Lutte contre les violences faites aux femmes : une participation des collectivités « mal connue »
Par Lucile Bonnin
« Une grande cause encore mal dotée. » Voilà le constat dressé à propos de l'évolution des financements de la lutte contre les violences faites aux femmes dans un rapport sénatorial présenté la semaine dernière.
D’abord, « force est de constater que les violences faites aux femmes n’ont guère connu de reflux » , indiquent les deux rapporteurs Arnaud Bazin et Pierre Barros, sénateurs du Val-d’Oise. Le nombre de féminicides a certes diminué entre 2020 et 2023 (de 121 à 96 décès) mais les tentatives de féminicides ont ostensiblement augmenté, passant de 238 à 451. De même, les plaintes pour viols ou tentatives de viol ont augmenté de 104 % entre 2020 et 2023, signe d’une libération de la parole mais aussi d’une prégnance préoccupante dans les violences faites aux femmes. Par ailleurs, les cas de violences volontaires au sein du couple sont en hausse de près de 48 % sur trois ans.
Face à ce constat, il apparaît que la politique de lutte contre les violences faites aux femmes manque « de boussole stratégique » mais que surtout, le financement dédié est à la fois imparfaitement évalué et ne permet pas d’armer suffisamment les acteurs locaux.
La contribution des collectivités « mal connue »
Les crédits dédiés au programme 137 (égalité femmes/hommes) ont quasiment triplé entre 2020 et 2024, passant d’environ 35 millions d’euros à plus de 100 millions d’euros. Mais, selon les sénateurs, ces montants sont dérisoires au regard des 3,6 milliards d’euros estimés comme le coût sociétal annuel des violences. Déséquilibré, le financement de l’État est aussi non évalué et mal organisé, selon les sénateurs qui fustigent un « morcèlement des crédits et un pilotage insuffisant de la politique ».
De surcroît, au niveau des financements publics, la participation des financements des collectivités territoriales à la lutte contre les violences faites aux femmes et, plus largement, à l’égalité entre les femmes et les hommes est encore « mal connue ». « Il s’agit là d’une source de financement à mobiliser, de même que les fonds européens et privés encore peu sollicités alors que leur contribution serait nécessaire » , peut-on lire dans le rapport.
La contribution des collectivités est pourtant « substantielle » . Par exemple, « en 2022, les collectivités territoriales étaient à la source de 29,8 % des crédits alloués aux Centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), l'État représentant pour sa part 39,8 % de leurs ressources » . Aussi, « les collectivités territoriales sont souvent impliquées dans les démarches d'aller vers tels que les dispositifs itinérants qui sont ainsi co-financés à l'échelle régionale ou départementale, en complément des crédits du programme 137, dont la part du financement est estimée par l'administration à 45 % en moyenne du coût d'un projet. »
Les sénateurs estiment ainsi que la mobilisation par les associations de co-financements des collectivités territoriales peut constituer une solution mais « encore faut-il que les démarches administratives permettant d'obtenir de tels financements ne placent pas les associations dans des difficultés insurmontables, et que la contribution des collectivités au redressement des comptes publics leur laisse suffisamment de marges pour ce faire. » Ils recommandent de développer la contribution des collectivités territoriales au financement de solutions locales, « notamment en les associant, dans le respect de leur autonomie, aux travaux d'harmonisation des formalités administratives, des indicateurs et des justificatifs lorsqu'ils existent ».
Recenser les documents des collectivités et extension de la BIE
De la même façon, il serait utile de « mener à bien les recensions des documents permettant de mesurer la contribution des collectivités territoriales à la promotion de l'égalité femmes-hommes et à la lutte contre les violences faites aux femmes » . Rappelons par exemple que les communes de plus de 20 000 habitants, les EPCI, les départements et les régions doivent présenter chaque année, avant les débats sur le projet de budget, un rapport sur la situation en matière d'égalité entre les femmes et les hommes intéressant le fonctionnement de la collectivité.
Enfin, certaines collectivités se sont précocement engagées dans la mise en œuvre de la budgétisation intégrant l'égalité (BIE) à leur échelle, comme la commune de Strasbourg et de la Ville de Paris. « Toutefois, cet engagement restant une simple faculté, aucune recension d'ensemble n'est produite par les services de l'État, estiment les rapporteurs. Il conviendrait, lorsque les travaux sur la BIE auront acquis une plus grande maturité s'agissant du budget de l'État, d'en étendre la logique à l'ensemble des grandes collectivités sur le modèle du budget vert désormais utilisée tant par l'État que les collectivités. »
Des priorités pour l’avenir
Dans un climat de contraintes budgétaires, et au-delà du besoin de structurer un pilotage plus cohérent en unifiant par exemple les crédits via un fonds interministériel, les sénateurs préconisent d’axer les efforts sur certaines priorités. Il est, selon les rapporteurs, essentiel d’élargir l'action pour prendre en comptes les violences exercées hors couple, d’investir sur la prévention, de mieux prendre en charge les auteurs de violences et de sécuriser les parcours de sortie de la prostitution. Mais c’est la question de l’hébergement qui reste au cœur des préoccupations : les 11 276 places d’hébergement dans le parc spécialisé pour les femmes victimes de violences restent bien insuffisantes face aux besoins dans les territoires.
Les sénateurs encouragent également accélération du déploiement du « pack nouveau départ (PND) » en l'étendant à de nouveaux départements volontaires. Ce dispositif n'est à ce stade mis en œuvre que dans cinq départements et vient en complément de l'aide universelle d'urgence, « prévenir les situations, trop récurrentes, dans lesquelles les personnes victimes de violences conjugales font des allers/retours avant de quitter définitivement leur conjoint violent. »
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