49-3, censure, motion de rejet, ordonnances... ce qui va se jouer cette semaine à l'Assemblée nationale
Par Franck Lemarc
Bien malin qui peut savoir si le gouvernement Barnier sera encore en place d’ici la fin de cette semaine. Si un renversement est parfaitement possible, les jours à venir amèneront probablement leur lot de surprises.
À 15 heures, aujourd’hui, le PLFSS issu de la commission mixte paritaire sera mis en discussion pour une adoption définitive. Ni le Nouveau Front populaire ni le RN n’étant prêts à le voter en l’état, il a toutes les chances d’être rejeté. C’est ce qui devrait pousser le Premier ministre à faire usage de l’article 49-3 de la Constitution – ce qu’il a estimé plus que probable la semaine dernière, et ce à quoi il a déjà été autorisé par le Conseil des ministres.
Que se passe-t-il si Michel Barnier dégaine le 49-3 ? Dans ce cas, est-il précisé dans la Constitution, « le projet de loi est considéré comme adopté sauf si une motion de censure, déposée dans les 24 heures qui suivent, est votée ». L’opposition aura donc jusqu’à mardi en fin d’après-midi pour déposer une motion de censure. La Constitution fixe les conditions de ce vote : il doit avoir lieu « 48 heures après le dépôt » de la motion, soit entre mercredi et jeudi après-midi. Elle doit ensuite recueillir « la majorité absolue des membres composant l’Assemblée », soit 289 voix au moins. Les députés appartenant au Nouveau Font populaire et au Rassemblement national représentant 332 voix, ils sont donc, s’ils votent ensemble, en mesure de renverser le gouvernement. En effet, poursuit la Constitution, si une motion de censure est adoptée, « le Premier ministre doit remettre au président de la République la démission du gouvernement ».
À l’heure où nous écrivons, le Rassemblement national a affirmé qu’il voterait la censure, « sauf miracle », a déclaré Jordan Bardella, le président du parti, sur RTL ce matin : « C'est plié (...) Je suis contraint aujourd'hui d'annoncer la censure du gouvernement. Sauf évidemment miracle de dernière minute, si Michel Barnier venait à revoir sa copie d’ici 15 h. » Le « miracle » consisterait, pour le Premier ministre, à céder aux ultimes exigences du RN, à savoir renoncer au déremboursement de médicaments et accepter la revalorisation des retraites sur l’inflation dès le 1er janvier.
Ultime coup de pression, ou coup de bluff ? On le saura rapidement.
Motion de rejet
Sauf si une autre carte venait changer la donne. Hier soir, sur BFMTV, le député socialiste Jérôme Guedj a annoncé que son parti allait déposer aujourd’hui une « motion de rejet » sur ce texte. Une motion de rejet, peut-on lire dans le règlement de l’Assemblée nationale, a pour objet de « faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou de faire décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer ». Si cette motion de rejet était adoptée, le débat repartirait à zéro : « On repart en nouvelle lecture et donc dans une possibilité de négociations, il n’y aura pas de 49-3 et pas de motion de censure », a expliqué Jérôme Guedj. Paradoxalement, cette décision du Parti socialiste apparaît donc comme l’octroi d’un sursis au Premier ministre, en éloignant le couperet de la censure. Mais le problème est que le délai constitutionnel permettant d’adopter le PLFSS prend fin jeudi soir. Vu qu’il paraît difficilement imaginable de réaliser la totalité de la navette parlementaire dans ce délai, il risquerait alors de ne pas y avoir de texte dans les temps, ce qui conduirait le gouvernement à faire passer le budget de la Sécurité sociale par ordonnance.
Ordonnances
Il existe enfin, pour le Premier ministre, une autre option pour échapper à la censure : ne pas utiliser le 49-3 et aller au vote. C’est peut-être l’option qui sera choisie par Michel Barnier, malgré ses déclarations de la semaine dernière. Dans ce cas, on peut raisonnablement penser que le PLFSS sera rejeté, ce qui conduira à la même situation que dans le cas précédent : un passage par voie d’ordonnance.
Mais même dans ce cas, rien n’empêcherait l’opposition de déposer quand même une motion de censure : une telle motion n’est en effet pas réservée à la seule procédure du 49-3. Elle peut être déposée à tout moment, dès lors qu’elle a été signée par un dixième au moins des députés.
Même si le gouvernement échappe à une motion de censure ce début de semaine, ses ennuis ne seront pas terminés. Jeudi, le calendrier de l’Assemblée nationale prévoit l’examen du projet de loi de finances de fin gestion – qui pourrait là encore faire l’objet d’un 49-3. Avant l’examen final du projet de loi de finances pour 2025, dont l’examen devrait aboutir à l’Assemblée nationale vers le 20 décembre.
Un « shut down », possible ou non ?
Reste à savoir ce qui pourrait se passer si le gouvernement tombait cette semaine – puisqu’on a vu que cette hypothèse est loin d’être impensable. Les conséquences en seraient particulièrement préoccupantes, à quelques jours de la fin de l’année et de l’obligation d’adopter un budget.
Dans ce cas, tant qu’un nouveau gouvernement n’est pas nommé – et cela peut être long, on l’a vu cet été – le gouvernement démissionnaire gère « les affaires courantes ». Un gouvernement démissionnaire pourrait-il faire passer un budget par ordonnance ? La question divise les constitutionnalistes, dont certains pensent que oui, et d’autres estiment au contraire que ce serait inconstitutionnel.
Autre option : un gouvernement, même démissionnaire, peut déposer devant le Parlement un « projet de loi spéciale l’autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année » (article 45 de la loi organique relative aux lois de finances). C’est cette option qui écarte, en théorie, le danger d’un « shut down », selon l’expression utilisée aux États-Unis, c’est-à-dire un blocage complet de la situation avec impossibilité, notamment, de payer les fonctionnaires ou de verser les douzièmes de dotations aux collectivités.
Mais attention, ce projet de loi spéciale n’est pas une ordonnance : autrement dit, il doit être voté par le Parlement. Que se passerait-il si ce n’était pas le cas ? Les constitutionnalistes, interrogés ces derniers jours dans les médias, jugent ce cas hautement improbable (car il supposerait une volonté délibérée de l’opposition d’aller au chaos) mais pas impossible juridiquement. Si une telle situation devait advenir, deux options seraient possibles : le « shut down », c’est-à-dire un pays sans budget, ce qui n’est jamais arrivé. Ou un recours par le président de la République à l’article 16 de Constitution, qui lui permet d’exercer des « pouvoirs exceptionnels » lorsque « les institutions de la République (…) sont menacées d’une manière grave et immédiate ». Dans ce cas, le chef de l’État pourrait prendre des mesures budgétaires par décret.
On n’en est évidemment pas là. Mais ce sont bien des jours décisifs qui s’ouvrent aujourd’hui à l’Assemblée nationale.
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