Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 9 octobre 2025
Crise politique

Pas de dissolution dans l'immédiat, mais pas de solution non plus

À l'issue de sa « mission » de 48 heures, le Premier ministre démissionnaire a répété, comme il l'avait fait hier matin, que la dissolution « s'éloigne ». Mais elle ne va pas très loin : en réalité, aucune solution politique de long terme n'a émergé des consultations menées par Sébastien Lecornu.

Par Franck Lemarc

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Beaucoup d’éléments de langage, plusieurs fois répétés, et fort peu d’annonces. « J’ai tout essayé », a conclu hier Sébastien Lecornu, qui a cultivé son image de « moine-soldat »  du macronisme, qui ne « court pas après le job »  de Premier ministre et n’a d’autre ambition que de « faire adopter un budget avant le 31 décembre » . Mais comment ? Et avec qui ? C’est une autre affaire.

Un Premier ministre sous 48 heures

Sébastien Lecornu a assuré hier que le président de la République nommera un Premier ministre d’ici à vendredi soir – ce qui veut dire qu’il ne devrait pas y avoir, pour l’instant, de dissolution. Alors que, d’après plusieurs sources proches de l’Élysée, le chef de l’État était prêt à appuyer sur le bouton nucléaire de la dissolution dès lundi dernier, Sébastien Lecornu et d’autres l’ont convaincu que le remède pourrait s’avérer pire que le mal et aboutir, comme l’a dit le Premier ministre démissionnaire, à un « blocage qui pourrait être davantage définitif ». 

Il y a, selon lui, « une majorité absolue »  de députés qui ne souhaitent pas la dissolution. C’est arithmétiquement exact : si l’on retire les députés RN, ciottistes et LFI qui réclament un retour aux urnes, il reste environ 350 députés qui ne le souhaitent pas, soit bien plus que la majorité absolue de 289 sièges. Néanmoins, ne pas vouloir la dissolution ne constitue, à soi seul, ni un programme politique ni une « plateforme d’action », et constituer cette dernière risque d’être un peu plus compliqué. Car on peut lire entre les lignes des déclarations de Sébastien Lecornu qu’en réalité, sur le fond, rien n'a changé par rapport à la semaine dernière : il y a « environ 210 députés »  qui veulent « plus ou moins la même chose sur le budget », a expliqué le Premier ministre démissionnaire. 210 députés (211 en réalité) c’est le nombre de sièges du « socle commun », c’est-à-dire Renaissance, le MoDem, Horizons et les Républicains. Cela ne suffira pas à faire adopter un budget. Il faudra donc faire des concessions pour obtenir le soutien, ou du moins l’abstention, des 69 députés socialistes, ce qui permettrait d’approcher de très près la majorité absolue. 

Sauf que – et cela montre l’ampleur du casse-tête que représente la situation actuelle – il y aura un phénomène de vases communicants : les concessions qui pourraient permettre de rallier les socialistes conduiront à perdre des soutiens au sein du socle commun. Par exemple la « suspension »  de la réforme des retraites, évoquée depuis mardi soir, permettrait peut-être d’avoir le soutien des socialistes, mais ferait perdre celui de tout ou partie des Républicains, dont le président, Bruno Retailleau, a dit qu’il s’agissait d’une « ligne rouge ». 

Un gouvernement, mais lequel ?

Autre question à laquelle Sébastien Lecornu s’est bien gardé de répondre : quel gouvernement sera aux manettes pendant le débat budgétaire ? Il a rappelé que le choix du Premier ministre appartenait au chef de l’État et à lui seul, mais lui a donné un conseil : il estime que l’équipe gouvernementale, à commencer par le Premier ministre, devrait être « complètement déconnectée »  de l’élection présidentielle de 2027. Ce qui peut être compris de deux façons : ou bien cela veut dire que l’équipe ne devra comprendre aucun ministre personnellement candidat à l’élection présidentielle (et Sébastien Lecornu ne sera lui-même pas candidat, a-t-il opportunément rappelé) ; ou bien il s’agit d’un gouvernement de techniciens, hors des partis. En effet, si le gouvernement ne comprend pas de potentiels candidats mais est composé de membres des partis politiques actuellement représentés à l’Assemblée, il n’y aurait pas de « déconnexion »  possible avec l’élection présidentielle, qui est et restera l’alpha et l’omega de tous les partis. 

