Intelligence artificielle au sein des collectivités : le Sénat propose un guide pour les élus
Par Lucile Bonnin
L’intelligence artificielle progresse, évolue et pousse les élus à s’interroger sur la manière dont elle pourrait être intégrée au service d’une collectivité territoriale.
Comme le souligne la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, le sujet de l’intelligence artificielle fait face à un « maquis d’interrogations, d’appréhensions et d’espoirs » qui rend parfois difficile l’appropriation du sujet par les décideurs locaux.
Pourtant, l’intelligence artificielle (IA) est un outil « offrant de multiples opportunités », comme le pointe le rapport d’information des sénatrices Pascale Gruny et Ghislaine Senée, qui éclaire pour la première fois sur les enjeux de l’émergence de cette technologie dans l’univers des collectivités territoriales.
Des politiques publiques améliorées par le recours à l’IA
L’écosystème des collectivités territoriales constitue un terreau propice au développement et à l’utilisation de l’IA.
Premièrement, les collectivités territoriales « peuvent pleinement tirer profit des opportunités offertes par l’IA » dans leur organisation interne. Ainsi, « les services informatiques des collectivités ont bien souvent été les premiers à expérimenter des outils d’IA » par exemple afin de « détecter et résoudre automatiquement les incidents informatiques et ainsi augmenter la disponibilité et la performance des services informatiques » : « Cela constitue un moyen, pour les services informatiques de la collectivité, de décharger des agents de ce type de tâches tout en accélérant la gestion de ces problèmes », constatent les rapporteures. Les services juridiques des collectivités et les services des ressources humaines sont aussi « un terrain particulièrement propice à l’usage des potentialités offertes par l’IA ».
Un point intéressant concernant la dimension comptable et budgétaire est développée dans le rapport : « L’IA peut prendre en charge la saisie de données comptables, fiscales, financières, le remplissage de bons de commande à partir de modèles préalables… » . De plus, l’IA prédictive (1) peut permettre aux collectivités de « prévoir des tendances budgétaires, d’estimer les recettes fiscales à venir, d’anticiper les dépenses, d’identifier les domaines où peuvent être réalisées des économies, de détecter des appels à projets en cours et pertinents pour la collectivité ou encore de lutter contre la fraude relative à certaines aides ou redevances ».
Deuxièmement, l’IA peut être un outil d’analyse utile dans la conduite des politiques publiques menées par les collectivités. La variété des secteurs dans lesquels l’IA peut être utilisée est tout aussi importante que celle du type de collectivités qui s’est lancé dans l’aventure. Information des usagers, sécurisation de l’espace public, gestion de l’eau, gestion des déchets, prévention des catastrophes naturelles, mobilités : les exemples cités dans le rapport concernent aussi bien une grande métropole qu’une petite ville de 4 000 habitants, preuve que toutes les collectivités peuvent s’emparer de l’IA.
Dans la commune de Saint-Savin (Isère, 4 297 hab.), une intelligence artificielle a permis d’identifier les portons de réseaux d’eau qui nécessitent des travaux pour éviter les déperditions qui sont estimées aujourd’hui en France à plus de 900 millions de mètres cubes par an. Selon le maire Fabien Durand, « l’algorithme a permis d’identifier cinq fuites en une semaine, permettant ainsi de sauver 150 m3 d’eau par jour. Alors que la commune distribuait quotidiennement 800 m3 d’eau, elle n’en facturait en réalité que 600 m3, 200 m3 d’eau étaient alors perdus dans la nature ».
Les recommandations du Sénat
Pour ne pas que les collectivités manquent le virage de l’IA, plusieurs recommandations ont été émises par les sénateurs à l’occasion de ces travaux.
L’étape de la sensibilisation puis de la formation des élus et des agents des collectivités à l’IA apparaît « fondamentale » pour les sénateurs qui appellent à développer « les offres de sensibilisation puis de formation à l’IA. » C’est notamment ce qu’a commencé à faire le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) (lire Maire info du 26 février). Il sera à l’avenir également utile de « sensibiliser et former les élus locaux et les cadres administratifs des collectivités au droit de la conformité, car dans le cadre d’un projet IA, il ne s’agit pas seulement de signer un contrat avec un sous-traitant, il faut s’assurer que celui-ci est aussi en conformité ». » De même, dans un objectif d’acculturation, les sénateurs conseillent de toujours « impliquer le citoyen dans l’introduction de l’IA au sein des services publics locaux afin de s’assurer de l’acceptation citoyenne et de se prémunir contre un risque de déshumanisation des services ».
Concernant la mise en œuvre de l’IA, la mission sénatoriale recommande le déploiement d’une ingénierie IA entre les collectivités qui pourrait « passer par la mise en place de "Comités territoriaux de la donnée" permettant l’échange d’expérience entre les collectivités à des fins d’intérêt général. » Ces comités pourraient avoir une mission d’animer le réseau des acteurs territoriaux de l’ingénierie IA (collectivités territoriales, acteurs institutionnels clés et partenaires privés) en vue de la démocratisation de l’IA parmi les collectivités.
Les rapporteures ont aussi proposé de créer une « bibliothèque nationale des projets IA développés par les collectivités » sous la forme d’une plateforme numérique.
(1) L’IA prédictive utilise l’apprentissage automatique pour extrapoler l’avenir. Elle est centrée sur l’analyse des données et la réalisation de prévisions futures à partir de données historiques et actuelles. L’autre famille d’IA est l’IA générative. Cette dernière crée du contenu en s’appuyant sur des données et des informations acquises à partir d’autres contenus existants.
Consulter le rapport du Sénat.
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