Maire-info
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Édition du lundi 21 juillet 2025
Agriculture

Pétition sur la loi Duplomb : démêler le vrai du faux

Déposée par une jeune étudiante de 23 ans sur le site dédié de l'Assemblée nationale, la pétition « Non à la loi Duplomb » a recueilli en quelques jours 1,3 million de signatures. Mais ce résultat, pour exceptionnel qu'il soit, ne peut à lui seul conduire à abroger la loi ou à la faire revoter au Parlement.

Par Franck Lemarc

« La loi Duplomb est une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire. Elle représente une attaque frontale contre la santé publique, la biodiversité, la cohérence des politiques climatiques, la sécurité alimentaire, et le bon sens. »  C’est par ces mots qu’Éléonore Pattery, étudiante « en master Qualité sécurité environnement », introduit la pétition qu’elle a déposée le 10 juillet sur le site de l’Assemblée nationale. Au fil des jours, cette pétition, largement relayée sur les réseaux sociaux, a rencontré de plus en plus de succès : elle a passé le cap des 500 000 signatures samedi 19 juillet, ce qui l’a encore davantage fait connaître et a conduit à faire plus que doubler le nombre de signatures au cours du week-end. Ce matin, à l’heure où nous écrivons, elle en est à presque 1,3 million de signatures. 

Loi Duplomb : un rappel

Pour mémoire, la loi dite Duplomb s’appelle en réalité « loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Elle a été adoptée définitivement le mardi 8 juillet après un parcours assez chaotique au Parlement. 

Ce texte comprend à la fois des mesures concernant les cultures et l’élevage. Le point qui a le plus focalisé l’attention est la réintroduction, à titre exceptionnel, d’un pesticide néonicotinoïde, l’acétamipride, dans certaines filières comme la culture des noisettes et des betteraves. Cette substance était interdite en France depuis 2020, mais elle est autorisée par l’Union européenne jusqu’en 2033. La ré-autorisation de cette substance est prévue sous bon nombre de conditions et de façon provisoire, mais cette décision a consterné tant les défenseurs de l’environnement qu’un certain nombre de scientifiques, compte tenu de la dangerosité de cette molécule notamment pour les insectes pollinisateurs… et pour les humains, cette substance étant potentiellement cancérogène. Selon la Ligue contre le cancer notamment, qui a qualifié le 9 juillet l’adoption de cette loi de « camouflet contre le principe de précaution » , il y a une « présomption forte »  que l’exposition à ces pesticides puisse provoquer des cancers du système lymphatique, du sang et de la prostate. 

Cette loi, par ailleurs, modifie les procédures environnementales pour la construction des grands bâtiments d’élevage et qualifie de droit les « méga-bassines »  de projets d’intérêt général majeur. (Pour en savoir plus sur le contenu de ce texte, voir le résumé établi par le site Vie-publique.fr). 

Le Conseil constitutionnel saisi

Aussitôt le texte adopté, des députés et des sénateurs de gauche ont saisi le Conseil constitutionnel, ce qui a pour effet de bloquer la promulgation du texte par le président de la République. 

Trois saisines différentes ont été déposées au Conseil constitutionnel. Elles attaquent le texte autant sur ses conditions d’adoption que sur le fond. 

Sur la forme, députés et sénateurs reprochent aux partisans de ce texte d’avoir « détourné »  la procédure parlementaire, en faisant adopter, le 26 mai, à l’Assemblée nationale, une motion de rejet préalable, ce qui a eu pour effet d’empêcher tout débat sur le texte au Palais-Bourbon et d’envoyer celui-ci directement en commission mixte paritaire. Si cette façon d’agir peut faire débat, il est peu probable que les Sages la censurent, le Conseil constitutionnel ayant constamment refusé de se prononcer sur le respect ou le non-respect du règlement de l'Assemblée nationale, rappelant que celui-ci n'a pas de valeur constitutionnelle et est donc en dehors de son champ de compétences.

Reste le fond : les requérants estiment que les dispositions de cette loi contreviennent à la Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle. Cette charte dispose notamment, à l’article 2, que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement » . Pour les requérants, la réintroduction de pesticides potentiellement dangereux contrevient à ce principe. Ils jugent également que le texte « méconnaît les principes constitutionnels de prévention et de précaution ». 