Gouvernement technique, donc ? Avec un objectif à court terme, celui de faire adopter un budget avant la fin de l’année ? C’est peut-être ce qu’a soufflé Sébastien Lecornu au chef de l’État – car en tout cas, une chose est sûre : il n’a pas pu lui dire que la situation politique a réellement changé pendant ces 48 heures. 

Situation toujours bloquée

Les déclarations du Premier ministre démissionnaire ont été suffisamment floues pour que chacun y comprenne ce qu’il veut, avec, parfois, une certaine dose de mauvaise foi. « Sébastien Lecornu a reconnu que la gauche avait raison » , a par exemple cru comprendre le socialiste Boris Vallaud, dans un exercice assez périlleux de méthode Coué. L’écologiste Marine Tondelier espère possible, à la suite de la prise de parole de Sébastien Lecornu, que la porte soit ouverte à un gouvernement de gauche, « socialiste et écologiste »  – alors que pas un mot du Premier ministre démissionnaire n’est allé dans ce sens. 

En réalité, la situation ne semble guère moins bloquée qu’elle l’était avant la prise de parole de Sébastien Lecornu, avec un RN qui a répété qu’il censurerait automatiquement tout gouvernement, quel qu’il soit, jusqu’à la dissolution ; une gauche plus que jamais divisée entre LFI – qui veut le départ immédiat du président de la République – et les autres forces qui hésitent entre participer au gouvernement et s’y opposer ; un « socle commun »  en lambeaux, profondément déchiré par le revirement des Républicains en général et de Bruno Retailleau en particulier, dimanche soir ; un « bloc central »  de plus en plus divisé, dont au moins une composante, Horizons, demande maintenant le départ du chef de l’État… et le parti macroniste lui-même, Renaissance, profondément déchiré par la proposition d’Élisabeth Borne de « suspendre »  la réforme des retraites. Dans ces conditions, composer un gouvernement et trouver une majorité pour voter le budget relève tout autant de la gageure qu’il y a 48 heures. 

Le camp macroniste est-il réellement décidé à faire des concessions sur la réforme des retraites pour gagner les faveurs du PS ? Bien malin qui peut répondre à cette question. Sébastien Lecornu a, au fond, promis encore moins qu’Élisabeth Borne : celle-ci avait suggéré « d’examiner les modalités »  d’une suspension de la réforme des retraites jusqu’à 2027 ; le Premier ministre démissionnaire a parlé, lui, de « trouver un chemin pour que le débat ait lieu » , insistant sur le fait que le problème, pour lui, n’est pas la réforme – qu’il soutient – mais le fait que les Français « ont l’impression »  que le débat n’a pas eu lieu. Il n’est pas sûr, loin de là, qu’un engagement aussi général puisse convaincre grand-monde, à gauche, de rengainer l’arme de la censure.

Le « plan »  de Sébastien Lecornu, pour vague qu’il soit, peut donc se résumer ainsi : nomination d’un Premier ministre vendredi, constitution d’un gouvernement « déconnecté de la présidentielle »  ce week-end, présentation du budget en Conseil des ministres lundi, et début des débats au Parlement dans la foulée – ce qui permettrait de tenir les délais constitutionnels du débat budgétaire. Et ensuite, espoir de conclure un accord de non-censure avec le PS pour voir adopté un budget avant le 31 décembre.

Mais tant de cailloux peuvent se glisser dans les engrenages d’ici là, qu’il serait bien imprudent d’affirmer que les choses vont automatiquement se passer ainsi. Le chef de l’État va-t-il écouter ces conseils, ou choisir son propre chemin, comme c’est en général son habitude ? Qui va accepter la mission plus que délicate de conduire le gouvernement dans cette situation ? L’accord de non-censure avec une partie de la gauche est-il possible ? Les députés Républicains vont-ils jouer le jeu de poursuivre la coopération avec les macronistes ou vont-ils la torpiller ? Autant de questions sans réponses à ce jour. En attendant, la balle est maintenant dans le camp de l’Élysée, la mission de Sébastien Lecornu étant « terminée » , et, de l’aveu même du Premier ministre, « pas complètement réussie » . Ce qui semble un euphémisme, même si la responsabilité n’incombe pas à lui seul, loin de là. 

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