Maire-info
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Édition du vendredi 10 novembre 2023
Numérique

Intelligence artificielle : l'essor des jumeaux numériques en France

Comment utiliser l'intelligence artificielle au service des territoires ? Depuis quelques années, des projets de jumeaux numériques se développent pour aider l'État et les collectivités à planifier la transition écologique. Des éclairages ont été apportés lors du Trip de l'Avicca.

Par Lucile Bonnin

De nombreux échanges autour de l’intelligence artificielle ont eu lieu jeudi lors du Trip (réunion annuelle) de l’Avicca. Il y a quelques semaines, les conclusions de la mission confiée à Valérie Nouvel sur les territoires connectés et durables ont été remises officiellement au ministre chargé du Numérique, Jean-Noël Barrot à l’occasion de l’Université du très haut débit à Bourges (lire Maire info du 18 octobre). 

Le rapport pointe largement l’importance de développer des jumeaux numériques à la fois à l’échelle nationale et à l’échelle locale. Rappelons que l'on appelle « jumeau numérique »  la représentation virtuelle d'un produit, d'un processus, d'une personne ou d'un lieu physique, créé à partir de données collectées en temps réel et traitées par des algorithmes.

Le processus est déjà en marche. En effet, l’Institut géographique national (IGN) travaille sur la création d’un jumeau numérique à l’échelle nationale, en collaboration avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Des initiatives locales se développent aussi notamment à travers l’appel à projets « Territoires intelligents et durables (TID) ».

Concrètement, des problématiques liées à l’éclairage, l’eau, la prévention des risques, la performance énergétique, la gestion des déchets, peuvent se superposer sur un jumeau numérique d’un territoire donné « faisant de cet outil un support d’aide à la décision, d’allègement des procédures administratives, mais aussi de gestion prédictive » , comme l’explique Valérie Nouvel dans son rapport. 

Cinq ans pour construire le jumeau de la France 

Le projet de jumeau numérique de la France est en train d’être conçu par l’IGN qui « se veut cartographe de l’anthropocène et produit des référentiels de données pour observer le territoire quasiment en continu », comme l’explique Raphaëlle Heno, pilote du programme Innovation à l’IGN. 

Ce projet a pour ambition de construire en 5 ans le jumeau numérique de la France pour aider l’État et les collectivités à planifier la transition écologique. Concrètement, « on parle d’une réplique dynamique numérique en 3 dimensions (3D) du territoire et de services en ligne pour naviguer dans cette réplique et lancer des simulations. » 

« Cette proposition de jumeau de la France ne va pas suffire pour relever la transition mais cette proposition d’un outil technologique organisationnel se veut fédérateur de données et de technologies pour être plus efficace collectivement » , précise Raphaëlle Heno. Le principe est finalement de pouvoir « appréhender des dynamiques globales pour optimiser les ressources, les usages et dépasser le périmètre des métropoles afin de se donner les moyens d’analyser les phénomènes de façon décloisonnée ». Pour cette spécialiste du sujet, un jumeau national permettra aussi de « mieux comprendre les rétroactions des différents phénomènes envers les uns les autres ».

Un outil pour résoudre des problématiques concrètes 

Ce jumeau numérique va bénéficier avant tout aux territoires et notamment en matière de prise de décision sur les projets liés à la transition écologique. Raphaëlle Heno prend l’exemple du déploiement des éoliennes terrestres qui font débat au sein des territoires. Le jumeau numérique peut aider à percevoir le potentiel d’une installation d’éolienne. En effet, cet outil d’intelligence artificielle pourra permettre de « disposer, selon les implantations proposées, des estimations de rendement ou encore du pourcentage d’artificialisation des sols » . Les potentiels impacts visuels ou sonores pourront aussi être représentés dans ce jumeau numérique. 

Les élus pourront également s’appuyer sur cette réplique numérique pour faire de l’intermédiation dans des projets de méga-bassines – sujet ultrasensible dans certains territoires comme dans les Deux-Sèvres par exemple. Le jumeau permettra de « voir l’existant (ressource en eau, besoins tous usages) et de simuler le territoire avec et sans la mise en place de la bassine ».  

Le jumeau numérique pourra aussi « aider les élus à répondre à des réglementations qui sont parfois des injonctions contradictoires comme le ZAN et à prendre des décisions plus rapides ou à éventuellement faire évoluer la réglementation par voie législative ». 

Gestion de la donnée, diagnostic énergétique et propreté urbaine 

L’appel à projets « Territoires intelligents et durables »  est doublé d’un volet « Démonstrateurs d’IA frugale au service de la transition écologique dans les territoires »  (DIAT) doté d’une enveloppe globale de 40 millions d’euros de France 2030. Bordeaux Métropole, GIP Vendée Numérique, la ville de Metz et la ville de Noisy-le-Grand sont les quatre premiers lauréats de cette première vague. 

Cédric Seigneuret, directeur de l’association Géo Vendée, explique qu’en Vendée « on a tous de l’information sur le bâti mais c’est éparpillé. Nous avons besoin de les capitaliser pour aller plus loin et développer des cas d’usage » . Ce projet de mutualisation vise à produire « un cadastre solaire vendéen départemental mais aussi de l’utiliser pour identifier les ilots de chaleur, produire des simulations des périmètres d’inter-visibilité des éoliennes, etc ». 

Pour Bordeaux Métropole et Noisy-le-Grand, les jumeaux numériques auront vocation à travailler sur les données des bâtiments pour définir des diagnostics énergétiques. « Nous avons décidé de développer un outil pour définir le gain énergétique dans un bâti après rénovation avec un logiciel qui va calculer les différentes rénovations possibles et donner de façon fiable le gain énergétique » , raconte Christophe Trouillet, responsable aménagement numérique du territoire à la métropole. Pour Noisy-le-Grand, « le projet de jumeau numérique a pour but de réduire les consommations énergétiques et l’impact carbone des bâtiments publics, tout en optimisant les dépenses de rénovation » . « Nous n’allons pas mettre des capteurs sur tous les bâtiments mais plutôt essayé de créer des familles d’ouvrage », précise Johan Catouillard, DGA sécurité civile, patrimoine bâti, systèmes d’information et moyens matériels de la commune.  

Plus original encore : le projet ViPARE de la ville de Metz qui propose de collecter les données pour analyser la propreté et la salubrité. « Le but est de coller au plus près des usages », explique Régis Gabriel, chef de service au pôle propreté urbaine de la ville de Metz. « L'objectif est de développer une application mobile intégrant une intelligence artificielle qui permettrait, sur la base de vidéos, de détecter et recenser plus rapidement et objectivement les déchets et salissures (tags, déjections canines) présents en ville, peut-on lire sur le site de la commune. Concrètement, les agents en charge de l'entretien des voiries, ou les citoyens directement, filmeront un certain nombre de rues, via l'application, de manière à obtenir une cartographie de l'état de propreté de la ville. Ces données seront analysées de manière à réduire la présence de déchets et à optimiser l'utilisation des moyens de nettoyage ».

La seconde vague de l’appel à projets en question se termine au 1er décembre prochain. « Ses participants sont invités à se réunir pour former des groupements et proposer des projets de démonstrateurs d'IA en conditions réelles ».
 

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