Les finances du bloc communal résistent, celles des départements « inquiètent », selon la Cour des comptes
Par A.W.
« Après une année 2022 très favorable, l’année 2023 est marquée par une détérioration globale de la situation financière des collectivités et par une divergence des situations financières des trois grandes catégories de collectivités. » C’est la conclusion présentée, hier, par la Cour des comptes à l’issue de la publication du premier fascicule de son rapport annuel sur les finances publiques locales.
Une réalité qui fait largement écho aux observations de l'Agence France locale (AFL) qui voit apparaître « l’émergence progressive de deux blocs divergents » au sein d’un monde local qui se scinde. D’un côté, il y aurait ainsi un bloc communal qui résiste et, de l’autre, un bloc départements/régions dont les équilibres budgétaires se dégradent.
Une situation qui n’empêche pas les magistrats de la rue Cambon de plaider pour davantage de participation des collectivités aux efforts de maîtrise des finances publiques. Notamment par la contrainte.
La « situation favorable » du bloc communal
Si la Cour attaque les collectivités, dans leur ensemble, en leur reprochant leur « responsabilité prépondérante » dans « la dégradation du solde des administrations publiques locales (Apul) » en 2023, les communes et intercommunalités ont, pour leur part, continué à connaître « une bonne situation financière », estiment les magistrats financiers.
La hausse de leur épargne brute de près de 5 % leur a permis de financer celle des dépenses d’investissement (+ 7,9 %) « sans recours accru à l’endettement ». Une situation jugée « favorable » qui s’explique par la hausse des recettes de fonctionnement (+ 5,8 %) « sous l’effet de la hausse des recettes des taxes foncières, d’enlèvement des ordures ménagères et d’habitation sur les résidences secondaires », qui ont permis de compenser des dépenses de fonctionnement qui ont « beaucoup augmenté » (+ 6 %).
Dans sa réponse à la Cour, l’AMF rappelle, cependant, que la progression de l’épargne du bloc communal correspond à « une évolution égale à l’inflation », ce qui fait dire à l’association que « l’année 2023 enregistre plutôt un maintien de l’épargne ». Et celle-ci d’ajouter que « le maintien de l’épargne n’est pas forcément révélateur d’une situation favorable mais plutôt d’une situation financière équilibrée » et que « l’investissement reste la variable d’ajustement des budgets locaux ».
S’agissant précisément des communes, l’augmentation de leur épargne brute a accéléré en 2023 (+ 6,9 %, après + 1,8 % en 2022 et un rebond de + 10,7 % en 2021) ». Alors que « l’épargne brute de plus de la moitié des communes a augmenté, comme en 2022 », la Cour observe que « les communes de moins de 3 500 habitants se distinguent toutefois par la stabilité de leur épargne (+ 1,6 %) », tandis que celle des plus grandes villes a crû « plus fortement » (+ 21,8 % au-delà de 100 000 habitants). Reste que « le niveau de l’épargne demeure plus élevé dans les petites communes (21,7 % pour les communes de moins de 3 500 habitants, 16,2 % pour celles entre 3 500 et 20 000 habitants), tandis que les strates suivantes présentent un taux moins élevé (environ 13 %) », détaille la Cour.
Une situation qui « n’empêche pas que certaines communes soient en difficulté », ont nuancé les magistrats financiers. Et si les villes moyennes ont eu un niveau d’épargne « plus faible » que les autres, il n’y a rien « d’alarmant ».
Départements : des inquiétudes pour 2024
Bien différente, la situation financière des départements s’est, quant à elle, « dégradée », quand celle des régions s’est plutôt « repliée ».
Avec une chute de près de 40 % de leur épargne brute, les départements ont ainsi connu leur niveau « le plus bas depuis 2017 ». Il y a « une vraie alerte sur 2023 », ont ainsi prévenu les magistrats financiers, qui estiment toutefois que cette situation dégradée reste « soutenable ».
