Apprentissage de la lecture : des députés réclament un renouvellement complet des manuels aux frais de l'Etat
Par A.W.
« Savez-vous qu’en 2022, 28 % des élèves en début de CE1 n’étaient pas en mesure de lire de manière satisfaisante des mots à voix haute ? Savez-vous que 45 % des élèves entrant en 6e n'atteignaient pas la vitesse de lecture attendue en fin de CM2 et que 16 % ne dépassaient même pas le niveau attendu en fin de CE2 ? Savez-vous que [...] près de 5 % des jeunes de 16 à 25 ans pouvaient être considérés comme illettrés ? »
C’est par cet état des lieux suscitant « la consternation » que la députée du Doubs, Annie Genevard (LR), a présenté, hier, les conclusions de son rapport sur l’apprentissage de la lecture, au terme d’une mission d’information menée avec le député du Calvados, Fabrice Le Vigoureux (RE).
« Scandale d’État »
L’ancienne maire de Morteau perçoit même là un « scandale d’État », tant la lecture « sert de fondement à tous les autres enseignements, mais aussi à bien des compétences sociales », a-t-elle assuré devant la commission des affaires culturelle.
Estimant que « l’explication sociologique des difficultés rencontrées dans le domaine de la lecture n’est pas suffisante », les rapporteurs constatent des grandes variations géographiques. Résultat, « en France métropolitaine, c’est dans les départements du nord du territoire ou entourant l’Île-de-France que les difficultés de lecture sont les plus importantes », les jeunes des départements et régions d’outre-mer étant également « particulièrement concernés ».
Le « choc des savoirs » , promis par Gabriel Attal alors qu’il était encore ministre de l’Éducation nationale, ne saurait, toutefois, se résumer à « la question des moyens financiers accordés à l’école ». Si celle-ci reste « importante », la députée du Doubs estime qu’elle « ne peut expliquer la faiblesse des résultats » scolaires enregistrés depuis plusieurs années (révélés notamment par les derniers résultats de l’enquête PISA qui font état d’un nouveau recul des performances des élèves français par rapport à 2018). Les pratiques pédagogiques dans les classes et la formation des enseignants devant notamment être réinterrogées.
Manuels « inadaptés »
« Insuffisamment formés aux enjeux de la lecture », les enseignants doivent faire avec « des manuels anciens ou inadaptés », quand ils ne sont pas utilisés « de manière incorrecte », a expliqué Annie Genevard. Ainsi, pour les rapporteurs, « l’une des causes principales de la faiblesse des résultats des élèves français en lecture tient à la faiblesse de la formation de leurs enseignants », dont la partie consacrée à l’apprentissage de la lecture constituerait la « portion congrue ».
« Une proportion non négligeable d’enseignants – de 15 % à 40 % selon les estimations – n’utilise pas de manuels de lecture en CP. Certains professeurs, même quand ils en ont à leur disposition, n’y ont pas recours, soit parce qu’ils ne les ont pas choisis et ne se sentent pas à l’aise, soit parce qu’ils préfèrent concocter leur propre méthode », notent-ils. Avec le « risque » qu’une telle approche entraîne « un manque de cohérence et de progressivité de l’enseignement ».
Les enseignants sont également confrontés à une offre pléthorique. « Plus de 80 manuels, dont certains obsolètes et ne correspondant plus aux connaissances scientifiques, seraient en circulation et utilisés par les professeurs des écoles », pointent les auteurs du rapport, qui jugent « le rythme de renouvellement des manuels trop lent ».
« Dans un contexte marqué par des finances locales contraintes, le fait que les mairies soient le plus souvent chargées de l’acquisition des manuels scolaires du premier degré entre certainement en ligne de compte », soulignent-ils, avant de rappeler qu’il n’est « pas rare que des manuels appartenant à des séries différentes soient utilisés en CP et en CE1, voire entre plusieurs classes de CP ».
Dans ce cadre, Annie Genevard et Fabrice Le Vigoureux réclament la « labellisation » des manuels de lecture de CP et CE1 et proposent d’engager « un plan national de renouvellement » de ces derniers, « en partenariat avec les collectivités territoriales ». « L’État prendrait en charge la plus grande partie, voire la totalité du coût de l’opération » en privilégiant « la fourniture auprès des libraires locaux ». Les élèves seraient aussi « propriétaires des manuels », ce qui nécessiterait « un renouvellement annuel ».
Deux recommandations qui rappellent les annonces de Gabriel Attal en décembre dernier. Outre la certification des manuels scolaires, celui-ci avait promis que l’État allait désormais, et ce « bien que ce soit une compétence des collectivités », financer « des manuels scolaires en lecture et mathématiques des élèves de CP et de CE1 », dès la rentrée 2024. Si les modalités n’ont pour l’heure pas été définies précisément, il était question d’un financement « aux côtés des communes », ce qui peut laisser supposer un co-financement.
Moins de numérique, plus de bibliothèques
Autre point particulièrement néfaste à la lecture des écoliers : le numérique. Annie Genevard estime ainsi que « la loi de 2013 sur le numérique éducatif mérite clairement d’être réinterrogée ».
À ses yeux, il faut « faire une pause dans les équipements numériques, car ça mobilise des budgets considérables, c'est nuisible à la santé des enfants et aux apprentissages ». Reconnaissant que cette proposition risque de « beaucoup bousculer les collectivités [qui] ont investi des milliards » dans ce domaine, elle martèle que cela « perturbe fortement les apprentissages ».
Un chiffre est particulièrement frappant : « Un élève de maternelle passe 1 000 heures devant un écran, soit plus que le volume horaire d’une année scolaire, alors même que les effets délétères de l’usage d’écrans dans l’enfance et la petite enfance ont été mis en évidence ». « Si certains outils numériques présentent incontestablement un intérêt, notamment pour les enfants ayant des difficultés particulières (troubles dys, déficits auditifs, etc.), l’utilisation de tablettes ou d’ordinateurs à l’école n’entraîne, globalement, aucune amélioration des performances en écriture et en lecture. Au-delà d’un certain seuil d’utilisation, c’est même l’inverse qui se produit », soulignent les rapporteurs.
Pour y remédier, ils souhaitent « réaffirmer la place et la modernité du livre à l’ère du numérique ». Pour cela, ils suggèrent de « mettre en valeur et développer les dispositifs ayant fait leurs preuves, du type "quart d’heure de lecture" ou "Un livre pour les vacances" », mais aussi de « soutenir la création de bibliothèques d’école partout où il n’en existe pas – ce qui suppose de renforcer le plan Bibliothèques – et systématiser le prêt d’ouvrages pour chaque élève ».
Sur ce dernier point, ils font une série de propositions : « équiper toutes les écoles de bibliothèques, en partenariat avec les collectivités, et procurer à ces lieux des ressources pérennes », « encourager les partenariats entre bibliothèques d’école et bibliothèques des collectivités » et « rendre systématique la prise en compte des écoles maternelles et élémentaires lors de la conclusion de contrats territoire-lecture ».
Si la question du financement se pose, il y a aussi celle des locaux : « Dans les écoles qui ont dû procéder au dédoublement de classes, les bibliothèques scolaires ont souvent dû être sacrifiées », rappelle l'AMF, ce matin.
Consulter le dossier de presse.
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