Pollution : le Conseil d'État condamne encore l'État et demande une accélération sur les ZFE
Par Franck Lemarc
Pour la période allant du 11 juillet 2021 au 11 juillet 2022, l’État a été condamné hier par la plus haute juridiction administrative à verser 20 millions d’euros à un certain nombre d’associations ou d’organismes, dont le Cerema et l’Ademe.
Des condamnations qui se succèdent
Cela fait cinq ans que, régulièrement, le Conseil d’État rappelle l’État à ses obligations, ou plus exactement aux obligations européennes en matière de qualité de l’air dans les agglomérations. En 2017, les magistrats avaient exigé que l’État mette en place des plans visant à réduire les taux de NO2 (dioxyde d’azote) et de PM10 (particules fines) dans 13 zones administratives de surveillance ou zones urbaines régionales (1). Trois ans plus tard, en juillet 2020, le Conseil d’État constatait que « l’État ne pouvait être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l’exécution complète de cette décision », et décidait donc de le condamner à payer une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard dans l’exécution de la décision.
Un an après, en août 2021, la décision a été la même, et l’astreinte a été renouvelée. Cette année encore, l’association Les Amis de la Terre a demandé au Conseil d’État de juger si l’État a rempli ses obligations, et les magistrats ont à nouveau répondu « non » – ou plutôt « non, pas entièrement ».
Du mieux, mais pas assez
Il ressort de l’instruction que la situation s’est « globalement améliorée » mais qu’elle reste insatisfaisante dans quatre zones sur treize. Si certaines zones, comme l’agglomération de Grenoble, ne présentent plus de dépassement en NO2, ou de dépassement en PM10 (c’est le cas de Paris), les seuils limites restent dépassés en NO2 à Paris, Lyon et Aix-Marseille. À Toulouse, le taux de NO3 reste juste en dessous de la valeur limite, mais il est en augmentation.
Les représentants du gouvernement, devant le Conseil d’État, ont mis en avant les mesures prises pour lutter contre la pollution de l’air (prime à l’acquisition de voitures électriques, plan de déploiement des bornes de recharge, Plan vélo, interdiction des chaudières au fioul et au charbon…). Mais les magistrats ont constaté que les effets de ces mesures n’étaient pas, dans les zones les plus polluées, mesurables.
Les révisions de PPA (Plans de protection de l’atmosphère) « récemment engagées ou en voie de l’être » n’ont pas non plus trouvé grâce aux yeux du Conseil d’État, qui juge que rien ne permet de prouver aujourd’hui, in concreto, l’efficacité de ces mesures.
Enfin, le gouvernement a fait valoir « le développement et le renforcement » des ZFE (zones à fortes émissions) , notamment via la loi Climat et résilience qui a rendu ces ZFE obligatoires dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants d’ici au 31 décembre 2024.
Là encore, si le Conseil d’État ne nie pas que ces mesures peuvent conduire à « une baisse attendue des niveaux de concentration en dioxyde d’azote qui peut être significative » , il juge que le calendrier de mise en œuvre reste trop « étalé dans le temps » et note même le « décalage » de l’entrée en vigueur complète de la mesure à Paris.
ZFE : le risque de fracture sociale
Fort de ces constats, le Conseil d’État a donc renouvelé sa condamnation : l’État devra verser deux fois dix millions d’euros (pour le premier et le second semestre de la période). Pour éviter tout « enrichissement indu », les magistrats n’ont alloué à l’association Les Amis de la Terre, seuls requérants, que la somme de 50 000 euros. Le reste sera versé aux différents organismes et agences chargés de lutter contre la pollution atmosphérique (Ademe, Cereme, Anses, Ineris, Atmo…). L’Ademe et le Cerema toucheront chacun autour de 5 millions d’euros.
Rappelons que le Conseil d’État a récemment confirmé, par ailleurs, que « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » constitue une « liberté fondamentale », pouvant donc donner lieu à une saisine du juge en référé-liberté. Le juge peut donc être saisi par toute personne qui estime que l’administration porte une « atteinte grave et manifestement illégale » à cette liberté fondamentale. Le juge peut alors ordonner à l’administration de prendre toute mesure pour faire cesser une telle atteinte, en quelques heures.
Cette décision pourrait avoir des répercussions directes pour les EPCI, qui risquent d’être mis en demeure sur cette base s’ils ne mettent pas en œuvre les ZFE au niveau local.
Et maintenant ? On peut s’attendre à ce que la décision d'hier conduise l’État à accentuer sa pression sur les collectivités pour leur faire adopter et appliquer, le plus vite possible, des ZFE. Mais le Conseil d’État, dans sa décision, ne considère la question que d’un strict point de vue environnemental, sans prendre en compte l’impact social de ces mesures. Or c’est précisément, en ces temps de contestation sociale sur fond d’inflation, de hausse des prix de l’énergie et de baisse du pouvoir d’achat, la question qui inquiète de nombreux élus.
Comme l’avaient expliqué les co-présidents de la commission Transport de l’AMF, en présentant récemment leurs propositions pour « une transition écologique adaptée aux déplacements du quotidien » (lire Maire info du 7 octobre), les ZFE présentent un risque lourd de « fractures territoriales et sociales » , parce qu’elles frappent « les plus fragiles » . Interdire l’accès aux villes aux véhicules les plus polluants revient, de fait, à interdire cet accès aux plus modestes, ceux qui ont les plus vieilles voitures, n’ont pas les moyens d’en acheter une plus conforme aux normes, sans parler d’un véhicule électrique.
Peut-être que la mesure annoncée hier par le chef de l’État, à savoir la mise en place de locations longue durée de voitures électriques à 100 euros par mois, pourra répondre en partie au problème. Mais cela sera-t-il suffisant ? De plus en plus d’élus s’inquiètent ouvertement de voir la mise en place des ZFE provoquer des contestations qui pourraient être brutales, à l’image de ce qu’avait été le mouvement des Gilets jaunes, en 2017-2018. Si les prix continuent d’augmenter sans que les salaires suivent, le gouvernement n’aura donc pas d’autre choix que de prendre des mesures drastiques pour faciliter l’accès des plus modestes à des véhicules propres.
À moins qu’il estime, d’un point de vue strictement comptable, que payer 20 millions d’euros chaque année aux organismes chargés de lutter contre la pollution lui revient moins cher.
(1) Rhône-Alpes, Paris Île-de-France, Marseille Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Toulon Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Nice Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Saint-Etienne Rhône-Alpes, Grenoble Rhône-Alpes, Lyon Rhône-Alpes, Strasbourg Alsace, Montpellier Languedoc-Roussillon, Champagne-Ardenne, Toulouse Midi-Pyrénées, zone urbaine de Martinique.
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