Covid-19 : le gouvernement abandonne la territorialisation et revient aux mesures nationales
Par Franck Lemarc
Le chiffre n’était pas sorti, hier à 20 h, quand Emmanuel Macron a pris la parole. Mais en fin de soirée, Santé publique France a publié le nombre de contaminations pour la journée d’hier : 59 038. Ce seul chiffre suffit pour comprendre l’ampleur de la troisième vague qui touche le pays.
« Nouvelle donne »
Lors de sa prise de parole, le chef de l’État a commencé par justifier la stratégie adoptée depuis le début de l’année, c’est-à-dire depuis l’arrivée du variant repéré en Grande-Bretagne : « Nous avons décidé de freiner l’épidémie sans nous confiner. (…) Nous avons gagné des jours précieux de liberté, des semaines d’apprentissage pour nos enfants, nous avons permis à des centaines de milliers de travailleurs de garder la tête hors de l’eau sans jamais perdre le contrôle de l’épidémie. Nous avons, je le crois, bien fait. » Il reste à savoir ce que signifie « perdre le contrôle de l’épidémie », lorsque l’on en est à 60 000 nouveaux cas en une journée, 60 % des départements au-dessus d’un taux d’incidence de 250 et 98 % des capacités de réanimation du pays occupées.
Le chef de l’État a tout de même reconnu « une nouvelle donne » depuis le début mars, avec une épidémie « plus étendue qu’au printemps dernier », car « aucune région n’est épargnée », et « plus dangereuse qu’à l’automne », parce que le variant « UK » est « plus contagieux et plus meurtrier ». Les mesures prises le 18 mars, a poursuivi Emmanuel Macron, montrent « leurs premiers effets », mais ils sont « trop limités ». L’exécutif a donc décidé de prendre des mesures au niveau national, cette fois, pour tenter de ne pas « perdre le contrôle » : samedi 3 avril au soir, les « mesures de freinage renforcées » seront appliquées à « tout le territoire métropolitain » (lire article ci-dessous).
Le président de la République a également annoncé une mesure générale de fermeture des écoles et des crèches à partir de mardi prochain (lire article ci-dessous).
Enfin, il a promis un renforcement significatif des capacités hospitalières, avec une capacité en lits de réanimation portée à « 10 000 lits », en mobilisant encore davantage « les étudiants en médecine, les retraités, les services de santé des armées… ». De « nouvelles capacités d’accueil » devraient être ouvertes dans les hôpitaux parisiens.
« Vacciner, vacciner, vacciner »
Après avoir dressé ces perspectives peu réjouissantes, le chef de l’État a voulu donner un peu d’espoir aux Français en traçant les perspectives d’une « sortie de crise » qui « se dessine enfin ». Rappelant que 8,5 millions de personnes ont reçu une première dose et « 3 millions en ont reçu deux », Emmanuel Macron a appelé à « accélérer encore et encore » : « Vacciner, vacciner, vacciner. Sans répit, sans jour férié. Le samedi et le dimanche comme la semaine. » Saluant « l’engagement exemplaire des maires » qui ont ouvert quelque 1 700 centres de vaccination, le président a promis que le gouvernement allait « accélérer » la livraison des doses. Il a donné un calendrier cette fois parfaitement clair : les personnes de 60 à 70 ans, quel que soit leur état de santé, pourront se faire vacciner à partir du 16 avril. Les personnes de 50 à 60 ans, un mois plus tard, le 15 mai. Et enfin, à la mi-juin, ouverture de la vaccination à tous les Français qui le souhaitent, quel que soit leur âge. L’objectif reste toujours le même : que « tous les Français qui le souhaitent » puissent être vaccinés « d’ici la fin de l’été ».
« Réouverture progressive »
Enfin, le chef de l’État a esquissé un premier calendrier de « réouverture progressive du pays ». Un véritable « agenda » sera dévoilé « prochainement », mais Emmanuel Macron a déjà indiqué que « certains lieux de culture » pourraient rouvrir « dès la mi-mai », ainsi que les terrasses des cafés, « sous condition ». « La culture, le sport, les loisirs, l’événementiel, les cafés et restaurants » pourraient rouvrir progressivement « entre la mi-mai et le début de l’été ».
Ce calendrier est suspendu à tant d’inconnues que les professionnels concernés restent prudents : « Chat échaudé craint l’eau froide », commentait hier un responsable de l’Umih (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie). L’année passée a habitué à des calendriers souvent repoussés et à des promesses impossibles à tenir – rappelons que les équipements culturels étaient censés rouvrir en janvier.
