Pour réussir le Plan France très haut débit, la Cour des comptes suggère des ajustements
Par Lucile Bonnin
« Avec une couverture en fibre optique atteignant 90 % en un peu plus de 10 ans, le Plan France très haut débit est un succès. » C’est ce que constate la Cour des comptes dans son nouvel état des lieux du déploiement des réseaux en fibre optique.
Un premier bilan du déploiement de ce Plan avait été établi par la Cour des comptes en 2017. Les conclusions étaient largement plus négatives, présageant que l’ « objectif de raccordement ne sera pas tenu et que le coût final de ce déploiement devrait s’envoler à près de 35 milliards d’euros, alors qu’il était initialement estimé à 20 milliards d’euros » (lire Maire info du 1er février 2017). Les conclusions de ce rapport, huit ans après, sont plus positives. « Le Plan France très haut débit a permis un déploiement rapide de la fibre grâce à la mobilisation des opérateurs privés et des fonds publics », reconnait cette fois la juridiction financière.
Les magistrats financiers soulignent qu’entre 2010 et 2024, les pouvoirs publics ont engagé près de 12,7 milliards d’euros, dont 8,7 milliards portés par les collectivités, 3,5 milliards par l’État et 0,5 milliard par l’Union européenne dans le cadre de ce grand chantier.
Mais beaucoup reste à faire et les magistrats attirent l’attention des acteurs sur les prochains défis auxquels ils vont devoir faire face d’un point de vue économique mais aussi technique.
Zones publiques : un modèle de financement fragile
Si les Réseaux d’initiative publique (Rip), portés par les collectivités, apparaissent comme les bons élèves dans la course aux déploiements, leur équilibre économique est fragile.
Pour mémoire, si le déploiement de la fibre optique est plus avancé dans les zones où les opérateurs déploient les réseaux sur leurs fonds propres que dans les réseaux d’initiative publique, le rythme ralentit fortement depuis plusieurs années dans les agglomérations les plus denses. La Cour des comptes propose même de prendre des « engagements contraignants » en zone dense, « pour atteindre l’objectif de généralisation de la fibre, sans exclure le recours ponctuel à des technologies alternatives. »
Malgré un rythme de déploiement satisfaisant des réseaux d’initiative publique, la Cour des comptes appelle à la vigilance sur leur équilibre économique : les modèles économiques initiaux établis en 2015 par l’Arcep ne sont plus en adéquation « avec le niveau de recettes attendu, en raison d’un taux de pénétration de la fibre parfois plus lent que prévu ou d’une modification du niveau de cofinancement des réseaux par les opérateurs commerciaux. » De plus, des opérateurs d’infrastructures ont pu conclure des contrats avec des collectivités locales en minimisant les coûts, afin de remporter le marché public. Résultats : « Certaines charges n’ont donc pas été correctement anticipées, comme le coût des raccordements complexes, c’est-à-dire les plus coûteux ou difficiles, ou encore les surcoûts d’exploitation liés aux problèmes de qualité des réseaux et de résilience. »
Les magistrats observent également que certaines collectivités « sont en effet plus attentives au rythme de déploiement de leurs réseaux qu’aux enjeux de long terme ». La Cour recommande qu’elles intègrent donc davantage dans la conduite de leurs projets, « l’enjeu de l’équilibre économique de leur réseau » et qu’elles puissent « être accompagnées, par l’ANCT notamment, dans la mise à jour et la fiabilisation de leurs plans d’affaires ».
Les magistrats sont favorables à une objectivation des paramètres des modèles économiques initiaux fixés par l’Arcep. On apprend qu’une analyse est actuellement menée pour « établir les écarts de coûts constatés entre les modèles initiaux et la réalité » avant d’envisager « d’éventuelles révisions des modèles ou une mobilisation supplémentaire de fonds publics ». Elle doit être menée à son terme d’ici la fin 2025, selon la Cour des comptes.
La résilience des réseaux « pas encore pleinement garantie »
Face aux risques climatiques qui se multiplient et face aux attaques malveillantes dont les réseaux peuvent être victimes, la Cour estime que la réflexion sur la résilience de ces derniers est « encore insuffisamment aboutie ».
Certes, « certains réseaux d’initiative publique ont pris des initiatives (plans d’investissements dans le renforcement des réseaux, rapprochement avec les services en charge de la planification et de la gestion de crises etc.) » , mais « seul un nombre limité de réseaux d’initiative publique a déjà établi un schéma local de résilience (11 % des répondants au sondage des juridictions financières) » . De plus, il apparaît qu’en dehors des réseaux d’initiative publique, « les opérateurs n’enfouissent que très rarement de manière spontanée leurs réseaux. »
Sur cette question de résilience des réseaux, la Cour des comptes fustige un cadrage national insuffisant qui mène à des démarches « en ordre dispersé » . Un exemple concret est développé dans le rapport : l’élagage est indispensable pour protéger les réseaux aériens et « relève en principe de la responsabilité des propriétaires des parcelles riveraines » . Mais la Cour observe que « malgré la mobilisation des pouvoirs de police administrative des maires, rares sont les propriétaires qui assument cette charge et les collectivités sont parfois contraintes de se substituer. Ainsi, le département de l’Orne investit près de 300 000 euros sur 3 ans pour soutenir les travaux d’élagage sur un réseau déployé à 61 % en aérien dans un territoire de bocage et travaille étroitement avec les communes pour les sensibiliser à cet enjeu. » Cet exemple met en lumière les disparités territoriales qui existent en termes de vulnérabilité des réseaux.
La situation est aussi problématique dans les zones d’initiative privée où « rien n’incite les opérateurs, ni économiquement, ni comptablement, à consentir des investissements coûteux pour prévenir des risques futurs » . De surcroît, « le morcellement des intervenants sur les réseaux de fibre optique complexifie le cadre juridique relatif aux obligations de continuité des réseaux et à la sécurisation des activités d’importance vitale, conçu pour les grands monopoles d’infrastructures. » Parmi les fortes recommandations formulées par les magistrats, l’une vise à introduire dès 2025 une obligation légale d’indemnisation de l’abonné par l’opérateur commercial en cas d’interruption longue de service – de quoi peut-être motiver l’opérateur à investir dans un plan de résilience.
La Cour appelle aussi à définir une stratégie nationale de résilience des réseaux de fibre optique sous l’égide du SGDSN (Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationales), associant État et collectivités, régulateur, acteurs publics et opérateurs. Au niveau local, l’État devrait veiller à intégrer les acteurs des réseaux dans les organisations locales de préparation et de gestion des crises, en les incitant à établir un diagnostic et plan d’action sur leurs vulnérabilités.
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