Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 11 octobre 2024
Numérique

Intelligence artificielle dans les communes : répondre aux besoins des administrés doit être une priorité

Comment faut-il appréhender l'IA au niveau des communes ? C'est à partir de cette question que des échanges ont eu lieu hier au Sénat à l'occasion d'une table ronde coorganisée par la délégation à la prospective et la délégation aux collectivités territoriales.

Par Lucile Bonnin

L’intelligence artificielle progresse, évolue et pousse les élus à s’interroger sur la manière dont elle pourrait être intégrée au service de la commune. Une table ronde a été organisée au Sénat hier par la délégation à la prospective et la délégation aux collectivités territoriales sur cette thématique. 

Se saisir du sujet de l’intelligence artificielle est indispensable pour les collectivités territoriales pour réfléchir à un usage profitable de ces nouvelles technologies. Les sentiments ambivalents que provoquent certaines innovations montre qu’il faut avant tout mettre en place une méthode avant d’adopter ces outils. 

Pour Christine Lavarde, présidente de la délégation à la prospective, l’IA peut apporter des réponses aux collectivités mais il est « nécessaire d’apporter de l’intelligence individuelle pour affiner et emporter l’adhésion d’un territoire » . De son côté, Corinne Féret, vice-présidente de la délégation aux collectivités, se demande comment l’élu local peut se positionner sur ces questions « pour ne pas rester à la traîne ». 

L’intelligence artificielle au service des territoires 

Jean Gabriel Ganascia, chercheur en intelligence artificielle, définit l’intelligence artificielle comme « une discipline scientifique qui a pour but de simuler les capacités cognitives et qu’on introduit à l’intérieur de différents dispositifs de technologie (comme un ordinateur ou un portable par exemple). Elle a évolué depuis une dizaine d’années avec ce qu’on appelle les réseaux de neurones profonds. » 

Ces dernières années, de nombreux rapports tendent à montrer que l’IA peut « rendre des services aux collectivités ». Pour ce chercheur, les collectivités peuvent se servir de l’IA comme outil interne : que cela soit pour de l’aide à la rédaction de courriers ou de rapports, pour avoir des idées ou encore pour faire un résumé de documents très longs auxquels les maires sont souvent confrontés. L’IA peut aussi faire l’objet d’un usage en externe : maintenir le contact avec les administrés, avec un chatbot (robot conversationnel) par exemple, évaluer l’efficacité d’un dispositif ou mettre en place des solutions de gestion dite de « Smart cities »  pour agir dans plusieurs champs : santé, qualité de l’air, logement, gestion des déchets, etc. 

Rappelons que l’année dernière, Valérie Nouvel, vice-présidente Transition et Adaptation au changement climatique du département de la Manche, a remis un rapport de mission au gouvernement détaillant quelques exemples intéressants d’appropriation de l’IA au service des territoires. 

De l’importance de consulter les citoyens 

« Les élus ont surtout une responsabilité démocratique autour de ces enjeux » , a expliqué hier Pierre Jannin, conseiller municipal délégué à l’innovation et au numérique de Rennes. Faisant le parallèle avec l’arrivée de la 5G, il rappelle qu’il existe des craintes autour de l’IA. Catherine Dufour, auteure de science-fiction, abonde dans son sens : « La méfiance des citoyens existe et elle est parfois justifiée » , citant l’exemple de la Chine utilisant les drones pour surveiller les populations musulmanes ouïghours. En France, Pierre Jannin la rappelle, la vidéo surveillance algorithmisée qui fait l’objet d’une expérimentation depuis les Jeux olympiques et paralympiques présente aussi des soucis éthiques. 

C’est dans ce cadre qu’il est indispensable de « consulter les citoyens, non pas pour des soucis d’acceptabilité mais pour bien définir leurs attentes » , explique Pierre Jannin. A Rennes par exemple, un Conseil citoyen du numérique responsable (CCNR) a été créé en 2021. C’est une instance consultative constitué d’une trentaine de citoyens pour accompagner la ville dans la conduite des politiques numériques. En février dernier, il a rendu un avis relatif aux impacts de l'intelligence artificielle dans la vie des administrés. Le conseiller municipal insiste : « Les territoires ont leur mot à dire concernant l’IA et c’est en faisant des actions locales de ce type que l’appropriation pourra se faire ». 

Réponse politique

Les inquiétudes autour de l’exploitation de l’IA sont légitimes car des dérives sont possibles. Mais elles doivent être anticipées. Les intervenants de cette table ronde ont été nombreux à faire un parallèle entre l’arrivée du numérique et l’arrivée de l’IA, regrettant que certaines dérives que l’on observe actuellement dans le numérique comme les fakes news ou l’impact sur la santé mentale, aient été des impensés dans le déploiement de cette nouvelle technologie. Les sénateurs veulent en tirer les leçons. 

Et pour cela, il faut légiférer. Rappelons que le règlement européen sur l'intelligence artificielle (IA) du 13 juin 2024 est paru au Journal officiel de l'Union européenne le 12 juillet dernier et que le Conseil de l'Europe a adopté le 17 mai 2024 un traité international visant à garantir une IA respectueuse des droits fondamentaux (lire article Vie publique). Selon les intervenants, il serait nécessaire d’aller au-delà de cette règlementation pour l’adapter au cadre national. 

Enfin le risque de la « fracture territoriale »  a été évoqué de nombreuses fois. Pour Pierre Jannin, il est possible d’avancer « tranquillement »  sur le sujet en fonction de la commune. « Il ne faut pas que l’on se retrouve dans une société à deux ou trois vitesses », ajoute l’élu. Amel Gacquerre, sénatrice du Pas-de-Calais, s’interroge à son tour : « Toutes les collectivités n’ont pas les mêmes moyens et les territoires n’avancent pas de la même manière : comment éviter la fracture territoriale ? »   Catherine Dufour explique que, pour elle, « l’IA agit comme un accélérateur de la fracture territoriale mais n’est pas la cause. Les causes profondes sont politiques. » 

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