Des médecins et des élus pas toujours convaincus
Le nombre de vaccins livrés sera-t-il suffisant ? De nouveaux variants vont-ils apparaître ? Quels seront les effets des mesures de « freinage » annoncées hier ? Il n’y a pas de réponse à ces questions, et les experts se montrent, depuis hier, très prudents. Philippe Juvin, chef des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou à Paris et maire LR de La Garenne-Colombes (92), interviewé hier dans les médias, a eu beaucoup de mal à tenter de se montrer positif, sans pouvoir cacher un certain agacement : « On a perdu beaucoup de temps », ces mesures arrivent « trop tard », « la fermeture des écoles n’est pas à la hauteur ». « On fera le job », a soupiré le professeur Juvin, visiblement peu convaincu de l’efficience des mesures de confinement « light » annoncées.
Même incertitude chez Frédéric Valletoux, maire de Fontainebleau et président de la Fédération hospitalière de France, joint ce matin par Maire info, qui reconnaît que l’on a certes « franchi un palier avec la fermeture des écoles », mais qu’on est « loin de la réponse massive qu’attendaient les hospitaliers » (la FHF a demandé hier un confinement « strict » ). Frédéric Valletoux constate que dans les 19 départements soumis aux mesures de freinage, « on ne peut pas dire que ces mesures ont permis d’écraser les courbes » et parle « d’empilement des demi-mesures ». « Si le prix à payer, c’est de vider les hôpitaux de tous les malades graves qui ne sont pas atteints du covid… on est loin de la mission qui est celle des hospitaliers ». Interrogé sur la promesse présidentielle de passer à 10 000 lits de réanimation, le maire de Fontainebleau se montre, là encore, peu optimiste. « Bien sûr, on y arrivera, mais là encore à quel prix ? La nuit dernière, entre 22 h et 5 h du matin, l’AP-AH [hôpitaux de Paris] organisait une formation pour les infirmières, pour leur apprendre les gestes de base de la réanimation… Sur le papier, tout est possible. Mais d’un point de vue humain… ».
Du côté des associations d’élus, pas de réaction ce matin – mais il n’est pas certain que celles-ci fassent montre d’un enthousiasme excessif face à l’abandon de la « territorialisation », qu’elles défendent avec acharnement depuis des mois. Reprenant sa casquette de maire de Fontainebleau, cette fois, Frédéric Valletoux avoue ce matin « regretter » l’abandon de la territorialisation, qui était « bien comprise des Français ». « Maintenant, on va appliquer les mêmes mesures partout », c’est-à-dire dans le Val-d’Oise, où le taux d’incidence est de 813 et dans le Finistère où il est 10 fois inférieur (89). « Et en revanche, en Île-de-France où l’épidémie s’emballe, il n’y a rien de plus, à part la fermeture des écoles. C’est dommage. »
Philippe Laurent, maire de Sceaux et secrétaire général de l’AMF, dit la même chose plus crument encore. Il déclarait hier soir sur twitter : « L’abandon de la territorialisation pour les commerces et pour les écoles notamment est une erreur incompréhensible. Elle ne peut s’expliquer que par la lecture exclusivement centralisatrice du fonctionnement du pays. »
D’autres élus sont plus nuancés, à commencer par François Baroin, président de l’AMF, qui a réagi hier en tant que maire de Troyes, dans un communiqué publié sur le compte twitter de la ville. François Baroin dit « approuver le renforcement des précautions sanitaires ». Il demande que « les activités des centres de loisirs municipaux » soient également fermées pendant la période – ce que Jean Castex a confirmé ce matin (lire article ci-dessous). « Dans un esprit de très grande responsabilité, nous continuerons d’être aux côtés de l’État comme nous le sommes depuis plus d’un an, pour faciliter la mise en œuvre des mesures annoncées. »
Autre élue à approuver les mesures annoncées hier : Valérie Pécresse. La président de la région Île-de-France a parlé ce matin, en évoquant la fermeture des écoles, « une mesure nécessaire » (elle la réclamait depuis une semaine). Elle estime cependant que la mesure « aurait mérité un préavis pour les familles, qui se retrouvent au pied du mur. »
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Confinement du week-end : comprendre les nouvelles règles publiées par décret (26/02/2021)
Covid-19 : et maintenant, le « confinement sans enfermement » (19/03/2021)
Covid-19 : vers une fermeture des écoles ? (31/03/2021)
Fermeture des écoles et crèches : cinq jours pour s'organiser
Comprendre les mesures « renforcées » qui seront en vigueur sur tout le territoire dimanche
Plan de relance : 65 nouveaux projets alimentaires territoriaux sélectionnés