1 607 heures : la Cour des comptes attend toujours une « remise en ordre »
Par Franck Lemarc
La loi de transformation de la fonction publique a été promulguée le 6 août 2019. Un peu plus de trois ans après, la Cour des comptes a souhaité mesurer ses effets.
Contractuels
Premier constat : les employeurs « peinent à se saisir » des nouvelles possibilités qui leur sont offertes par la loi en matière de recrutement de contractuels. La loi de 2019 permet en effet le « primo-recrutement » de contractuels « lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient », dans la fonction publique de l’État seulement. Les employeurs se sont peu emparés de cette possibilité, et il apparaît, jugent les magistrats financiers, que « le recours aux agents contractuels n’est pas la panacée à la faible attractivité de l’emploi public ».
Même constat sur la possibilité ouverte par la loi de recruter des emplois fonctionnels (emplois de direction) sous contrat : la loi a diminué le seuil autorisant cette pratique en le faisant passer de 80 000 à 40 000 habitants, sans que cela ait significativement fait décoller cette pratique. Entre autres, d'ailleurs du fait du manque d'appétence des salariés du secteur privé pour ces postes, vu le décrochage de salaire enrte privé et public.
Quant aux « contrats de projets » introduits par la LTFP, ils sont « très inégalement utilisés », remarque la Cour des comptes. Les contrats de projet, ou contrats de mission, « permettent aux employeurs publics de recruter des profils adaptés de toutes catégories (A, B et C) pour mener à bien un projet ou une opération spécifique s’inscrivant dans une durée limitée ». Dans la fonction publique territoriale, ces contrats de projet ont essentiellement été mobilisés pour le programme Petites villes de demain et le recrutement de conseillers numériques. La Cour des comptes note cependant que les pratiques sont « diffuses et disparates », et parfois hors des clous, avec par exemple « le recours à un seul contrat de projet pour l’accompagnement de trois projets distincts » ou encore « la conclusion de contrats de projet pour répondre davantage à la satisfaction d’un besoin permanent, ou à un accroissement d’activité, qu’à un besoin de réactivité et à l’utilisation de compétences utiles à la mise en œuvre d’un projet ».
1607 heures
Parmi d’autres sujets, la Cour se penche également sur la question du temps de travail dans la fonction publique territoriale, estimant que « la remise en ordre » est « toujours attendue ». On se rappelle en effet que la LTFP a mis fin à tous les régimes dérogatoires à la règle des 1607 heures dans la fonction publique territoriale (article 47). Une évolution qui a conduit à un certain nombre de conflits juridiques, certaines collectivités étant montées jusqu’au Conseil constitutionnel pour contester cette disposition – sans succès.
En avril dernier, selon la Cour des comptes, 83 % des collectivités du bloc communal « avaient défini par délibération les règles applicables en matière de temps de travail », dont « 91 % n’ont appelé aucun observation ».
Il reste qu’un certain nombre de communes sont extrêmement rétives à appliquer « de force » les 1607 heures – ou parce qu’elles refusent de revenir sur une forme d’acquis social, ou bien parce qu’elles estiment que des aménagements du temps de travail sont nécessaires à l’attractivité de la fonction publique territoriale, souvent peu attirante sur le plan salarial.
Certaines collectivités cherchent donc à utiliser divers moyens pour contourner la règle des 1607 heures, en profitant du fait que l’État n’a pas levé certaines « ambiguïtés », ce qui contrarie apparemment fortement la Cour des comptes. Celle-ci demande donc au gouvernement de « lever » ces ambigüités au plus vite. Les jours de fractionnement, par exemple, qui sont de droit dans certains cas, sont parfois « accordés collectivement et de manière systématique », ce qui permet, écrit la Cour, « de contourner le cadre légal des 1607 heures, sauf à supprimer deux jours de RTT ».
De même, la Cour reproche à l’État de ne pas avoir publié de décret « fixant les conditions d’octroi des ASA [autorisations spéciales d’absence] pour motifs liés à la parentalité ou à certains événements familiaux. En cette absence, malgré le rappel des règles applicables par la DGCL et les services de préfecture, certains employeurs publics locaux utilisent ainsi le levier des ASA pour abaisser en pratique la durée légale du travail ».
La Cour cite également un certain nombre de communes qualifiées « d’îlots persistants de résistance » – celles qui « refusent ostensiblement de modifier le temps de travail ou (…) contournent ouvertement la durée légale ».
En conclusion, la Cour des comptes appelle l’État à « la vigilance » : « La mise en œuvre globale et effective de l’harmonisation du temps de travail dans la fonction publique territoriale reste donc délicate à apprécier. Les différences de situation qui perdurent produisent en conséquence des inégalités de traitement des agents territoriaux assurant des missions équivalentes, nécessitant pour les services de l’État de dresser des bilans réguliers et de conserver une certaine vigilance dans le contrôle, pour limiter les risques de dérive ».
On peut cependant noter que ce rapport parait sévère avec les employeurs territoriaux, alors que la très grande majorité de ceux-ci cherchent à se mettre en conformité avec la loi. On ne peut pas en dire autant de la fonction publique de l’État, dont la Cour des comptes souligne que « les régimes dérogatoires n’ont pas été revus ». « En conséquence, la proportion d’agents de l’État travaillant moins de 1 607 heures demeure identique. Elle a même augmenté notamment pour tenir compte de nouvelles situations. »
Accéder au rapport de la Cour des comptes.
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