Finances locales : la foire aux mauvaises idées est ouverte
Par Franck Lemarc
Comment faire contribuer les collectivités territoriales au redressement des comptes publics ? Alors que les associations d’élus tentent surtout de défendre l’idée que la question est mal posée, puisque les collectivités ne sont pour rien dans le creusement catastrophique du déficit de l’État, d’autres estiment que la ponction envisagée par le gouvernement n’est pas suffisante.
L’Institut Montaigne explique les dépenses par les recettes
Après la Cour des comptes et sa proposition de supprimer 100 000 postes de fonctionnaires territoriaux (lire Maire info du 3 octobre), c’est le groupe de réflexion libéral Institut Montaigne qui a réfléchi à la question. Dans une « note d’enjeu » intitulée Finances publiques, la fin des illusions, l’Institut Montaigne préconise des mesures susceptibles selon lui de générer « 150 milliards d’euros d’économies à horizon 10 ans ».
Cette note a au moins un avantage, c’est qu’à côté, le budget pourtant douloureux de Michel Barnier apparaîtrait presque généreux : la purge proposée par l’Institut Montaigne est en effet d’une tout autre ampleur. Outre des mesures sociales plutôt brutales, comme « le recul de l’âge minimal de départ en retraite à 66 ans », la désindexation des pensions de retraite et des APL « pendant quatre ans » ou l’instauration de trois jours de carence dans la fonction publique, l’Institut propose des mesures particulièrement violentes contre les collectivités locales, avec rien moins qu’une réduction de la DGF de … 25 milliards d’euros.
Les arguments sont connus, pour ne pas dire ressassés : les dépenses des collectivités et leurs effectifs augmentent trop et trop vite. L’Institut relève que les effectifs de la fonction publique territoriale ont augmenté « hors effet de la décentralisation » de 50 % en 25 ans, soit « six fois plus que la fonction publique de l’État ». D’abord, on serait curieux de savoir comment ce chiffre a été calculé, et plus précisément comment l’Institut Montaigne arrive à distinguer si précisément ce qui est un « effet de la décentralisation » et ce qui ne l’est pas. Mais surtout, il semble ne pas venir à l’esprit des auteurs du rapport que c’est précisément pour pallier la carence de la fonction publique de l’État que bien des collectivités sont obligées d’embaucher ! L’exemple typique étant la police municipale, qui, en effet, n’est pas un effet de la décentralisation, puisqu’aucune compétence n’a été transférée, mais qui correspond à des créations de postes permettant de compenser un peu les reculs de l’État en la matière.
Les élus seront également assez surpris de lire dans le rapport que « cette tendance [à la hausse des effectifs de la FPT] ne se matérialise pas l’évaluation ou l’observation objective d’un supplément de services rendus par les collectivités locales » – ce qui est une contre-vérité. Il suffit de se référer, par exemple, à l’étude Kantar publiée en juillet 2023 pour apprendre que « 81 % des personnes interrogées se déclarent satisfaites quant à la qualité des services publics locaux à leur disposition au quotidien », ce qui est « une progression de 7 points par rapport à 2020 ». On pourrait citer une autre étude, réalisée par Ifop celle-ci en janvier dernier, et consacrée au « regard des Français sur les services publics » , où est notamment posée la question suivante : « Entre les acteurs suivants, lequel gère le mieux l’argent issu des impôts ? ». « Les mairies » arrivent très largement en tête, avec 38 % de réponse contre… 8 % pour « l’État ».
Cela n’empêche pas l’Institut Montaigne d’expliquer qu’il y a « trop de communes » et de prôner une réduction drastique de leur nombre. Mais l’argument le plus étonnant de l’Institut concerne la réduction des dotations. En résumé, les auteurs du rapport expliquent (p.96) que les collectivités ne dépensent pas de l’argent parce qu’elles font face à des facteurs objectifs de dépense, mais… parce qu’elles ont de l’argent. C’est écrit noir sur blanc : « Les recettes sont le principal facteur explicatif des dépenses des communes et des intercommunalités, c’est-à-dire que plus une collectivité dispose de moyens financiers, plus elle a tendance à les dépenser. » La solution est donc simplissime : pour réduire les dépenses des collectivités, il suffit de diminuer leurs recettes. C’est là que l’Institut préconise une baisse de 25 milliards d’euros sur la DGF.
Cet argument selon lequel les collectivités ne dépensent de l’argent que parce qu’elles en ont, et non du fait de facteurs objectifs de dépenses, est confondant. Rappelons, pour ne prendre qu’un seul exemple, que l’institut I4CE a tout récemment démontré que les collectivités devraient investir 11 milliards d’euros supplémentaires par an pour atteindre les objectifs de la transition écologique.
Christian Estrosi demande « la suppression du CNFPT »
Une autre salve de propositions est tombée hier, après une réunion des maires appartenant au parti Horizons, à l’Assemblée nationale. Au sortir de cette réunion, le maire de Nice, Christian Estrosi, a publié un communiqué sur X expliquant que les maires de son parti « refusent le coup de rabot » demandé par le gouvernement. Jusqu’ici, rien d’étonnant – c’est la position de toutes les associations d’élus.
Plus surprenantes sont les propositions du maire de Nice et de ses collègues pour que les communes « participent à l’effort national ». D’abord, la création d’un « système de bonus-malus qui distingue les maires vertueux des autres », ce qui semble être la définition même des contrats de Cahors de triste mémoire. Sans compter que l’on se demande ce que signifie être un « maire vertueux », ce qui n’est pas précisé dans le communiqué.
Mais la proposition la plus polémique vient après : Christian Estrosi propose tout simplement « la suppression du CNFPT, qui représente à lui seul près de 1 % de notre masse salariale ».
Sans surprise, cette proposition a reçu une réponse cinglante du CNFPT lui-même, sous forme d’un communiqué signé de Yohann Nédélec, adjoint au maire de Brest et président du CNFPT.
Yohann Nédélec « rappelle » à Christian Estrosi que le CNFPT « forme chaque année plus d’un million d’agents territoriaux » et qu’il joue « un rôle péréquateur et mutualisateur, qui permet à toutes les collectivités pauvres ou riches, où qu’elles soient, quelle que soit leur taille, de former tous les agents sans distinction de grade ou de catégorie ? ». Et d’enfoncer le clou : « Sans le CNFPT, qui assurerait la formation de nos assistantes maternelles, de nos aides à domiciles, des agents affectés à l’aide sociale à l’enfance, de nos secrétaires généraux de mairie, de nos policiers municipaux, de nos sapeurs-pompiers, ou encore des hommes et des femmes qui entretiennent nos espaces publics de nos personnels techniques dans nos écoles, collèges, lycées… ? » Et il rappelle que « sous prétexte d’économies, il en couterait 3 à 4 fois plus cher aux collectivités d’avoir recours au secteur privé pour former aux 240 métiers exercés par leurs agents ».
Yohann Nédélec demande donc au parti Horizons de bien vouloir « éclaircir sa position », pour savoir si cette demande relève d’une position personnelle du maire de Nice ou si elle est partagée par tous les élus de son parti, notamment Édouard Philippe.
On le saura rapidement, puisque les députés Horizons, comme tous les autres, vont avoir l’occasion de présenter des amendements dans le cadre de la discussion du budget.
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