En cause, un « effet de ciseaux » largement dû à la chute impressionnante de près de 22 % des recettes de droits de mutation à titre onéreux (DMTO), liée à la morosité du marché de l’immobilier et à la crise du logement. « Le retournement des recettes de DMTO en 2023 souligne l’inadaptation du financement des charges de fonctionnement des départements, principalement constituées de dépenses sociales rigides et évolutives, par un impôt cyclique et volatil », explique la Cour qui note que cinq départements ont eu une épargne nette négative l’an passé (contre un en 2022).
Les magistrats se sont surtout dit « inquiets pour 2024 » avec une nouvelle baisse des DMTO attendue plus importante que prévue puisque celle-ci est, pour l’instant, « proche des - 20 % ». Initialement estimée à « 10 % », cette baisse, associée à des dépenses sociales qui augmentent en volume, « fragilise notamment une vingtaine de départements ». « Compte tenu des évolutions respectives de leurs recettes de DMTO et de leurs dépenses sociales, les départements vont connaître une situation financière plus difficile en 2024 qu’en 2023 », prévient la Cour, qui alerte sur « les marges de manœuvre de plusieurs d’entre eux (qui) apparaissent étroites ».
Une situation qui aura, sans doute, des conséquences pour les communes et les EPCI. Alors que « les départements participent beaucoup au financement du bloc communal » par le biais de subventions et bien que ces derniers aient augmenté leurs investissements en 2023, les magistrats financiers ont pointé la « volonté de retrait de certains départements dans le financement des dépenses d’investissement du bloc communal ». Avec pour conséquence, un risque de report ou des difficultés de montage de certains projets portés par les communes et les intercommunalités.
Encadrer certaines recettes des collectivités
Dans ce contexte la Cour des comptes pointe la « contribution incertaine » des collectivités au redressement des finances publiques, compte tenu de la situation financière « moins favorable qu’attendu » et « l’absence de dispositif de mise en œuvre des objectifs de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027 ».
Un grief déjà mis en avant la semaine passée dans son rapport sur les finances publics, dans lequel elle demandait que l'effort de redressement des comptes publics soit « partagé » avec les collectivités et déplorait l'absence de « mécanismes contraignants » à l'encontre des collectivités dans le cadre de leurs objectifs de limitation des dépenses de fonctionnement (- 0,5 % par an entre 2024 et 2027) et d’investissement (en 2026 et 2027).
La juridiction de la rue Cambon regrette également que la loi ne prévoit pas de dispositif « efficace » d’encadrement de l’évolution des transferts financiers de l’État aux collectivités alors que ceux-ci « représentent plus de la moitié de leurs recettes et ont de ce fait une influence certaine sur leurs dépenses ». Elle déplore ainsi que « l’objectif d’évolution des concours financiers de l’État aux collectivités continue à porter sur un périmètre étroit de transferts financiers (prélèvements sur recettes hors FCTVA et mission budgétaire Relations avec les collectivités territoriales), soit 27 % environ de leur montant total ».
« La question de la mise en place de mécanismes à même de garantir la réalisation de l’ensemble des objectifs (...) reste ainsi sans réponse à ce jour », déplore la Cour qui estime que, « compte tenu des disparités de situations entre collectivités, notamment en termes de niveau de ressources pour exercer leurs compétences et de dynamique spontanée de leurs différents postes de dépenses, ces mécanismes devront avoir une portée différenciée entre les différentes catégories de collectivités, mais aussi en leur sein ».
Une position jugée « inefficace pour réduire le déficit de l’État » et qui « met en danger les finances publiques locales », assure notamment l’AMF dans sa réponse à la Cour.
Consulter le premier fascicule du rapport.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Gouvernement : tractations à gauche, « pacte de gouvernance » à droite
Jeux olympiques et paralympiques : un démarrage en demi-teinte
Coqueluche : la HAS demande un rappel de vaccin chez tous les professionnels de la petite enfance
Le risque de la précarité, de génération en génération