Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 6 février 2023
Outre-mer

Outre-mer : des propos du ministre Gérald Darmanin qui choquent les élus

Les propos tenus par le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, jeudi dernier à Paris, dans le cadre d'un colloque organisé par l'hebdomadaire Le Point ont choqué. L'AMF dénonce ces déclarations qui « alimentent des stéréotypes et nourrissent du ressentiment entre l'Hexagone et les outremers. »

Par Lucile Bonnin

Intitulé « Les Outre-mer aux avant-postes » , un colloque a été organisé par le magazine Le Point jeudi dernier à la Maison de l'Océan à Paris. Cette deuxième édition du forum des Outre-mer organisée par l’hebdomadaire a été rythmée par des conférences et débats sur des sujets d’actualité prioritaires pour les territoires ultramarins.

« Élections en Polynésie, vivre-ensemble à Mayotte, appel de Fort-de-France à une refondation de la relation entre la métropole et ses territoires ultramarins : aux quatre coins du globe, l'actualité des outre-mer sera brûlante en 2023 » , pouvait-on lire sur le site de l’organisateur. 

Parmi ce programme riche, une conférence s’est déroulée en la présence du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin. Le moins que l’on puisse dire c’est que les déclarations du ministre ont déclenché un tollé général chez les élus.  

Réforme institutionnelle : « une question qui intéresse les élus, pas les habitants » 

Selon l’AFP, le ministre a amoindri les questions de la réforme institutionnelle que réclament plusieurs territoires ultramarins.  Selon Gérald Darmanin, c’est une « question qui intéresse les élus, pas les habitants » . Il a poursuivi en expliquant que « ce sujet institutionnel est un sujet d'élus, et malheureusement [il] constate la même chose en Corse, c'est un sujet d'élus qui ne veulent pas toujours appliquer les compétences qu'on leur a données. Il faut qu'on ait la franchise de le dire aux ultra-marins ». Le terme de « franchise »  est à considérer avec précaution. 

Toujours selon le ministre, « les gens spontanément dans la rue ne vous parlent pas d'institutions. Les gens, ils veulent, le développement économique, un logement, plus de subventions, de sécurité, mais pas d'institution différente. » 

L’AMF, dans un communiqué, a jugé ces propos « surprenants »  car ils semblent « remettre en cause l’intérêt de la démarche engagée par le président de la République de consultation des élus sur une réforme institutionnelle voulue aussi par Paris, et qu’elle affaiblit le travail du ministre délégué aux outremers. »  Ce manque de cohérence n’a pas manqué d’interloquer les élus. 

« Révisionnisme historique » 

Et les déclarations offensantes se sont enchainées. Le ministre a abordé la question de l’économie et de l’autonomie de ces territoires. D’abord, Gérald Darmanin a expliqué ceci – avec un ton paternaliste qui ne l’a pas quitté pendant toute son intervention : « C’est la République française qui a aboli l’esclavage. La France a sans doute mis dans des conditions extraordinairement difficiles les populations colonisées, mais c’est la République qui a aboli l’esclavage. Donc on leur demande d’aimer la République, pas toute l’histoire de France bien évidemment. » 

Cette déclaration a été jugée particulièrement méprisante par une vingtaine de députés ultramarins, qui l'ont dénoncée dans un communiqué commun. Les signataires accusent le ministre d'un « révisionnisme historique » . Les élus rappellent que l’abolition de l’esclavage évoqué par le ministre est « le résultat de la résistance constante des esclaves, contraints d’arracher leur liberté là où les décisions de la République mentionnée par Gérald Darmanin tardaient à être proclamées, et plus encore, à être appliquées. » 

Autre déclaration choquante : « Vous n’aurez d’autonomie demain que si vous êtes capables de produire ce que vous mangez, ce que vous consommez comme électricité et c’est par la richesse économique que vous aurez des recettes et pas par des subventions. »  Le ton méprisant utilisé par le ministre a été aussi mal apprécié que la fausseté des arguments avancés. En effet, l’AMF a précisé dans son communiqué de presse que « l’autonomie alimentaire ou énergétique ne saurait constituer un préalable à la libre administration, d’autant plus qu’aucune région de France ne produit entièrement ce qu’elle consomme ! » 

En ce qui concerne les « subventions »  citées par le ministre de l’Intérieur, l’AMF « rappelle que les dotations ne sont pas des ''subventions'' mais des dus, qui viennent compenser la suppression par l’État de la fiscalité des collectivités. L’État est en outre mal placé pour dicter aux collectivités comment accroître leurs recettes, lui qui d’une part supprime un à un les impôts locaux, et d’autre part, est lui-même en déficit et contraint de recourir aux sur-prélèvements et à la dette pour son fonctionnement. » 

Des propos « déplacés » 

Le ministre a continué en adoptant un ton plus provocateur encore. Il a interrogé indirectement les élus des territoires d’outre-mer en déclarant : « Si la France s’en va de ces territoires, qui va venir si vous n’êtes pas capable de vous développer personnellement ? » 

À cette question, censée être rhétorique, le ministre répond : « La Chine ! Est-ce qu’il faut changer la France quand on est calédonien ou polynésien ? C’est une question très intéressante ! Est-ce qu’il y a plus de garanties démocratiques pour ces pays avec la France ou avec la Chine ? Les australiens et néo-zélandais pendant très longtemps ont poussé les mouvements indépendantistes en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. Désormais ils nous demandent de rester, ils nous aident ''contre'' les Chinois parce que, eux-mêmes, ont compris que le sujet n’est plus de savoir si la France est présente ou pas dans le Pacifique mais est-ce que c’est le monde occidental qui l’emporte ou le monde chinois. » 

Pour l’AMF, « ce[s] propos déplacé[s] oblig[ent] à rappeler des évidences républicaines : ces ''territoires'' font partie de la France, elle n’y ''vient'' pas, et le ministre de l’Intérieur n’a pas à déclarer qu’elle saurait plus ''s’en aller'' des outremers que de l’Hexagone. L’exécutif devrait au contraire veiller à l’unité républicaine de la nation, et notamment faire en sorte que l’État soit mieux présent pour assurer la sécurité de la population qui relève de son ressort direct, empêcher les multiples trafics de drogue et d’armes d’entrer sur le territoire depuis les outremers, notamment la Guyane et les Antilles, et agir pour l’effectivité de l’offre de soins. » 

« Créer de la division » 

La situation post-covid a aussi été abordée lors de cette conférence. Le ministre a estimé que la crise sanitaire a « créé quelque chose de très difficile contre le pouvoir central et notamment dans ce que nous représentons : la raison, le progrès, la science. »  Il a évoqué des « ressorts de la société assez différents aux Antilles »  les qualifiant de « respectables »  mais qui, selon lui, ont permis à « monsieur Mélenchon et madame Le Pen de surfer sur cette démagogie anti-progrès localement. » 

L’AMF estime que ce discours alimente « des stéréotypes et nourrissent du ressentiment entre l’Hexagone et les outremers » , ce « qui ne fait que créer de la division plutôt que d’apporter une solution aux problèmes concrets des outremers. » 

D’autres rappellent que le ministre n'en est pas à son coup d'essai. La députée de la Réunion Karine Lebon a déclaré à Outre-mer la Première que « c’est loin d'être le premier affront, la première outrance, du gouvernement à l'égard des Outre-mer. Si on avait voulu faire un bingo des choses à ne pas dire et à ne pas faire, Gérald Darmanin et le gouvernement en auraient coché toutes les cases. » 

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