Le Sénat rejette une proposition de loi sur la diminution du nombre de conseillers municipaux
Par Franck Lemarc
« C’était un texte simple, mais plus on avance plus c’est compliqué ! ». Ce cri du cœur d’un sénateur, pendant le débat qui a eu lieu en séance publique le 9 octobre, illustre assez bien la situation. La discussion sur ce texte au départ assez simple et de bon sens a fait apparaître une foule de problèmes de fond.
Le texte initial et celui de la commission
Présentée par le sénateur (Union centriste) de la Charente, François Bonneau, la proposition de loi visait à répondre à un problème concret : la difficulté, dans les très petites communes, d’atteindre le quorum nécessaire pour que les réunions du conseil municipal puissent se tenir. Du fait d’une « carence d’engagement » et de démissions de plus en plus nombreuses, il devient difficile non seulement de constituer des listes mais également de réunir les conseillers municipaux au complet une fois élus. François Bonneau proposait donc, dans un texte constitué d’un article unique, de passer de 7 à 5 le nombre de conseillers dans les communes de moins de 100 habitants et de 11 à 7 dans les communes de 100 à 499 habitants.
Rappelons que dans ces communes, il existe déjà ce que l’on appelle une « présomption de complétude », à savoir une souplesse qui permet que le conseil soit « réputé complet » à 5 membres au lieu de 7 pour les premières et 9 au lieu de 11 pour les secondes. La proposition de loi de François Bonneau proposait d’abroger ce dispositif, en fixant donc directement à 5 et 11 le nombre de conseillers municipaux.
La commission des lois du Sénat a modifié le texte sur deux points. Pour les communes de moins de 100, elle a souhaité maintenir le système actuel : 7 conseillers mais conseil réputé complet à 5. Pour les communes de 100 à 499, elle conservait l’idée de François Bonneau de passer le nombre de conseillers de 11 à 9, mais allait plus loin en établissant une présomption de complétude à 7.
Par ailleurs, la commission a proposé de diminuer l’effectif des conseils dans toutes les autres communes de moins de 3 500 habitants : de 15 à 11 pour la strate 500-1 499 habitants ; de 19 à 15 pour la strate 1 500-2 499 habitants ; et enfin de 23 à 19 pour celle de 2 500 à 3 499 habitants.
Des visions très divergentes
En introduction des débats, la nouvelle ministre chargée de la Ruralité, du Commerce et de l’Artisanat, Françoise Gatel, s’est exprimée pour la première fois au banc des ministres, dans une maison qu’elle connaît bien pour avoir été sénatrice pendant dix ans. Elle a apporté le plein soutien du gouvernement à ce texte, estimant qu’il répond « à un véritable besoin ». La ministre a évoqué au passage un certain nombre d’amendements qui avaient été déposés mais déclarés irrecevables : certains sénateurs souhaitaient profiter de ce texte pour faire passer, par amendement, l’extension du scrutin de liste à la totalité des communes. Plutôt favorable à cette idée, qui a déjà fait l’objet de plusieurs propositions de loi avortées, la ministre a toutefois estimé que la question était trop importante pour être traitée par amendement et méritait « une réflexion approfondie ultérieure ».
Les prises de parole des différents groupes qui ont suivi ont montré de profonds désaccords entre les sénateurs. Si chacun se montre parfaitement conscient du problème, les avis divergent en revanche nettement sur la façon de le traiter – au-delà même des clivages politiques et parfois au sein des mêmes groupes. Si de nombreux sénateurs ont exprimé leur soutien à ce texte, d’autres ont estimé – et la question mérite d’être posée – que la proposition traite les effets et non les causes : ils estimeraient plus juste de faire en sorte qu’il y ait davantage de candidats à la fonction de conseillers municipaux – par exemple en améliorant le statut de l’élu – plutôt que de diminuer le nombre de conseillers municipaux, ce qui apparaît comme un « constat d’échec ». Le sénateur LR de l’Oise Olivier Paccaud a fait remarquer incidemment que la proposition de loi, en l’état, ferait disparaître pas moins de « 40 000 conseillers municipaux ». « Je ne comprendrais pas que l’on se prive de ces bonnes volontés précieuses », a ajouté le sénateur.
