou d'autres : accueils de jour dédiés, créneaux horaires dans les bains douches, haltes de nuit pour femmes, accueils de jour pour des femmes victimes de violence, coupe-files pour les distribution alimentaire (sinon les femmes ne s'y rendent pas), sage-femme « volante », etc. 

Pour les collectivités, le problème n'est pas de mener ces actions, mais « que l’État refuse de nous aider à créer des places d'hébergement ou des autorisations d'occupation temporaire comme nous l'avons proposé à Paris », dénonce Léa Filoche. « On a vu des campements à l’année avec des femmes et des enfants mineurs à la rue y compris à Rennes, c'est inédit. Cela avait entrainé une réaction et des promesses de l'ancien ministre Olivier Klein à l'hiver 2022, l’État avait suivi en région, mais l'année suivante, l’État n'a plus suivi ni dans notre région ni ailleurs », s'insurge David Travers. « Associations et collectivités ont des solutions mais nous sommes débordés », souligne l'élu. Un message envoyé à l’État pour qu'il assume ses responsabilités et déploient les politiques publiques ad hoc. « Le problème aujourd'hui est qu’on ne complète pas un dispositif, on le supplée ! »  résume Léa Filoche. 

« Filets sociaux » 

Faut-il aller jusqu'à des réponses spécifiques ?, interrogent des sénatrices. Les deux élus sont affirmatifs. « Il y a des enjeux de spécificité, dans la mixité des hébergements, mais aussi tous les services (douches, accueils sociaux, restaurant social) auxquels on doit réfléchir en termes de sécurité, d’apaisement. Il ne s'agit pas de séparer mais au moins y réfléchir ». 

Les élus attirent également l'attention sur les « filets sociaux »  qu'il s'agit de « maintenir et renforcer », pour assurer que des femmes ne basculent dans la grande précarité, par exemple à la suite de violences intrafamiliales, d’une rupture, etc. Autre alerte, sur le nombre élevé de femmes, en situation irrégulière, et qui souvent « toutes travaillent dans les métiers en tension »  mais qui ne peuvent s'en sortir « ni expulsables ni régularisables », « sauf à attendre des années ». 

Dernier point de vigilance, les communes ont aussi des obligations légales (domiciliation administrative, scolarisation des enfants), insiste Léa Filoche, regrettant que certaines s'en exonèrent encore. 

Quant aux départements, pourtant compétents pour la mise à l’abri des femmes seules avec enfants de moins de 3 ans, ils auront été les grands absents de ce débat. « Mais ce n'est pas faute de les avoir invités »  se défend Dominique Vérien, visiblement irritée : « Départements de France a été sollicité mais il n'a pas été possible de trouver un représentant acceptant d'y participer, nous n'avons que cent départements en France ». 

La délégation rendra son rapport le 8 octobre.

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