Déploiement de la fibre dans les territoires : les grandes priorités à fixer avant 2030
Par Lucile Bonnin, Ã Strasbourg
« Il serait dommageable de crier ‘’cocorico’’ dès maintenant alors qu’il reste tant à faire », a déclaré Philippe le Grand, président d’InfraNum. Certes la fibre à la française n’a rien à envier à ses voisins européens, concernant son chantier de déploiement, tant par sa cadence effrénée que par le nombre de prises rendues raccordables ; mais pour achever le plan France très haut débit avec succès, il faudra veiller à ce que la France ne soit pas « un bon élève éphémère », souligne le président d’InfraNum.
On le sait, en théorie tout se passe toujours bien. Rappelons que le plan France très haut débit (PFTHD) vise à couvrir l’intégralité du territoire en fibre optique d’ici 2025, c’est-à-dire avant la fermeture du réseau ADSL (dit réseau cuivre) par l’opérateur historique Orange. Dès 2026 d’ailleurs, l'ensemble des lignes cuivre devrait être fermé commercialement par l’opérateur.
Mais dans la réalité, la stratégie appliquée dans les territoires rencontre des couacs, des imprévus et des impensés. Alors qu’il reste quelques années pour veiller à ne laisser personne sur le bord de la route, les acteurs de la filière du numérique et les collectivités ont identifié les axes prioritaires sur lesquels il faut agir dès maintenant pour réussir ce grand plan national, malgré un État qui reste pour le moment aux abonnés absents.
Complétude et calendrier : des ajustements sont prévus
La sentence a déjà été prononcée par l’Arcep le mois dernier (lire Maire info du 27 septembre) : des « reports » ou « retards », selon les points de vue, sont à prévoir concernant la fermeture du réseau cuivre. Cela confirme que l’ancien réseau ne pourra pas être fermé si l’objectif de complétude n’est pas atteint.
Séverine Reynaud, vice-présidente de l’Avicca, insiste : « Le 100 % fibre est une priorité pour les collectivités. Les élus ont promis la fibre à tous les citoyens et il n’est pas question qu’une ferme qui est éloignée d’une commune soit obligée de passer par le satellite alors qu’elle avait auparavant l’ADSL ». A l’échelle locale, la fibre est en effet une question de justice sociale.
Marie-Christine Servant, membre du collège de l'Arcep, a rappelé que « les objectifs du plan d’Orange de bascule du cuivre vers la fibre ne sont pas en phase avec les prévisionnels de déploiement qui ont été donnés » et qu’il n’est pas non plus envisageable de fermer l’ADSL « dans des zones où les réseaux ne sont pas bien construits ni bien exploités ». Les opérateurs ont en effet engagé des travaux de reprises des infrastructures les plus accidentogènes, mais « on est encore au milieu du gué », observe l’Arcep.
Les acteurs de la filière prennent les rênes de la communication
Tous les acteurs ont également souligné la nécessité de mettre en place une communication neutre nationale sur le décommissionnement du cuivre – demande formulée par l’AMF depuis déjà plusieurs années. « Il est l’heure maintenant d'avoir (…) une communication d’État, du gouvernement, avait lancé la présidente de l’Arcep. Cela donnera un cadre justifié aux démarches nécessaires des opérateurs, cela permettra aux Français d’anticiper les travaux à faire, cela rassurera sur les solutions de connectivité existante à la place du cuivre. ».
Il a alors été dévoilé hier que les acteurs de la filière et notamment Orange Concessions (branche dédiée aux Réseaux d'initiative publique) vont se saisir du sujet, étant donné que l’État ne semble pas décidé à le faire. « Le but est de lancer une campagne de communication à destination des citoyens très neutre et accessible, explique Philippe le Grand. On a tous à gagner à ce que les usagers migrent du cuivre vers la fibre et si on ne le fait pas cela pourrait entraîner des déboires ou des gros ratés ».
Raccordements complexes : une expérimentation prévue
« Il y a encore des trous dans la raquette », reconnaît le sénateur de la Somme, Rémi Cardon, qui proposait il y a quelques mois un « manifeste de la gauche numérique » au Nouveau Front Populaire. Ces trous dans la raquette mènent à « des injustices territoriales et sociales ». Les raccordements complexes en font partie.
Dans certaines communes, les derniers mètres pour amener la fibre jusqu'aux habitations ne sont pas si simples. Des travaux chez les particuliers sont souvent nécessaires et ils peuvent être particulièrement coûteux, allant jusqu’à plusieurs milliers d’euros parfois – la charge financière totale revenant au particulier. « Certains refusent de faire les travaux, d’autres ne peuvent tout simplement pas », indique la vice-présidente de l’Avicca.
Jusqu’ici rien n’était prévu pour ces particuliers. Mais comme l’a souligné Gaël Sérandour, directeur adjoint des Investissements numériques de la Caisse des dépôts, une ligne budgétaire a été prévue dans le projet de loi de finances 2025 pour « traiter cette problématique du domaine privatif ». En effet, on peut lire dans la présentation de ce dernier qu’une « expérimentation à hauteur de 16,1 millions d’euros sera lancée en 2025 afin d’évaluer le coût des raccordements complexes dans le domaine privé. » On ne sait pas encore si cette expérimentation proposera des chèques raccordements pour les particuliers ni même si elle sera maintenue lors de l’examen du texte mais c’est un « premier élan », reconnaît Gaël Sérandour qui ajoute qu’il est indispensable cependant « d’aller plus loin ».
Pour franchir une nouvelle étape, l’Avicca et InfraNum plaident depuis plusieurs années pour la « création d’un Fonds de péréquation des réseaux optiques » (lire Maire info du 15 mars 2023). Par ailleurs, le dispositif mutualisé de financement du génie civil porté et proposé par la Banque des Territoires n’a pas été concrétisé. La question des raccordements complexes dans le domaine public comme privé n’est donc que très partiellement traitée. « Ce qui nous manque c’est du courage et que l’État soit là, avec les collectivités et l’ensemble de la filière », a conclu Séverine Reynaud.
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