Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 20 juillet 2022
Fonction publique territoriale

1607 heures dans la fonction publique territoriale : le Conseil constitutionnel rendra sa décision le 29 juillet

La question prioritaire de constitutionnalité sur l'application des 1607 heures dans la fonction publique territoriale a été débattue devant le Conseil constitutionnel hier. Les Sages vont devoir se prononcer pour dire si cette obligation faite aux maires est, ou non, conforme à la Constitution. 

Par Franck Lemarc

Depuis que la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 a été promulguée, la question du temps de travail des agents a pris la forme d’un véritable casus belli dans un certain nombre de communes. 

L’article 47 de ce texte impose en effet à toutes les collectivités et à tous les EPCI ayant maintenu un régime dérogatoire sur le temps de travail des agents de faire appliquer les 1 607 h de travail annuel à leurs agents, et ce dans un délai d’un an « à compter du renouvellement de leurs assemblées délibérantes ». La loi datant de 2019, elle a pris effet en juin 2021, soit un an après les élections municipales de 2020. Comme le prévoit la loi, la délibération réformant le temps de travail des agents devait être prise, au plus tard, le 1er janvier 2022.

Dans un certain nombre de communes, dont Paris et plusieurs communes du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis, les maires ont essayé à tout prix de trouver des moyens pour ne pas remettre en question l’organisation du travail – l’application directe de la loi signifiant, dans certaines communes, la suppression de plusieurs dizaines de jours de RTT pour les agents. Dans certains cas, il a fallu que les préfets interviennent pour forcer les maires à appliquer ces dispositions, ce qui s’est traduit par des contentieux devant les tribunaux administratifs. 

Les épisodes précédents

En Seine-Saint-Denis, par exemple, le tribunal administratif a suivi le préfet et ordonné aux cinq communes incriminées de « veiller à l’adoption des délibérations fixant le temps de travail de leurs agents et de les transmettre au préfet de la Seine-Saint-Denis, dans un délai de quarante jours ». 

Dans le Val-de-Marne, en revanche, où dix communes et EPCI avaient été déférés par le préfet devant le tribunal administratif de Melun, les juges se sont montrés plus souples (lire Maire info du 3 juin 2022) et ont donné un délai supplémentaire aux élus pour engager le processus. Mais surtout, ils ont accepté de transmettre au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par les maires, sur le fond : l’obligation faite aux maires de faire appliquer les 1 607 h est-elle compatible avec le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales ? C’est l’argument qui avait été brandi, par exemple, par Patrice Bessac, le maire de Montreuil : « Au nom de la libre administration des collectivités territoriales, nous ne souhaitons pas nous laisser dicter le rythme de travail de nos agents. » 

Le Conseil d’État a examiné la question et, contrairement à l’avis du gouvernement, l’a retenue : il a estimé que l’argument selon lequel cet article 47 « porte à la libre administration des collectivités territoriales et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée que ne justifierait aucun motif d'intérêt général »   pose une vraie question, sérieuse et « nouvelle ». La QPC a donc été transmise au Conseil constitutionnel. 

La question de « l’objectif d’intérêt général » 

La dernière étape de ce marathon judiciaire s’est déroulée hier devant les Sages. 

Les avocats représentant plusieurs communes du Val-de-Marne, de Seine-Saint-Denis ainsi que la Ville de Paris se sont tour à tour exprimés pour défendre l’idée que « l’article 47 de la loi de transformation de la fonction publique porte une atteinte majeure au principe de libre administration ». 

La première avocate à s’exprimer s’est étendue sur « les difficultés considérables de recrutement »  auxquelles sont confrontées les collectivités. « Les collectivités, qui ont la tâche de faire fonctionner les services publics de proximité avec des ressources de plus en plus réduites, n’arrivent pas à recruter, du fait notamment de la très faible attractivité de la rémunération. Elles ne disposent pas du levier indemnitaire. »  L’avocate a relevé que dans la fonction publique de l’État, des « leviers »  existent, comme la prime de 10 000 euros accordée aux fonctionnaires travaillant en Seine-Saint-Denis, qui ne sont pas autorisés dans la FPT. Le seul levier que peuvent utiliser les élus pour attirer des agents est donc celui de « la qualité de vie au travail, c’est-à-dire le temps de travail. On leur a enlevé ». 

Un deuxième avocat s’est exprimé sur le fond, c’est-à-dire la question de la constitutionnalité. Il a rappelé qu’une atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales n’est possible que dans le cas où elle répond à « un objectif d’intérêt général ». « En quoi le fait d’imposer les 1 607 h dans la fonction publique territoriale répond-il à un objectif d’intérêt général ? », a demandé l’avocat, qui a bataillé contre les arguments du gouvernement. « On nous dit que cela permettrait de faire des économies. Mais cela fait 20 ans que les administrations mettent en place les 1 607 h, et vous ne trouverez aucune étude disant que la moindre économie a été réalisée. Augmenter le temps de travail ne permet pas mécaniquement de réduire le nombre de postes, cela ne fonctionne pas comme cela. » 

Le deuxième argument brandi par le gouvernement est qu’il y aurait bien un objectif d’intérêt général à « harmoniser le temps de travail dans la fonction publique ». Pour l’avocat, cette mesure n’est pas une « harmonisation mais une uniformisation », et « l’uniformisation compromet la capacité d’action des collectivités. Le territoire national n’est pas uniforme, il est varié, et pour que le service public fonctionne partout, son organisation doit elle aussi pouvoir être variée. »  La loi, a rappelé l’avocat, permet maintenant des négociations locales. « Mais si on ne peut pas parler rémunération ni temps de travail, sur quoi va-t-on négocier ? ». 

Principe de subsidiarité

Un troisième avocat a abondé dans le même sens, rappelant que même l’étude d’impact de la loi de transformation de la fonction publique ne permettait pas de faire ressortir des « économies »  à la suite de l’application de cette mesure. Pour lui, l’article 47 de la loi « a vidé de sa substance le principe de subsidiarité », en ne tenant pas compte des différences existant entre les collectivités – comme la Ville de Paris par exemple, où « les contraintes subies par les agents sont plus importantes que dans n’importe quelle autre ville ». « Pourquoi, dans ce cas, la négociation collective ne permettrait-elle pas aux élus de choisir ce qui est le mieux pour leurs agents ? ». L’avocat a également souligné qu’il a été imposé aux collectivités de résoudre cette question en 2020 et 2021, c’est-à-dire « en pleine crise sanitaire, qui a interdit de mener une véritable négociation ». 

Pour les avocats, l’affaire est claire : « l’uniformisation »  exigée par la loi « ne répond à aucun objectif d’intérêt général », et « le Conseil constitutionnel ne peut rien faire d’autre que de la déclarer inconstitutionnelle ». 

Reste à savoir si ces arguments auront convaincu le Conseil présidé par Laurent Fabius – et où siègent désormais plusieurs anciens maires, comme Alain Juppé et Jacqueline Gourault. Réponse le 29 juillet. 

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