Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 15 mai 2024
Nouvelle-Calédonie

Les violences s'aggravent en Nouvelle-Calédonie, pendant que l'Assemblée adopte la réforme constitutionnelle

Une personne a été tuée sur un barrage à Nouméa au cours d'une nouvelle nuit de violences. En métropole, les députés ont adopté le projet de réforme constitutionnelle et l'exécutif appelle au dialogue. 

Par Franck Lemarc

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© D.R.

La nouvelle est tombée en tout début de matinée en métropole, soit en fin d’après-midi à Nouméa, lors du point presse du Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc : une personne a été tuée par balle sur un barrage, et deux autres blessées.  Le Haut-commissaire n’a pas donné davantage de détails sur les victimes ni les conditions de l’incident. L’auteur du tir n’est pas, a-t-il simplement précisé, un membre des forces de l’ordre mais « quelqu’un qui a certainement voulu se défendre »  contre les émeutiers.

« Spirale mortelle » 

Sur un ton particulièrement grave, Louis Le Franc a décrit une situation « non pas grave mais très grave », « une spirale mortelle » : « On s’engage tout droit dans une guerre civile. »  Il a décrit des groupes « qui s’arment des deux côtés », d’une part, des « émeutiers »  qui répondent « par milliers »  à l’appel d’une organisation indépendantiste radicale appelée « Cellule de coordination des actions de terrain »  ; de l’autre, des habitants qui s’arment eux aussi pour défendre leurs biens. Louis Le Franc a appelé les deux côtés au calme : « Ne constituez pas de milices armées contre ceux qui pillent et qui brûlent », a-t-il demandé. 

Des échanges de tirs ont également eu lieu entre émeutiers et forces de l’ordre : pendant un affrontement, des gendarmes mobiles qui ont essuyé « des tirs de chevrotines et des tirs à balle »  n’ont « pas eu d’autre choix que de répliquer par arme pour couvrir leur repli », a expliqué le Haut-commissaire. « C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu plus de morts cette nuit », a-t-il ajouté, précisant que 47 gendarmes et 14 policiers ont été blessés par des jets de pierres. « Il faut que ça s’arrête ! Stop ! Sans quoi il va y avoir beaucoup de morts, des deux côtés. » 

Louis Le Franc a également mentionné l’attaque d’une mairie par des émeutiers, celle de Dumbéa, prévenant : « Il est hors de question que des mairies soient attaquées, je préviens les émeutiers. » 

Louis Le Franc a clairement indiqué qu’il « n’hésiterait pas »  à faire appel à l’armée si la situation continue de se dégrader. 

Il a également indiqué que de graves problèmes logistiques et de santé se posent, à la suite des « dégâts terribles »  commis par les émeutiers : des pharmacies brûlées qui font craindre une pénurie de médicaments – comme le redoute la Fédération des Ehpad de Nouvelle-Calédonie dans un communiqué publié cette nuit –, des grandes surfaces détruites qui vont conduire à ce que « nous allons manquer de nourriture à Nouméa ». Les incendies ont également conduit les autorités à placer l’agglomération en « alerte rouge »  sur la qualité de l’air. 

« Si mon appel au calme n’est pas entendu, ce sont des heures sombres qui nous attendent », a conclu le Haut-Commissaire, sans répondre toutefois à l’appel de la présidente de la région sud et ancienne ministre Sonia Backès, qui a demandé la déclaration de l’état d’urgence et une intervention immédiate de l’armée. Dans une lettre adressée hier au président de la République, l’ancienne ministre écrit : « Nous sommes en état de guerre civile. (…) Sans une intervention massive et urgente de l’État, nous perdrons le contrôle de la Nouvelle-Calédonie dans les prochaines heures et de nombreuses vies qui ont été jusque-là, par miracle, épargnées. » 

Des parlementaires de Nouvelle-Calédonie, le député Nicolas Metzdorf et le sénateur Georges Naturel, demandent également l’instauration de l’état d’urgence au chef de l’État : « La situation en Nouvelle-Calédonie qui était jusque-là catastrophique est désormais dramatique. (…) Monsieur le président, le moment est critique et vous seul pouvez sauver la Nouvelle-Calédonie. » 

Le texte adopté et suspendu à un accord local

Rappelons qu’à l’origine de ces troubles, il y a la réforme constitutionnelle voulue par le gouvernement en métropole, visant à « dégeler »  le corps électoral en Nouvelle-Calédonie (lire les explications dans Maire info d’hier). 

Le texte en question, qui a déjà été adopté par le Sénat, a finalement été adopté également cette nuit à l’Assemblée nationale malgré les tentatives de l’opposition de gauche pour le retarder : il aurait suffi pour cela de l’adoption d’un seul amendement. En effet, pour que la suite de la procédure parlementaire puisse se dérouler rapidement, il fallait que le texte soit adopté « conforme »  par les députés, c’est-à-dire sans la moindre modification par rapport à la version du Sénat. Faute de quoi, la navette aurait dû reprendre, le texte repartant au Sénat.

Finalement, au cours de la nuit dernière, les oppositions ont choisi de retirer une grande partie de leurs amendements pour débloquer la situation, et le texte a été adopté par 351 voix pour et 153 contre.

Et maintenant ? Deux solutions se présentent : depuis l'annonce de cette réforme, l'exécutif a indiqué que celle-ci ne rentrerait en vigueur que « faute d'un accord politique »  entre les acteurs locaux pour définir eux-mêmes une « citoyenneté calédonnienne ». Ce point figure d'ailleurs à l'article 2 du texte. 

Mais le temps presse : cet accord, dit la loi, doit avoir été conclu avant le 1er juillet prochain – faute de quoi, la réforme du corps électoral rentrera en vigueur, dès qu’elle aura été adoptée par les trois cinquièmes des parlementaires réunis en Congrès, comme le veut la Constitution.  

Les indépendantistes du FLNKS ont demandé, juste après l’adoption de ce texte hier soir, son « retrait », « afin de préserver les conditions d’obtention d’un accord politique », jugeant que l’ultimatum que contient ce projet de loi rend impossible une discussion sereine. 

Le chef de l’État s’y refuse clairement. Dans un courrier qu’il a adressé dans la nuit aux acteurs politiques calédoniens, Emmanuel Macron rejette toute possibilité d’un « retrait »  du texte, sauf accord local : « En l’absence de cet accord (…), le Congrès se réunirait avant la fin juin. » 

Les représentants des indépendantistes et des loyalistes ont été invités à venir à Paris pour reprendre les négociations. Il est impossible de savoir, au vu de la situation insurrectionnelle qui s’est déclenchée dans l’archipel, s’ils choisiront ou non de répondre à cette invitation. 

En milieu de matinée (heure de la métropole), le Haut-commissaire a annoncé un second décès, sans donner plus de détails.

Au même moment, l’Élysée a annoncé que le chef de l’État convoque ce matin un Conseil de défense et de sécurité nationale consacré à la Nouvelle-Calédonie, où l’on peut imaginer que la question de l’état d’urgence va être débattue.

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