La dématérialisation continue de « porter atteinte » à l'accès aux droits des usagers selon la Défenseure des droits
Par Aurélien Wälti
La dématérialisation des services publics met « en danger notre cohésion sociale, notre sentiment d’appartenance commun, et fait courir le risque d’un affaiblissement de la participation démocratique, dans toutes ses dimensions ». Trois ans après un premier rapport, la dématérialisation des services publics se ferait toujours « à marche forcée » et de manière trop rapide pour une partie de la population, alors que les inégalités d’accès aux droits continuent de s’accentuer, laissant sur le bord du chemin un nombre inquiétant d’usagers.
C’est le constat de la Défenseure des droits dans un nouveau rapport sur cet enjeu de « cohésion sociale », publié ce matin, dans lequel elle réclame une solution alternative systématique à Internet afin de pouvoir assurer le respect des droits fondamentaux des citoyens (le droit à la santé, au logement, à l’éducation, à la justice, à l’hébergement d’urgence, etc.).
Des réclamations en hausse
Car malgré une « prise de conscience des risques » encourus de la part des pouvoirs publics, certaines démarches ne sont tout simplement accessibles que de manière dématérialisée.
Ce qui représente un véritable problème dans un pays qui compte encore 13 millions de personnes en difficulté avec le numérique, près d’un quart des Français ne disposant pas d’ordinateur ni de tablette à domicile et une personne sur 10 n’ayant pas d’accès à internet. Et ce alors que l’objectif d’Emmanuel Macron est de passer à la dématérialisation totale des 250 démarches « clés » pour les Français d’ici la fin 2022.
Bien que la dématérialisation reste « une chance » aux yeux de l’institution et qu’il y a bien eu « parfois des progrès » ces dernières années – tels que l’ouverture des France services, qui rassemblent certains services publics dans une seule structure – , « des reculs » ont également été observés.
Pour preuve, les litiges « toujours plus nombreux » que les délégués et les juristes du Défenseur des droits continuent de recevoir, « conséquence d’une numérisation inadaptée aux situations des usagers ».
Les réclamations ont ainsi augmenté de 15 % en 2021, à hauteur de 115 000, contre environ 100 000 enregistrées les années précédentes. Parmi elles, 91 000 concernaient les services publics, contre 35 000 en 2014. Ainsi, tous les ans, plus de 80 % des réclamations adressées à la Défenseure des droits concernent les difficultés liées aux services publics, avec « quasiment toujours un problème » lié à la dématérialisation ou à l’impossibilité pour l'usager d'échanger avec l'agent s'occupant de son dossier.
Les délégués voient arriver dans les permanences des personnes « épuisées » et constatent que les réclamants sont « de plus en plus désespérés, parfois même révoltés, par le sort que les administrations leur infligent ». Dans ce contexte, près d’un Français sur quatre exprime le sentiment de vivre dans un territoire délaissé par les pouvoirs publics.
Les personnes vulnérables très touchées
Des difficultés qui touchent les plus vulnérables, principalement les personnes en situation de précarité sociale, de handicap, les personnes âgées, les détenus, les majeurs protégés ou encore les étrangers ayant besoin d'effectuer des démarches en préfecture pour leur titre de séjour, détaille le rapport. Une manifestation est d’ailleurs prévue, aujourd’hui même, à Bobigny, pour dénoncer « l'inaccessibilité » de la préfecture de Seine-Saint-Denis pour la prise de rendez-vous en ligne, relate le quotidien Le Monde.
« Se retrouver en difficulté pour mener une procédure administrative dématérialisée à son terme est une expérience devenue banale, pour obtenir des documents administratifs, une simple carte grise par exemple, des prestations sociales de toute nature, mobiliser des dispositifs fiscaux comme ‘’ma Prim’rénov’’, pour respecter les obligations posées par tel ou tel dispositif, comme par exemple l’indemnisation du chômage », énumèrent les auteurs du rapport.
Ceux-ci citent plusieurs exemples kafkaïens ayant trait au RSA. Une personne sans domicile fixe qui s'est vu privée du RSA n'ayant pas pu actualiser sa situation sur internet car l'espace France services où elle faisait habituellement ses démarches était fermé durant l'été. Une autre, illettrée, ayant beaucoup de difficultés à communiquer et en situation de très grande exclusion a connu le même sort à cause d’une erreur de saisie de son aidant. Après rétablissement de sa situation, la caisse n’a toutefois pas jugé que la dématérialisation était à l’origine du problème, dès lors… qu’il suffisait au réclamant de se rendre à un point d’accès numérique.
Des difficultés rencontrées également par des usagers pour acheter des billets de train, pour les agriculteurs ne pouvant toucher l’aide de la PAC sans signature électronique…
La Défenseure des droits s'est, par ailleurs, dit « choquée » de la multiplication d'acteurs privés qui monétisent leur aide à l'accès aux services publics.
D’autant que l’on demande à l'usager de « s'adapter aux services publics », ce qui représente « un renversement » de la charge et de la responsabilité dans l'accès aux droits, qui désormais « reposent sur l'usager », dénonce la Défenseure des droits qui rappelle que « les relations entre l’administration et les usagers ne sont pas de même nature que celles entre un client et une entreprise : les usagers n’ont pas la liberté de recourir au service public, ils y sont contraints, soit par des textes, soit parce que leurs ressources et leur équilibre de vie dépendent des prestations du service public ». De fait,« ils n’ont pas d’alternative, sauf le renoncement et le non recours ».
Une « offre supplémentaire » et « non substitutive »
Pour pallier à ces multiples problèmes, elle demande de « renforcer l’efficacité de la politique d’inclusion numérique », mais surtout de « renverser la perspective, et d’offrir aux usagers la possibilité de choisir réellement leurs modes d’interaction avec les administrations afin que le service public s’adapte aux besoins et aux réalités des usagers et non l’inverse ».
« Il s’agit là de revenir aux fondements du service public et de revitaliser ses grands principes que sont la continuité, l’égalité et l’adaptabilité », défend-elle, assurant que « la dématérialisation des procédures administratives s’inscrirait ainsi comme une offre supplémentaire et non substitutive au guichet, au courrier papier ou au téléphone ».
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