Télétravail: plébiscité par les salariés mais non sans « écueils », disent des professionnels
Le télétravail, testé par de nombreux salariés pendant le confinement, peut s’avérer très bénéfique mais il n’est pas sans « écueils », d’où la nécessité de trouver sa juste « dose » et de l’« encadrer » avec de nouvelles pratiques managériales adaptées, estiment des spécialistes.
Près d’un tiers des salariés et des entreprises pratiquaient le télétravail fin 2019. Ils sont passés à 41 % en mai 2020, souligne Anne-Sophie Godon-Rensonnet, directrice de l’innovation à Malakoff Humanis dans son baromètre annuel consacré au sujet.
Parmi ces télétravailleurs, « 4 sur 10 sont des nouveaux télétravailleurs », passés des locaux de leur entreprise à cinq jours sur cinq à domicile : « plus de femmes, de professions intermédiaires, de non-manageurs et de plus petites entreprises », ajoute cette professionnelle lors d’une visioconférence lundi organisée par l’Agence nationale de l’amélioration des conditions de travail (Anact) dans le cadre de la semaine de la qualité de vie au travail.
Avant, les habitués du télétravail, « surtout des cadres et manageurs de grandes entreprises d’Ile-de-France (un salarié sur deux) avec des temps de transport importants », le pratiquaient en moyenne six jours par mois, souligne-t-elle.
L’Anact, qui a mené sa propre enquête auprès de « plus de 8 600 » salariés et agents publics, confirme que « 47 % d’entre eux n’avaient jamais télétravaillé ».
Pourtant, malgré son expérimentation brutale et forcée, et des conditions de télétravail très inégales, ce dernier est « plébiscité », selon ces professionnelles qui en soulignent d’abord les « bénéfices ». Les « difficultés », « connues » et « parfois exacerbées pendant la crise » demeurent mais « elles n’ont pas été plus importantes qu’en temps normal », assurent-elles.
Bénéfices
Selon Malakoff Humanis, salariés comme dirigeants d’entreprise estiment que le télétravail permet « un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle » (89 % vs 93 %), plus d’autonomie pour 88 % des salariés interrogés, et « plus d’efficacité » disent « neuf salariés sur dix et sept dirigeants sur dix ».
Ils s’accordent aussi sur le fait qu’il est « bénéfique à la santé » (76% des salariés, 71 % des dirigeants), génère moins de fatigue (86 % des salariés, 78 % des dirigeants). Il aurait permis à 79 % des salariés interrogés de faire des économies financières, sans compter un impact positif sur l’environnement.
84 % des personnes interrogées par Malakoff Humanis souhaitent d’ailleurs poursuivre le télétravail dont 40 % « de manière occasionnelle ou ponctuelle » et 44 % « de manière régulière ». Un constat confirmé par l’Anact qui parle de « 88 % » de travailleurs adeptes de l’expérience et qui veulent continuer.
Ce qui n’est pas sans « écueils », met en garde Christophe Nguyen, psychologue du travail et président co-fondateur du cabinet Empreinte Humaine, qui a réalisé trois enquêtes sur la « détresse psychologique » des travailleurs pendant le confinement.
Difficulté à séparer les temps et espaces de vie, échanges compliqués et tensions entre collaborateurs, difficultés techniques, charge de travail accrue, addiction au travail, difficultés d’organisation... Le télétravail a pu créer de la « détresse » (dépression, épuisement) dans un contexte « anxiogène », dit-il.
« 30 % des télétravailleurs évoquent l’incertitude et la crainte de perdre leur emploi, 44 % ont peur de l’échec et se sentent moins productifs et frustrés. Ils déplorent un travail haché et l’infobésité » dans un « cadre de fonctionnement de travail dégradé ». 60 % considèrent aussi qu’ils font « plus de réunions avec des amplitudes horaires plus longues », assure Christophe Nguyen.
« E-taylorisation »
Certains télétravailleurs (27 %) voient le télétravail comme « une contrainte en tant que telle », dont « 72 % sont en détresse psychologique ». « 39 % des télétravailleurs » se sentent isolés et « 53% veulent plus de règles de fonctionnement, ce qui est un vrai enjeu d’encadrement », souligne-t-il.
Faute de « nouvelles pratiques managériales adaptées », il craint une recrudescence des risques psychosociaux et parle même « d’e-taylorisation ». En effet, explique-t-il, « 54 % des salariés évoquent un travail répétitif, des tâches rébarbatives ». « 50 % ne s’estiment pas consultés pour le travail qui les impacte directement » et « deux tiers vivent la ‘’qualité empêchée’’ en faisant un travail qui aurait dû être fait différemment ».
« Le télétravail peut favoriser la créativité mais le sens de ce qu’on fait et le lien ne peuvent se faire qu’avec d’autres », conclut-il, « convaincu qu’il faut une dose de télétravail mais que le tout numérique ne sera pas suffisant ».
Sandra Biffot-Lacut (AFP)
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