Ce qu'il faut retenir de la composition du gouvernement Bayrou
Par Franck Lemarc
Après l’habituelle succession de tractations, de négociations secrètes, de vraies rumeurs et de fausses informations, le gouvernement de François Bayrou a été nommé juste avant les fêtes de Noël. Il compte 35 membres : 14 ministres de plein exercice (dont quatre ministres d’État) et 21 ministres « auprès de » ou ministres délégués. Petite particularité de ce gouvernement, pas vue depuis fort longtemps : il ne comprend, en revanche, aucun secrétaire d’État.
Les retours des anciens Premiers ministres
François Bayrou aura finalement échoué, tout comme son prédécesseur Michel Barnier, à élargir le spectre politique de son gouvernement : si, certes, quelques figures issues de la gauche sont entrées au gouvernement, comme Manuel Valls ou François Rebsamen, il ne s’agit pas de personnalités encore membres de l’un ou l’autre parti composant le Nouveau front populaire. Le gouvernement reste donc strictement appuyé sur ce qu’il est convenu d’appeler le « bloc central » (Renaissance, MoDem et Horizons) et Les Républicains. Ce qui le rend aussi fragile que le précédent, ayant de fortes chances de se retrouver rapidement confronté, lui aussi, une coalition du NFP et du Rassemblement national à l’Assemblée.
François Bayrou a également fait le choix de faire revenir au gouvernement – et au premier plan – des personnalités certes très connues mais contestées. En particulier deux anciens Premiers ministres, Manuel Valls et Élisabeth Borne, dont les noms restent attachés à des réformes – des retraites ou du droit travail – qui avaient provoqué une forte contestation.
Ces deux anciens Premiers ministres ont été nommés au rang de ministre d’État – titre purement honorifique mais qui les place aux premiers rangs de la hiérarchie ministérielle. Élisabeth Borne, numéro deux du gouvernement, hérite d’un super-ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche – et sera secondée à ce dernier titre par Philippe Baptiste. Peu connu du grand public, celui-ci a le mérite de connaître son sujet, puisqu’il est chercheur et président du Centre national d’’études spatiales.
Manuel Valls, lui, devient ministre d’État des Outre-mer. Il va donc être chargé de dossiers particulièrement critiques et explosifs – la reconstruction de Mayotte, le retour de la paix civile et l’organisation des élections en Nouvelle-Calédonie, le problème de la vie chère aux Antilles.
De la Banque des territoires à Bercy
Le poste le plus sensible de ce gouvernement, chargé pour la première fois depuis des décennies de concevoir un budget pour l’année en cours et non pour l’année suivante, est certainement celui de ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Il a été confié au banquier Éric Lombard. Si ce nom, jusqu’à présent, était lui aussi peu connu du grand public, il dirigeait une institution qui est, elle, très connue des élus : la Caisse des dépôts et consignations, dont une filière, la Banque des territoires, finance de très nombreux projets des communes et intercommunalités.
Éric Lombard, politiquement, vient de la gauche (il a été conseiller ministériel sous François Mitterrand), mais c’est Emmanuel Macron qui l’a placé à la tête de la Caisse des dépôts. Ses anciennes fonctions – en plus du fait qu’il a été conseiller municipal à Fontenay-sous-Bois – en font un excellent connaisseur des questions de finances locales.
Éric Lombard sera pleinement aux commandes des questions économiques et financières, puisqu’il aura sous sa direction pas moins de 5 ministres, dont deux macronistes historiques (Amélie de Montchalin aux Comptes publics et Marc Ferracci à l’Industrie). Le portefeuille du Commerce, de l’Artisanat, des PME et de l’Économie sociale et solidaire revient à la LR Véronique Louwagie, celui de l’Intelligence artificielle et du Numérique reste à Clara Chappaz et Nathalie Delattre (Mouvement radical) sera chargée du Tourisme.
Il est donc à noter que contrairement au choix de Michel Barnier, qui avait placé le ministre chargé du budget directement sous la tutelle de Matignon, ce poste revient à présent à Bercy. Le fait qu’il soit confié à Amélie de Montchalin, très proche d’Emmanuel Macron depuis ses débuts, laisse penser que celui-ci tient à garder la main sur les orientations budgétaires.
Police-justice : un tandem à droite
Les deux ministères régaliens de l’Intérieur et de la Justice reviennent à des personnalités marquées à droite : Bruno Retailleau reste à l’Intérieur, tandis que Gérald Darmanin fait son retour au gouvernement, avec le titre de ministre d’État, à la Justice. Cette dernière nomination, dans un premier temps, a fait tiquer un certain nombre de magistrats, qui n’ont pas oublié le soutien de Gérald Darmanin à une manifestation d'un syndicat de police accusant la justice d’être « le problème de la police ».