Par ailleurs, un long débat a eu lieu sur des amendements portant une autre proposition : celle de permettre, de droit, aux communes de choisir elles-mêmes leur nombre de conseillers municipaux, dans une fourchette prévue par la loi. Avec l’idée suivante : puisque la loi permet d’élire 7 conseillers municipaux et de déclarer le conseil municipal complet à 5, pourquoi ne pas permettre aux communes concernées de délibérer elles-mêmes sur un nombre de conseillers compris entre 5 et 7 ? Selon les auteurs de ces amendements, il suffirait alors d’inscrire dans le CGCT le fait que les communes de moins de 100 habitants ont un conseil municipal « de 5 à 7 conseillers », celles de 100 à 499 « de 9 à 11 », etc.
Outre le gouvernement, beaucoup de sénateurs se sont opposés à cette idée. D’abord au nom de la Constitution – estimant que ce serait une rupture avec le principe constitutionnel d’égalité. Ensuite, comme l’a expliqué avec clarté Françoise Gatel, parce qu’il y a une grande différence entre l’actuelle « exemption d’incomplétude » et le fait de « laisser à chaque conseil municipal la liberté de changer de taille au gré des élections ». « On ne décide pas de l’incomplétude d’un conseil municipal avant même qu’il soit élu : il est obligatoire de remplir des conditions de nombre préétablies et si ce n'est pas le cas, il existe une tolérance », a asséné la ministre, qui a rappelé au passage que cette proposition n’émanait « d’aucune demande » de l’AMF ou de l’AMRF.
Ces amendements ont été rejetés.
Le texte finalement rejeté
Au final, avant la mise aux voix du texte, de nombreuses voix se sont exprimées dans le sens d’un rejet. Anne Chain-Larché, sénatrice LR de la Seine-et-Marne, a exprimé le point de vue de beaucoup de ses collègues en qualifiant ce texte de « cautère sur une jambe de bois » : « Le problème tient non pas au nombre d'élus, mais à l'opprobre général qui est malheureusement jeté sur le travail de ces derniers ; il tient au non-respect qu'ils essuient de la part de certains administrés, voire aux agressions qu'ils subissent ; il tient au fait qu'ils ne disposent pas d'une autonomie financière suffisante pour réaliser les innombrables travaux qu'ils doivent mener ; il tient à la difficulté de concilier leur mandat avec leur vie professionnelle ou personnelle. Le Sénat doit apporter des solutions à ces problèmes, qui n'ont rien à voir avec le nombre d'élus. »
D’autres ont déclaré qu’ils auraient voté le texte tel qu’il avait été rédigé au départ, mais qu’ils ne voteraient pas le texte de la commission étendu aux communes jusqu’à 3 500 habitants.
D’autres ont exprimé l’avis strictement inverse, disant qu’ils n’auraient pas voté le texte pour les seules communes de moins de 500 habitants mais qu’ils l’approuvaient après modification, et notant que le texte ainsi modifié « tient compte des demandes de l’AMF et de l’AMRF ». En partie du moins : l’AMF demandait également des dérogations sur les communes nouvelles, ou des règles permettant le maintien du nombre d’adjoints malgré la réduction des effectifs, que le gouvernement aurait pu introduire par amendement. Celui-ci ne l’a pas souhaité.
Finalement, l’indécision sur ce texte a été telle que le vote à main levée n’a pas permis de distinguer les pour et les contre. Il a fallu un vote « assis et levé » pour qu’une très courte majorité se dégage, pour le rejet de ce texte, qui termine donc déjà son parcours parlementaire.
Mais nul doute que le débat sur ces questions, lui, n’est pas terminé.
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