Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 11 mars 2022
Aménagement numérique du territoire

Raccordements fibre : l'ubérisation de la filière détériore la situation dans certains territoires

Dans une note publiée sur son site, l'Avicca alerte sur la diminution des rangs de sous-traitance dans la fibre qui accélère l'ubérisation de la filière et détériore sensiblement la qualité des raccordements. La situation s'aggrave dans certains territoires et les opérateurs sont mis en cause par l'association.

Par Lucile Bonnin

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Les raccordements en fibre optique peinent à s’améliorer. Branchements « absurdes » , accidents de techniciens, déconnexions de particuliers… L’Avicca, l’association qui regroupe les collectivités engagées dans le numérique, indique que « l’ubérisation »  de la filière va s’accélérer et donc détériorer le déploiement de la fibre.

En cause : les sous-traitances en cascade (« mode STOC » ) pour le raccordement. Malgré la mise à jour des contrats de raccordements FttH avec le STOC V2, l’Avicca exprime son inquiétude sur cette limitation de la sous-traitance au rang 2, qui « semble à ce jour non seulement sans effet sur la situation des rangs 2 »  mais également inefficace pour « une reprise en main par les Ocen (opérateur commercial d'envergure nationale) de cette sous-traitance » . La situation tend même à s’aggraver à plusieurs niveaux. 

Dans les territoires où le déploiement de la fibre s’est plutôt bien passé, les raccordements ne semblent pas se dégrader. En revanche, dans les endroits où le déploiement est déjà compliqué, « ça se dégrade fortement, selon Ariel Turpin, délégué général de l’Avicca interrogé par Maire info. Certains citoyens étaient déconnectés trois fois par an, désormais ils le sont dix fois par mois. On observe des raccordements absurdes qui dépassent l’entendement et impossible pour les opérateurs de remonter dans leurs chaines de sous-traitance pour identifier le responsable. » 

Une ubérisation inquiétante de la filière 

Après avoir assisté à une réunion en février dernier des principales fédérations des entreprises locales de rang 2, l’Avicca a pu constater qu’il était « impossible pour une entreprise du secteur de réaliser la moindre marge en effectuant les travaux de raccordement à la fois dans les règles de l'art et en respectant les règles de sécurité. Seule solution : s'affranchir des règles de sécurité. » 

Résultat : ces TPE/PME « ferment les unes après les autres ou ne s’occupent plus des raccordements »  et « les autoentrepreneurs explosent » , explique Ariel Turpin. Les raccordements sont mal réalisés car les conditions de travail ne sont pas acceptables. « Ces personnes sont très souvent non-formées, non-habilitées et il y a régulièrement des accidents très graves ». 

Il y a quelques semaines, un technicien de 28 ans est d’ailleurs mort à Sainte-Tulle, près de Manosque, alors qu’il « intervenait près d'un poteau métallique, portant une ligne à haute tension de 20 000 volts », selon France Bleu Provence.

Des conséquences pour les territoires 

« Certaines personnes attendent leur raccordement depuis des mois, d’autres ont eu le raccordement mais sont coupés depuis longtemps, rapporte le délégué général de l’Avicca. Les raccordements mal réalisés viennent se coupler avec les problématiques de coupures. »  Ainsi, « il y a le feu dans les territoires. » 

Mais il y a une disparité. Dans certains territoires, il n’y a rien à déplorer, ou presque. « Souvent quand il n’y a pas de problème c’est que l’opérateur d’infrastructures (OI) est aussi le seul opérateur commercial (OC) ou réalise 80 à 90 % des raccordements [dans une même commune par exemple]. Quand d’autres opérateurs entrent en jeu, cela commence à être plus problématique. »  Concrètement, c’est la course à l’installation rapide et la qualité n’est plus du tout une priorité.

Les raccordements ne posent notamment pas problème lorsque ce sont les équipes locales des opérateurs qui s’en chargent. « Dans d’autres cas c’est la collectivité qui fait le raccordement elle-même comme l’Union des secteurs d'énergie du département de l'Aisne ou encore le Syndicat intercommunal d'énergies de la Loire » , et aucun incident n’a été à ce jour remonté. Bref, « sans passer par l’ubérisation de la sous-traitance tout semble fonctionner mieux. » 

Les élus dans une impasse

La situation dans certains territoires est particulièrement tendue. Las de voir se détériorer un peu plus chaque jour la situation, les citoyens ne savent plus quoi faire. Et il en va de même pour les élus. 

« De plus en plus de cas sont rapportés à l’Avicca de violences entre des administrés et des techniciens entraînant l’intervention de la gendarmerie, raconte Ariel Turpin. Les maires sont aussi victimes d’agressions verbales car ils sont en première ligne. On leur reproche par exemple les armoires ouvertes (dont ils ne sont pas propriétaires), mais les élus n’y sont pour rien ! » 

Malgré cette absence de responsabilité, les élus « s’impliquent dans la partie résolution du problème qui devrait être du ressort des opérateurs commerciaux » , rapporte le délégué général de l’Avicca. « Mais ce n’est pas normal ! » , proteste-t-il. 

Par exemple, il a été rapporté à l’association que, dans la commune de Meaux, la situation s’est améliorée car la mairie a installé des caméras de vidéosurveillance pour surveiller les armoires. « Cela a un coût et cela dédouane l’opérateur privé de faire son propre contrôle donc ce n’est pas une solution viable » , remarque Ariel Turpin. D’autres élus ont pris des initiatives qui restent questionnables du point de vue juridique comme cadenasser les armoires ou superviser les prestataires sur le terrain. 

Si agir à son échelle n’est pas une solution, que peut faire un élu quand l’infrastructure qui pose problème n’est pas la sienne et quand les opérateurs privés n’ont pas l’obligation de leur rendre des comptes ? L’Avicca les invite à aider l’association à s’investir dans le cœur du combat : réclamer la revalorisation de la rémunération des prestataires. « On ne peut pas laisser faire des pratiques où on sait qu’un prix minimum devrait être respecté, et c’est à l’État de le fixer ». 

L’Avicca encourage les élus à faire entendre leurs voix et les revendications des citoyens directement auprès des opérateurs en organisant par exemple « une réunion publique avec les habitants et les opérateurs qui sont les responsables. » 

Quelles solutions ? 

« L’Avicca attend un changement réglementaire et que le régulateur (l’Arcep) siffle la fin de la partie » , conclut Ariel Turpin.  L’association préconise notamment de « retirer le droit à raccorder en « mode STOC »  à des opérateurs qui n’ont pas un outil informatique qui leur permet de savoir si leur technicien en intervenant ne débranche pas un autre client. » 

D’autres problématiques émergent concernant le traitement des routes optiques ou encore l’identification des incidents sur le territoire national. « Dans le jeu de ping-pong entre l’opérateur d’infrastructures et l’opérateur commercial, il y a au moins 25 % des incidents qui ne sont pas connus de l’OI. »  L’Avicca déplore le manque de visibilité de ce qui se passe réellement dans les territoires et reste convaincue que ce phénomène est « intrinsèquement lié au mode STOC » , qui semble ne faciliter la tâche de personne. 

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