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Édition du mardi 9 juillet 2024
Logement

Crise du logement : la niche fiscale « Airbnb » supprimée par le Conseil d'État, qui donne tort au gouvernement

Le gouvernement avait autorisé les contribuables à ne pas tenir compte de la loi qui supprimait le taux d'imposition particulièrement favorable des locations de meublés de tourisme. La décision du Conseil d'État n'est, toutefois, pas rétroactive.

Par A.W.

L’exécutif a outrepassé ses pouvoirs en autorisant les propriétaires de locations de type Airbnb à ne pas se plier au taux d’imposition en vigueur. Une décision jugée illégale par le Conseil d’État, dans un jugement rendu hier et qui était particulièrement attendu.

Par une simple note publiée en début d’année, l’exécutif avait, en effet, autorisé unilatéralement les propriétaires de locations de meublées de tourisme à ne pas tenir compte de la loi, en maintenant, pour les revenus 2023, un abattement fiscal qui leur est très favorable… mais qui venait pourtant d’être supprimé par la loi de finances pour 2024.

Pour se justifier, il avait estimé avoir fait une « erreur »  lors de l’adoption du budget 2024 en utilisant le « 49.3 ».

« Grande victoire » 

Ce choix avait été dénoncé par les élus locaux, mais aussi le monde de l’hôtellerie, qui accusent régulièrement cette niche fiscale d’aggraver et d’entretenir la pénurie de logements qui sévit un peu partout dans le pays, et particulièrement dans les zones touristiques. Celle-ci encouragerait, de fait, la location de meublés de tourisme de courte durée au détriment des locations de longue durée, rendant l’accès au logement d’autant plus difficile pour les habitants vivant sur place au profit des touristes. 

Une décision « historique »  et une « grande victoire », s’est rapidement félicité sur X le sénateur communiste Ian Brossat, à l’origine de la saisine du Conseil d’État avec le sénateur LR Max Brisson. Une saisine similaire avait également été déposée par l’Association pour un tourisme professionnel (AToP), le Groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR) et l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), cette dernière dénonçant à l’époque une décision « incompréhensible ».

Les auteurs des deux saisines estimaient ainsi que la note de Bercy devait être annulée puisqu’elle était « illégale »  et « entachée d’incompétence »  en ce qu’elle permettait l’application d’un taux d’imposition plus favorable abrogé par la loi de finances pour 2024 et qu’elle n’en faisait bénéficier que les « seules locations de meublés non classés ».

Perte de « 330 millions d’euros » 

Si le Conseil d’État avait d’abord décidé, en mars, de rejeter leur requête en référé visant à suspendre la décision de l’exécutif, il a finalement donné raison à l’Umih, l’AToP et le GHR (mais pas aux deux sénateurs dont les « qualités de résidents fiscaux de France et de parlementaires »  ont été considérées comme insuffisantes pour « former un recours » ) en annulant la décision de « l’administration [qui] a incompétemment ajouté à la loi »  une dérogation pour les meublés de tourisme.

Dans sa décision, qui n'était pas encore publiée ce matin mais que Maire info a pu consulter, la plus haute juridiction administrative a précisément décidé que « le sixième et dernier alinéa du paragraphe 1 de l’actualité publiée sur le site internet « bofip.impots.gouv.fr »  le 14 février 2024 commentant la mise à jour du paragraphe 55 des commentaires administratifs publiés le même jour au Bulletin officiel des finances publiques-impôts sous la référence BOI-BIC-CHAMP-40-20 est annulé ». 

Cependant, le choix fait par l’exécutif ne sera pas sans conséquence puisque, selon Ian Brossat, le maintien de la niche fiscale des meublés de tourisme représenterait « un manque à gagner colossal pour l’État [de] plus de 330 millions d’euros », dans un contexte budgétaire pourtant délicat qui a conduit le gouvernement à faire 10 milliards d'euros d'économies sur le budget 2024

Pas de rétroactivité

En pratique, la décision du Conseil d'État n'est pas rétroactive et les contribuables ayant déclaré leurs revenus pour 2023 dans les temps ne seront donc pas inquiétés. 

Reste que, « à la lumière de ce délibéré, une association de contribuables pourrait envisager d'attaquer l'État pour le manque à gagner pour les finances publiques qu'a représenté le maintien de cette niche fiscale contre l'avis du Parlement », estime le sénateur communiste.

Si cette décision « marque un tournant décisif dans la lutte contre les avantages fiscaux injustifiés dont bénéficie la location Airbnb face à la location nue, elle pourrait également ouvrir la voie à d’autres actions en justice contre des dispositifs similaires », souligne l’ancien adjoint au Logement de la mairie de Paris.

Vers une extension des pouvoirs des maires ?

Pour rappel, en engageant en fin d’année dernière la responsabilité de son gouvernement sur la loi de finances pour 2024, la Première ministre de l’époque, Élisabeth Borne, avait conservé, « par erreur »  dans le texte final le nouveau régime fiscal des meublés de tourisme voulu par les sénateurs.

Jugé trop avantageux par ces derniers, le régime fiscal des locations de meublés de tourisme avait ainsi été aligné sur celui des « locations nues »  avec l’application d’un abattement de 30 % (contre 71 % jusqu’alors) dans la limite de 15 000 euros de recettes. Un régime dérogatoire était, toutefois, prévu dans les zones rurales avec un taux d’abattement de 51 %. Des dispositions qui s’imposent donc à nouveau.

On peut également rappeler la proposition de loi transpartisane portée par la députée Renaissance Annaïg Le Meur (Finistère) et son homologue socialiste Iñaki Echaniz (Pyrénées-Atlantiques) – tous deux réélus ce week-end – et très attendue par les élus locaux. Adoptée en première lecture au Sénat et à l’Assemblée, celle-ci prévoyait d’accorder certains pouvoirs étendus aux maires et de revenir sur cette fameuse niche fiscale « Airbnb ».

Dans le détail, les sénateurs avaient choisi de garder un régime de micro-Bic des meublés aligné sur le régime micro-foncier de la location nue (avec un abattement de 30 % du chiffre d'affaires jusqu’à 23 000 euros) tout en maintenant une incitation au classement pour les loueurs de meublés de tourisme. L’avenir de son parcours parlementaire reste, toutefois, encore incertain après la dissolution décrétée par le chef de l’État. 
 

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