Le Conseil constitutionnel a un mois pour rendre son avis à compter de la date de dépôt de la saisine. La première ayant été déposée le 11 juillet, les Sages devront donc rendre une première décision au plus tard le 11 août. 

Les pétitions à l’Assemblée nationale

Mais en quoi consistent les pétitions déposées sur le site de l’Assemblée nationale ? Ce dispositif, pas forcément très connu, voit ses règles fixées par les articles 147 à 151 du Règlement de l’Assemblée nationale. Tout citoyen peut déposer une pétition, par voie électronique, adressée à président de l’Assemblée nationale. Une fois enregistrée, une pétition, si elle remplit un certain nombre de conditions de recevabilité, est attribuée à l’une des huit commissions permanentes de l’Assemblée, qui peut décider ou de la classer, ou de l’examiner. 

Un certain nombre d’étapes sont prévues par le règlement de l’Assemblée nationale : au-delà de 100 000 signatures, les pétitions sont mises en ligne sur le site officiel de l’Assemblée. À partir de 500 000 signatures, la pétition « peut »  faire l’objet d’un débat en séance publique, si la Conférence des présidents en décide. 

Une certaine confusion règne dans les déclarations des députés hostiles à cette loi depuis samedi : certains laissent entendre que l’atteinte des 500 000 signatures conduit  au réexamen du texte en séance. Ce n’est pas le cas : si la Conférence des présidents en décide, ce n’est pas le texte de loi qui sera débattu en séance, mais la pétition elle-même. Ce débat aura probablement lieu – c’est en tout cas la volonté exprimée ce week-end par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet.

Le règlement de l’Assemblée est clair : le débat s’engage par « l’audition du rapporteur de la commission » , se poursuit avec l’intervention des députés qui ont demandé la parole, avec prise de parole possible du gouvernement. Une fois que le dernier député inscrit a pris la parole, « la présidente passe à la suite de l’ordre du jour ». 

Il n’y a donc aucune chance que cette pétition, quel que soit le nombre de signatures qu’elle récolte, aboutisse directement au réexamen du texte. 

Et maintenant ?

En revanche, deux éléments peuvent retarder, voire empêcher la promulgation du texte. D’abord, une censure du Conseil constitutionnel. Si les Sages décident que le texte est contraire à la Constitution, il ne peut évidemment pas être promulgué – ou, du moins, si les Sages ne censurent que certains articles du texte, il sera promulgué après suppression des articles inconstitutionnels. 

Si ce n’est pas le cas, la décision finale revient au président de la République. La Constitution dispose en effet que ce dernier doit promulguer un texte 15 jours après son adoption définitive (ou après sa validation par le Conseil constitutionnel) mais qu’il peut, « avant l’expiration de ce délai, demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles ». Le Parlement ne peut refuser cette demande. 

C’est là que le succès considérable de cette pétition (qui, entre 7 heures et 11 heures ce matin, a recueilli plus de 80 000 signatures supplémentaires !) peut entrer en ligne de compte : Emmanuel Macron pourra estimer, au vu de ce succès, qu’il est politiquement préférable de demander que le texte soit à nouveau examiné par le Parlement. 

Les défenseurs de ce texte, ce matin, mettent en avant le fait que même un million de signatures ne représentent qu’une petite minorité de l’opinion publique. C’est exact d’un point de vue arithmétique, sans doute un peu moins d’un point de vue politique. Aucune pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale n’a jamais recueilli un tel nombre de signatures. On mesure mieux l’ampleur du mouvement en consultant la liste des pétitions et en les classant par nombre de soutiens : jusqu’à présent, la pétition ayant eu le plus de succès (une demande de dissolution de la Brav-M en 2023) n'avait recueilli que 263 000 signatures. Aucune pétition n'avait d'ailleurs jusqu'à présent dépassé le seuil des les 500 000 soutiens.

Ce succès indéniable est donc bien le signe d’un mouvement d’opinion, qu’il sera difficile au chef de l’État d’ignorer… tout comme il lui sera difficile d’ignorer la pression des principaux syndicats agricoles pour tenir bon sur ce texte. 

Réponse, donc, d’ici la fin août, soit 15 jours au maximum après la décision des Sages. 

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