«
La proposition de loi est conforme aux conditions fixées par l'article 11 de la Constitution ». Cette petite phrase, en conclusion de la décision rendue hier par le Conseil constitutionnel, a un petit côté historique, puisqu’elle permet pour la première fois dans le pays de lancer une procédure pouvant conduire à l’organisation d’un « référendum d’initiative partagée » (RIP).
Pour en arriver là, il aura fallu à l’opposition jouer de toutes les arcanes de la Constitution. D’abord parce que cette décision était en fait une course contre la montre : la Constitution interdit en effet de lancer une procédure de RIP à propos d’une loi promulguée depuis moins d’un an. Or la proposition de loi de l’opposition qui serait soumise à référendum concerne la loi Pacte, qui organise la privatisation de la société Aéroports de Paris et qui a été adoptée définitivement par le Parlement le 11 avril. En l’espèce, tout tient à la différence entre « adoption » et « promulgation » : la Constitution interdit la procédure référendaire sur un texte promulgué depuis moins d’un an, et la loi Pacte a été certes adoptée, mais pas promulguée (ce qui suppose un acte officiel signé par le président de la République et une publication au
Journal officiel). La loi aurait dû être promulguée dans la foulée de son adoption (sous quinze jours maximum), sauf que l’opposition l’a immédiatement attaquée devant le Conseil constitutionnel – bloquant ainsi toute possibilité de promulgation immédiate.
Pendant ce temps, le même Conseil constitutionnel a pu examiner la proposition de loi qui pourrait être soumise à référendum – et qui dispose que l’aménagement, l’exploitation et le développement des trois aéroports parisiens (Roissy, Orly et Le Bourget) «
revêtent le caractère d’un service public national ». Ce qui rendrait impossible,
de facto, la privatisation de la société Aéroports de Paris, chargée précisément de «
l’aménagement, de l’exploitation et du développement » de ces aéroports. En effet, selon le Préambule de la Constitution, «
tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national (…) doit devenir la propriété de la collectivité ».
Des arguments jugés non recevables
De son côté, le gouvernement a adressé au Conseil constitutionnel une longue lettre contenant ses «
observations », pour le convaincre que la proposition de loi ne pouvait en aucun cas faire l’objet de la procédure référendaire. Parmi d’autres arguments, on trouve celui-ci : la Constitution dispose, écrit le gouvernement, que «
le recours au référendum n’est prévu que dans l’hypothèse où le Parlement ne s’est pas préalablement saisi du sujet. Il en va ainsi à tout moment de la procédure et ce n’est que si l’initiative n’a pas été examinée par le Parlement dans un délai fixé à 6 mois que la proposition de loi (…) est soumise au référendum ».
Or, écrit toujours le gouvernement, le Parlement s’est emparé «
de fait » de la question, puisque la loi Pacte a été adoptée et que celle-ci autorise la privatisation d’Aéroports de Paris. Ce faisant, elle ne reconnaît pas le caractère «
de service public national » de cette société. Le Parlement a donc bien examiné la question, ce qui d’après le gouvernement rend le recours au référendum impossible.
Plusieurs parlementaires ont fait remarquer, dans les observations qu’ils ont aussi adressées au Conseil constitutionnel, que cet argument était parfaitement irrecevable et «
erroné », comme l’écrit par exemple le sénateur Patrick Kanner. En fait, la seule initiative du Parlement qui pourrait interrompre la procédure référendaire est détaillée de façon parfaitement claire dans la loi organique du 6 décembre 2013 : «
Si la proposition de loi n’a pas été examinée au moins une fois par chacune des deux assemblées parlementaires dans un délai de six mois à compter de la publication au Journal officiel
de la décision du Conseil constitutionnel déclarant qu’elle a obtenu le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, le Président de la République la soumet au référendum. » Autrement dit, le seul moment où le Parlement peut se saisir de cette proposition de loi, c’est
après le recueil des soutiens des citoyens, et non, comme l’écrit le gouvernement, «
à tout moment de la procédure ».
Les Sages n’ont d’ailleurs pas du tout été convaincus par les arguments du gouvernement. Dans une décision assez courte, ils listent tous les points qui rendent le lancement d’une procédure de RIP «
conforme à la Constitution » : «
la proposition de loi n’a pas pour objet l’abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an » ; elle a été présentée dans les formes prévues (au moins un cinquième des membres du Parlement) ; «
la détermination des activités qui peuvent être érigées en service public national » est bien du ressort du législateur. La proposition de loi est donc «
conforme aux conditions fixées par l’article 11 de la Constitution » pour lancer le processus référendaire, qui débute par le recueil du soutien des électeurs, à hauteur d’un dixième du corps électoral soit, précise le Conseil constitutionnel, «
4 717 396 » personnes.
Cette période de recueil des soutiens doit débuter dans un délai d’un moins non après la décision, mais après sa publication au
Journal officiel. Celle-ci n’ayant pas eu lieu ce matin, le délai reste encore incertain. Si la publication de la décision intervenait, comme c’est très probable, demain matin, le recueil devrait donc commencer avant le 11 juin.
F.L.
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