Arrêtés municipaux durcissant l'état d'urgence : le Conseil d'État clarifie sa position
Après la suspension, par le tribunal administratif de Cergy, de son arrêté imposant le port d’un masque sur le territoire de la commune, le maire de Sceaux, Philippe Laurent, a fait appel auprès du Conseil d’État. Celui-ci a confirmé, vendredi, la suspension de l’arrêté, et a affiné son jugement sur les pouvoirs de police du maire pendant l’épidémie.
Jusqu’à présent en effet, la seule jurisprudence dont disposaient les maires pour juger de la légalité de leur action était un arrêt rendu le 22 mars par le Conseil d’État, en réponse à une requête du Syndicat des jeunes médecins. L’arrêt du 22 mars (avant la loi d’urgence donc) rappelait que le Premier ministre avait pris un décret le 16 mars restreignant les rassemblements et les déplacements, complétés par la suite par plusieurs arrêtés du ministre de la Santé. Au regard des règles fixées par le Code général des collectivités territoriales, écrivait le Conseil d’État, le préfet et le maire « disposent dans le ressort du département ou de la commune, des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, notamment en cas d’épidémie et compte tenu du contexte local ». Et surtout, au point 15 de l’arrêt, on peut lire : « Les maires, en vertu de leur pouvoir de police générale, ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires, des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient. »
Cette « obligation » pour les maires d’adopter des « interdictions plus sévères » (le maire n’ayant pas le droit, à l’inverse, de prendre des dispositions assouplissant celles décidées par l’État) a logiquement servi de base à un certain nombre de décisions prises, ces dernières semaines, par des élus (lire Maire info du 8 avril) : couvre-feux, limitation des horaires des sorties sportives (région parisienne), interdiction de se promener à deux (Strasbourg), interdiction de cracher ou de jeter ses mouchoirs sur la voie publique (Marcq-en-Barœul)… Le gouvernement lui-même l’a, un temps, recommandé – les ministres ayant toujours, toutefois, bien conseillé aux maires de n’agir « qu’en lien avec le préfet ».
Contradictions
Un premier retournement de tendance a eu lieu le 9 avril avec une audition du ministre de l’Intérieur devant une commission de l’Assemblée nationale, lors de laquelle Christophe Castaner a dit son opposition de principe aux arrêtés municipaux imposant le port du masque, dont la base juridique, selon lui, est « plus qu’incertaine ». Confirmation le 13 avril, avec le discours d’Emmanuel Macron, qui, le jour où il annonçait la prolongation du confinement jusqu’au 11 mai, appelait les maires à « ne pas rajouter des interdits » et à faire en sorte que les règles « soient les mêmes partout sur notre sol ».
Il devenait donc difficile de s’y retrouver, entre l’arrêt du Conseil d’État parlant « d’obligation » pour les maires du durcir les conditions là où « les circonstances locales » l’obligent… et les déclarations politiques affirmant le contraire.
L’ordonnance du Conseil d’État rendue vendredi 17 avril vient – un peu – éclaircir les choses.
Les explications du Conseil d’État
Premier rappel : dans cette période d’épidémie, c’est bien le ministre de la Santé et lui seul qui dispose du pouvoir de police spéciale de lutte contre l’épidémie, et qui a donc compétence pour « prescrire toute mesure réglementaire (…) visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire ». Le Premier ministre et le ministre de la Santé peuvent également charger les préfets de prendre « toutes mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions ».
Quid du maire, dans ces circonstances ? Selon le Conseil d’État, il ne peut que « prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État ». En revanche – et c’est là que l’on constate une certaine évolution – la police spéciale instituée par la loi et détenue par l’État « fait obstacle à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire. » Exit donc « l’obligation » mentionnée plus haut.
Le Conseil d’État reconnaît toutefois deux circonstances (cumulatives) dans lesquelles le maire pourrait prendre de telles décisions de durcissement : premièrement, il faut que « des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable ». Et deuxièmement, une telle édiction ne doit pas « compromettre la cohérence et l’efficacité (des mesures prises) par les autorités compétentes de l’État ».
C’est en s’appuyant sur cette doctrine que le Conseil d’État a confirmé le rejet de l’arrêté du maire de Sceaux, estimant que ni l’une ni l’autre des conditions cumulatives n’était remplie : « Ni la démographie de la commune de Sceaux ni la concentration de ses commerces de première nécessité dans un espace réduit, ne sauraient être regardées comme caractérisant des raisons impérieuses liées à des circonstances locales propres à celle-ci », estiment les magistrats. La première condition (« raison impérieuse liée à des circonstances locales » ) est donc jugée non remplie. Par ailleurs, l’État a fixé « des règles nationales précises sur les conditions d’utilisation des masques FFP2 » et n’a pas « imposé de manière générale le port d’autres masques ». Cette décision du maire de Sceaux risquait donc de « nuire à la cohérence des mesures prises par les autorités sanitaires compétentes » (l’État). La deuxième condition n’est donc pas non plus respectée.
L’appel de la commune a donc été rejeté et l’arrêté reste suspendu. Dans la foulée, Philippe Laurent a commenté, sur twitter, non sans amertume : « Nous sommes donc dans l’ordre des choses : les maires font tout pour protéger les gens, le Conseil d’État protège… l’État. »
En attendant, l’ordonnance du Conseil d’État donne un cadre plus précis que ce qui existait auparavant aux pouvoirs du maire en la matière, avec cette nouvelle définition de la « double condition ». Reste que le conseil donné, depuis le début, tant par le gouvernement que par l’AMF, reste d’actualité : avant de prendre un arrêté, les maires ont tout intérêt à discuter en amont avec le préfet.
Franck Lemarc
Télécharger l’ordonnance du Conseil d’État.
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