Le Sénat propose 20 mesures pour renforcer la cohésion numérique dans les territoires
Par Lucile Bonnin
L’inclusion numérique est un sujet qui anime depuis longtemps de nombreuses discussions au Sénat. Que ce soit autour du sujet de la désertification médicale (lire Maire info du 22 octobre) ou de celui de la démocratie locale (lire Maire info du 3 décembre), le numérique apparait comme un enjeu omniprésent lorsqu’il s’agit de penser l’avenir des territoires.
Dans un communiqué de presse du 4 avril, le Sénat rappelle les engagements de l’État en matière de réduction de la fracture numérique à travers la Stratégie nationale pour un numérique inclusif publiée en 2018. Mais les sénateurs ont constaté que, « près de quatre ans après, le constat demeure alarmant » avec toujours autant de personnes qui renoncent à effectuer des démarches en ligne et des écarts qui persistent « entre les territoires "leaders" en matière de numérique et ceux dans lesquels l’exclusion numérique peut accroître un sentiment de relégation. »
C’est à partir de ces constats qu’a été confiée une mission d’information à la sénatrice des Alpes-Maritimes Patricia Demas qui « appelle à enfin faire de cet enjeu une priorité nationale, dotée de financements pérennes » et apporte des préconisations « pragmatiques » et « de bon sens » à partir notamment d’une consultation en ligne des élus. Ainsi, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a formulé 20 propositions « simples et pragmatiques au profit des acteurs locaux ».
Une feuille de route « claire »
D’un côté, l’objectif fixé par le gouvernement est celui de rendre les services publics 100 % dématérialisés d’ici 2022. De l’autre, une large part de la population n’a pas les compétences ou l’accès au numérique (17 % de la population ne maitrise aucune compétence numérique). Le rapport met donc en avant la nécessité d’élaborer une politique nationale d’inclusion numérique efficace avec plus de cohérence et de clarté.
La mise en place de cette politique passerait d’abord par une collecte de données précises sur l’illectronisme de la population dans les territoires pour atteindre trois objectifs : refonder la stratégie de 2018 avec un calendrier prévisionnel des appels à projets (AAP) et à manifestation d’intérêt (AMI) ; prévoir des financements pérennes et élaborer un guide national présentant les outils mis à disposition des collectivités territoriales comme celui du pass numérique par exemple.
Au sein de cette feuille de route, il est nécessaire selon les sénateurs de clarifier également « l’écosystème local de l’inclusion numérique » en créant des commissions territoriales en la matière afin de coordonner les interventions locales, en intégrant un volet « inclusion numérique » dans les SDAN (Schéma directeur d’aménagement numérique) et en attribuant aux Hubs* une dotation « visant à garantir l’accomplissement de leurs missions essentielles. »
Intensifier les efforts contre la fracture numérique
Avec la généralisation de la fibre, et surtout avec la fermeture du réseau cuivre (lire le Maire info d’hier), la priorité est de « garantir l’accès aux réseaux internet sur l’ensemble du territoire » . On constate « à mesure que le réseau avance » que certaines « prises sont de plus en plus difficiles à construire, en particulier dans les zones rurales et montagneuses. »
Ainsi, le Sénat préconise de garantir l’existence du fonds de financement des raccordements complexes à la fibre et d’en augmenter le montant si besoin. Il est tout aussi utile de prévoir un prolongement du guichet Cohésion numérique des territoires jusqu’en 2025.
Mais la solution selon les sénateurs est avant tout de donner aux collectivités territoriales les moyens d’agir en les dotant d’outils pour pouvoir mettre en place des projets d’accompagnement des personnes éloignées du numérique au niveau local.
La consultation en ligne a été l’occasion pour les élus locaux de relayer les principales difficultés rencontrées dans l’élaboration de projets d’inclusion numérique sur leur territoire : 83 % des élus ne disposent pas d’un recensement des acteurs de médiation numérique présents sur leur territoire, 52 % ne disposent pas d’un service de médiation numérique à proximité de leur commune et 81 % ne disposent pas d’un service de médiation numérique itinérante sur leur territoire.
La rapporteure propose donc que l’utilisation de la DETR soit encouragée pour l’acquisition, d’équipements numériques et que le financement par l’État des conseillers numériques France services soit pérennisé jusqu’en 2025. Cette question est cruciale depuis l’annonce du déploiement de ces 4 000 conseillers et le gouvernement a toujours été évasif sur la question de la prise en charge de ces derniers après deux ans (lire Maire info du 18 janvier 2021).
Enfin, pour agir au niveau local, il est souligné dans le rapport la pertinence de la réalisation d’une cartographie locale d’inclusion numérique et de l’institution d’un numéro vert dans les collectivités pour orienter les usagers. Il est aussi conseillé d’enrichir la plateforme « ressources » des collectivités territoriales de l’ANCT pour pouvoir offrir des exemples de dispositifs à d’autres territoires. La formation à l’inclusion numérique des agents doit aussi être encouragée de plus en plus.
Des doutes sur le pass numérique
Le rapport se termine sur un point bien précis : l’échec partiel du pass numérique et les éventuelles améliorations à lui apporter (lire Maire info du 23 mars 2021). En effet, « dans son rapport sur la dématérialisation, paru en 2022, le Défenseur des droits, citant des chiffres transmis par l'ANCT, indique que seuls 20 % des pass émis ont été distribués à des bénéficiaires. Le même rapport indique qu'une fois les pass distribués, "un bénéficiaire sur quatre ne les utilise pas" » .
La rapporteure évoque plusieurs pistes d’amélioration notamment celle d'instaurer une chaîne de distribution du pass numérique et un véritable suivi du bénéficiaire, afin d'inciter davantage d'usagers à l’utiliser. « À ce titre, les exemples de la métropole du Grand Lyon et du département des Pyrénées-Atlantiques sont particulièrement intéressants : ces collectivités ont mis en place un processus de distribution par lequel un acteur de "premier niveau" identifie la personne éloignée du numérique et l'adresse à un référent au sein de la collectivité commanditaire, chargé de proposer au bénéficiaire une formation adaptée à ses besoins puis d'assurer un suivi de son parcours de formation » , est-il indiqué dans le rapport.
Le Sénat partage aussi le bilan très critique dressé par la Cour des Comptes en mars dernier sur ce pass qui en est toujours « à un stade expérimental » . Il y a une nécessité d’évaluer l'efficacité de cet instrument pour « si nécessaire, (…) l'adapter ou (..) concevoir un outil plus opérationnel. »
*Les Hubs territoriaux sont des têtes de réseau de l'inclusion numérique au niveau départemental.
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