Bruno Retailleau sera secondé dans ses fonctions par le LR François-Noël Buffet, brièvement ministre des Outre-mer sous Michel Barnier.
Aménagement du territoire : retour vers le futur
On notera que ce gouvernement ne comporte pas de portefeuille comportant dans son intitulé le terme de « collectivités territoriales », contrairement à ce qui était en usage depuis plusieurs années. En revanche, on assiste au retour d’une expression née dans les années 1960 et longtemps utilisée, mais qui n'était plus en usage depuis qu'Emmanuel Macron occupe l'Élysée : « l’aménagement du territoire ».
C’est le maire très récemment démissionnaire de Dijon (et encore président de l’agglomération), François Rebsamen, qui a été nommé ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation. Ancien socialiste et ministre du Travail sous François Hollande, François Rebsamen a rompu avec son ancienne famille politique pour rejoindre Emmanuel Macron en 2022.
Il aura quatre ministres sous sa tutelle : Valérie Létard, comme sous Michel Barnier, reste au Logement – dont elle est une spécialiste reconnue –, mais elle ne s’occupera plus de la politique de la ville, dont hérite l’ancienne socialiste Juliette Méadel. Philippe Tabarot – vice-président LR de la région Paca, chargé des transports – devient ministre des Transports. Dès sa nomination, ce dernier a choisi de se heurter frontalement aux organisations syndicales en disant sa volonté d’accélérer la mise en concurrence du ferroviaire et de limiter le droit de grève.
Enfin, Françoise Gatel, sénatrice UDI et figure de l’Association des maires de France, reste au gouvernement, chargée de la Ruralité.
Les autres ministères
L’écologie et la transition énergétique n’occupent pas, en revanche, une place considérable dans ce gouvernement. Seulement 12e dans la hiérarchie du gouvernement, Agnès-Pannier Runacher devra à elle seule s’occuper de la transition énergétique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Fait notable : elle n’aura à ses côtés ni ministre délégué ni secrétaire d’État – ce qui peut en dire long sur la place qu’occupent ces dossiers aux yeux du Premier ministre. Contrairement à ce qui se faisait depuis plusieurs années, le ministre chargé de l’écologie n’aura plus la main sur les portefeuilles essentiels dans ce domaine que sont le logement et les transports.
Parmi les autres ministres qui auront à traiter des questions intéressant les collectivités territoriales, il faut citer Catherine Vautrin, qui prend le portefeuille de la Santé, en plus du Travail, des Solidarités et des Familles. Elle sera secondée de trois ministres délégués, dont un dont il faut retenir le nom puisqu’il sera chargé, au titre de « l’accès aux soins », de lutter contre la désertification médicale : il s’agit de Yannick Neuder. Ce député LR, ancien rapporteur général du budget de la Sécurité sociale, est cardiologue au CHU de Grenoble et ancien maire de Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs.
Annie Genevard garde le portefeuille de l’Agriculture. Marie Barsacq, membre de la direction de la Fédération française de football et directrice exécutive du comité d’organisation des JOP de Paris, devient ministre des Sports. Enfin, Laurent Marcangeli, l’ancien maire d’Ajaccio, prend le portefeuille de l’Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification en lieu et place du très controversé Guillaume Kasbarian. On ignore s’il entend reprendre à son compte la réforme consistant à porter à trois le nombre de jours de carence des fonctionnaires.
Quatorze maires ou anciens maires au gouvernement
Notons enfin que, s’il n’y a pas de ministre directement chargé des collectivités, un très grand nombre de membres du gouvernement ont une réelle connaissance du monde local, soit qu’ils aient été maires, soit qu’ils aient eu au moins un mandat local.
Sur 36 ministres (en comptant François Bayrou), seulement 8 n’ont jamais eu de mandat local – même si ceux-ci ont, pour la plupart, un mandat parlementaire. Les 28 autres membres du gouvernement ont siégé ou dans des conseils municipaux, ou dans des conseils départementaux ou régionaux. Quatorze d’entre eux sont ou ont été maires (François Bayrou, Manuel Valls, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu, Rachida Dati, François Rebsamen, Annick Genevard, Laurent Marcangeli, Thierry Mignolas, Sophie Primas, François-Noël Buffet, Yannick Neuder, Véronique Louwagie, Françoise Gatel), auxquels il faut ajouter Catherine Vautrin, présidente de la métropole de Reims. Nathalie Delattre a été adjointe au maire de Bordeaux, tandis que trois autres ministres (Éric Lombard, Patricia Mirallès et Juliette Méadel) ont été conseillers municipaux.
Cette connaissance et cette pratique du monde des collectivités suffiront-elle pour que ces nouveaux ministres tiennent compte des besoins des maires ? L’avenir le dira, mais l’expérience prouve, hélas, que ce n’est pas toujours suffisant, loin de là.
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