Sans-abri : le Sénat demande que chaque commune fournisse des données
Par Franck Lemarc
Une proposition de loi sur le décompte des sans-abris a été débattue hier au Sénat a été déposée par le sénateur socialiste de Paris Rémi Féraud. Le sénateur, dans l’exposé des motifs de son texte, fait le double constat d’une augmentation préoccupante du sans-abrisme (un million de personnes privées de logement personnelle dont 330 000 personnes à la rue, selon les chiffres 2022 de la Fondation Abbé-Pierre) et d’une crise du logement qui va immanquablement aggraver la situation.
En 2018, la Ville de Paris a lancé une opération baptisée « Nuit de la solidarité », qui mobilise quelque 2 000 bénévoles et professionnels pour compter, « à un instant T », le nombre de personnes à la rue. Cette opération a fait florès : elle a été transposée dans de nombreuses communes d’Île-de-France, mais aussi à Rennes, Metz, Grenoble, Toulouse, Montpellier. Le sénateur Féraud estime que ce dispositif a vocation à être généralisé : « La première étape nécessaire à l'élaboration d'une réelle politique de mise à l'abri des personnes sans abri, à la prévention des situations de grande exclusion et à l'insertion durable des publics concernés consiste à recenser précisément les besoins dans toutes nos communes. »
Sa proposition de loi est donc assez simple : l’article 1 dispose que « dans chaque commune, des travailleurs sociaux et des bénévoles procèdent annuellement, de nuit, dans des conditions précisées par décret, au décompte des personnes sans abri », afin de contribuer à l’élaboration d’un « diagnostic territorial ». L’article 2 précise que ces données devraient être centralisées par l’État, qui remettrait au Parlement, chaque année, un rapport d’évaluation élaboré à partir de ces diagnostics territoriaux et établissant « une liste de recommandations ».
Obligation de recensement dans les seules grandes villes
Avant le passage en commission, l’AMF avait fait savoir aux rapporteurs qu’elle s’interrogeait sur la pertinence de cette proposition de loi. Elle considère en effet que le décompte des personnes sans-abri, qui pèserait sur les communes, n’est qu’une première étape - importante mais pas suffisante à la prise en charge des personnes sans-abri. Il importe avant tout, expliquait l'AMF, que l’État « assume ses responsabilités administratives et financières en matière de politique de l’hébergement et développe un nombre suffisant de places ».
En commission, les sénateurs ont amendé ce texte pour tenir compte des difficultés qu’il pourrait y avoir organiser une telle opération chaque année dans toutes les communes – d’autant plus que l’écrasante majorité d’entre elles ne comprennent heureusement aucun sans-abri.
La commission a donc amendé le texte pour ne rendre ce décompte annuel obligatoire que dans les communes de plus de 100 000 habitants. « En dessous du seuil, les communes transmettraient annuellement des données sur le nombre de personnes sans abri sur leur territoire aux services départementaux de l'État », données obtenues par « simple recensement », écrit la commission dans son rapport.
Le texte qui a été soumis aux débats en séance public hier était donc différent de la version initiale. Il dispose que « chaque commune collecte et transmet annuellement [au préfet] les données relatives au nombre de personnes sans abri sur leur territoire ». Seules les communes de plus de 100 000 habitants devraient procéder annuellement à une opération type « Nuit de la solidarité ».
Les « conditions » du gouvernement
En séance, hier, le ministre Christophe Béchu a salué l’initiative, reconnaissant qu’aujourd’hui, « il est méthodologiquement compliqué d'avoir une méthode robuste et fiable » pour comptabiliser les personnes sans abri. Il a donc dit vouloir émettre un avis favorable sur ce texte… à condition que le Sénat adopte les amendements du gouvernement. Et il faut bien dire que ces amendements vidaient le texte d’une grande partie de sa substance.
Le gouvernement a en effet proposé de supprimer le premier alinéa de la proposition, qui imposerait à toutes les communes de « collecter » les données sur le sans-abrisme, ne laissant donc dans le texte que la seule obligation pour les villes de plus de 100 000 habitants d’organiser des Nuits de la solidarité sur le terrain. Christophe Béchu a estimé que dans les villes de taille inférieure à ce seuil, les données sont connues et qu’il est inutile de leur rajouter une charge supplémentaire. Ce qui a provoqué une remarque pleine d’ironie de la rapporteure socialiste Laurence Rossignol, qui « a remercié le gouvernement de se préoccuper de la charge des communes et l’encourage à continuer ». Plus sérieusement, la rapporteure a défendu la disposition prévue, estimant que « ne cibler que les grandes villes n'adresserait pas le bon message ». Les sénateurs LR ont, eux, été sur la même ligne que le ministre, la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio demandant de « laisser les communes faire ce qu’elles savent faire, sans les contraindre par la loi ». D’autres sénateurs, en revanche, ont défendu le dispositif, estimant que « le sans-abrisme se développe partout, y compris en milieu rural », et qu’il faut « prendre le problème à bras-le-corps ».
Le gouvernement a également demandé que dans les communes de plus de 100 000 habitants, le décompte obligatoire soit fait non pas annuellement mais tous les deux ans – sur demande de France urbaine, a précisé le ministre.
Bien que Les Républicains soient majoritaires au Sénat, ils n’avaient apparemment pas assez de sénateurs présents dans l’hémicycle pour faire adopter les amendements gouvernementaux : ceux-ci ont été rejetés.
Le texte a donc été adopté en l’état, avec obligation pour toutes les communes de procéder, chaque année, à « la collecte de données » sur le sans-abrisme et de les transmettre au préfet ; et pour les plus grandes d’entre elles de procéder tous les ans à une opération type Nuit de la solidarité. La seule modification adoptée a été d’exiger que les rapports « précisent le nombre de femmes et d’enfants sans abri dans chaque commune ».
Christophe Béchu l’a répété à la fin des débats : le soutien du gouvernement à ce texte « est conditionné à l’adoption de ses amendements ». Puisqu’ils ne l’ont pas été, l’avenir de ce texte est bien incertain à l’Assemblée nationale, où la majorité devrait donc le combattre ou en restreindre fortement la portée, à supposer qu’il y soit débattu.
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