Loi Asap et patrimoine : le Sénat, gardien du temple
Aller vite, sans se précipiter : le projet de loi dit « ASAP » (Accélération et simplification de l'action publique), suite du programme « Action publique 2022 » lancé en 2017, vient de passer au tamis sénatorial. Voté en première lecture le 5 mars, le texte initial, portant des mesures « extrêmement diverses », dont certaines « très contestées » (et déjà retoquées), et « dont beaucoup n’ont qu’un lointain rapport avec la simplification de l’action publique » a fortement évolué, afin – notamment – de préserver le dispositif de labellisation de la création artistique, issu de la loi LCAP du 7 juillet 2016.
Sur le rapport de la sénatrice des Hautes-Alpes, Patricia Morhet-Richaud, le titre II du projet de loi portant sur la « déconcentration de diverses décisions individuelles dans le domaine de la culture » a été amendé en ce sens par la commission spéciale. Dans le viseur des sénateurs, l’article 17 du projet de loi qui prévoyait de transférer aux préfets de région et aux directions régionales des affaires culturelles (Drac) des décisions prises jusqu’ici par le ministre de la culture ou l'administration centrale – allant de la reconnaissance des conservatoires, au changement d'affectation ou la démolition d'une salle de spectacle, en passant par l'attribution des labels de la création artistique.
Égalité territoriale dans l’accès à la culture
Si « la déconcentration de la plupart de ces décisions va dans le bon sens, (devant) permettre à la fois d'accélérer la prise de décision et de mieux tenir compte des réalités locales », ce transfert de compétence apparaît « inopportun » et « préjudiciable » dans le cadre de l’attribution des douze labels de la création artistique, parmi lesquels figurent les centres chorégraphiques nationaux, les centres d'art contemporain d'intérêt national, les centres dramatiques nationaux, les centres nationaux de création musicale, ou encore les scènes nationales ou de musiques actuelles.
Reprenant les termes d’une circulaire du 15 janvier 2018, signée de l’ex-ministre de la Culture Françoise Nyssen, le rapport de la commission spéciale rappelle que si les structures labellisées sont ancrées dans les territoires, elles ont « d'abord un rôle "national" et portent une responsabilité forte dans l'écosystème de la création en soutenant et en partageant leurs outils et leurs savoir-faire avec les artistes et les compagnies et en accompagnant la création, la production, la diffusion et la transmission des œuvres au plus grand nombre ». Au-delà du symbole, l’attribution au niveau de l’administration centrale de tels labels représente un enjeu important « en matière d'aménagement culturel du territoire et d'égalité territoriale dans l'accès à la culture ». Et permet « d'assurer le maintien de la cohérence du réseau des structures labellisées sur l'ensemble du territoire national, en facilitant une application uniforme des cahiers des missions et des charges relatifs à chacun de ces labels », selon la rapporteure.
Moyens alloués, loi 3D
Des données confirmées par les professionnels du secteur consultés : le risque d’une déconcentration totale de l'instruction de ces décisions est d’aboutir à des interprétations divergentes selon les DRAC. Autre sujet d’inquiétude, celui des moyens qui seront déployés pour exercer ces nouvelles missions : d’après le rapport, « dix emplois équivalent temps plein seraient redéployés de l'administration centrale vers les DRAC, ce qui reste faible rapporté aux vingt DRAC ». Conclusion : « il apparaît pour le moins prématuré de statuer sur un tel transfert de décision aux services déconcentrés, alors que le législateur n'a pas connaissance des modalités de répartition des compétences dans le domaine de la culture entre l'État et les collectivités territoriales que pourrait prévoir le projet de loi dit « 3D ».
Dernier tacle sénatorial à l’égard du gouvernement : les conditions d’examen du texte sont jugées « acrobatiques et peu respectueuses du Parlement, compte tenu des délais très courts pour l’examen de sujets majeurs et de l’incapacité de l’administration de fournir une information satisfaisante », notamment sur le contenu des nombreuses ordonnances prévues par le texte. Autre opération sauvetage réussie, dans le cadre de cette première lecture sénatoriale : la commission scientifique nationale des collections, que le projet de loi faisait disparaître, comme beaucoup d’autres instances consultatives. Rien ne sert de courir…
Caroline Saint-André
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