Maire-info
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Édition du vendredi 21 mars 2025
Élections

Le Sénat adopte en première lecture une réforme des modalités de vote des personnes détenues

Une proposition de loi modifiant les modalités du droit de vote des personnes détenues a été adoptée hier par le Sénat, avec l'objectif de la faire adopter définitivement avant les élections municipales de mars 2026. Elle permettrait de répondre à des difficultés concrètes rencontrées dans certaines communes. Explications.

Par Franck Lemarc

Depuis 1994, les détenus ne sont aujourd’hui plus systématiquement déchus de leurs droits civiques : sauf s’ils ont été expressément privés de ce droit par le juge, ils ont donc le droit de voter. Mais pendant longtemps, ce droit a été extrêmement peu exercé par les détenus : à l’élection présidentielle de 2017, seuls 2 % des personnes détenues ont participé au vote. Les modalités du vote, jusqu’en 2019, expliquaient cette faible participation : les détenus ne pouvaient voter que grâce à une permission de sortir – en pratique très peu accordée – ou par procuration – peu utilisée en raison notamment de l’isolement de nombreux détenus.

Vote par correspondance

Pour tenter de remédier à cette situation, la loi Lecornu du 27 décembre 2019 a instauré une nouvelle possibilité : le vote par correspondance. Avec une contrainte particulière, d’ordre logistique : il n’a pas semblé possible au législateur d’acheminer le bulletin de vote de chaque détenu dans sa commune d’inscription (rappelons qu’il y a aujourd’hui 57 000 détenus jouissant de leurs droits civiques, qui peuvent donc par hypothèse être inscrits dans la totalité des communes de France). Une solution a donc été trouvée : les détenus sont, par défaut, inscrits sur la liste électorale de la commune chef-lieu du département ou de la collectivité d’implantation dans lesquels se trouve l’établissement pénitentiaire. Ainsi, tous les détenus de la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), par exemple, sont inscrits dans un bureau de la commune d’Évry-Courcouronnes, chef-lieu du département. Les détenus votent dans la prison, et leurs bulletins sont ensuite tous acheminés dans le bureau de vote de la commune chef-lieu, sauf pour l’élection présidentielle pour lesquelles les bulletins sont acheminés dans un bureau centralisé au ministère de la Justice.

Cette réforme a eu des effets bénéfiques sur l’exercice du droit de vote par les personnes détenues : d’à peine 2 %  en 2017, le taux de participation est passé à 19 % aux élections européennes de 2024 et 22 % aux élections législatives de la même année. 

Mais à l’inverse, cette réforme peut avoir des effets de bord assez problématiques – qui ont conduit la sénatrice LR de l’Essonne, Laure Darcos, à élaborer la proposition de loi dont il est question ici.

Le fait d’inscrire des centaines de détenus sur une seule commune, fût-elle chef-lieu de département, alors qu’ils n’ont en réalité aucun lien avec cette commune, pose une difficulté qui n’a pas été anticipée par le législateur au moment du vote de la loi Lecornu. Exemple le plus frappant : celui d’Évry-Courcouronnes. Les détenus de la prison de Fleury-Mérogis susceptibles de voter sont au nombre de 1 300, ce qui représente… 9 % des votants de la commune Évry-Courcouronnes aux législatives de 2024, par exemple. Ces votes sont donc susceptibles de faire basculer le résultat d’une élection locale, alors qu’il s’agit d’électeurs sans lien avec la commune. 

Le Conseil d’État a relevé que ce problème se pose particulièrement dans six communes chefs-lieux de département, où le nombre d’électeurs détenus dépasse les 5 % des inscrits : Tulle, Bar-le-Duc, Arras, Melun, Évry-Courcouronnes et Basse-Terre. 

Le problème est plus visible encore lorsque l’élection est serrée. Le ministre auprès du ministre de l’Intérieur, François-Noël Buffet, a évoqué le cas de Lille, où l’élection municipale de 2020 « s’est jouée à 227 voix ». Lors des prochaines élections municipales, près de « 400 détenus »  pourraient participer à l’élection et seraient en mesure de faire basculer l’élection… sans avoir de lien avec la ville de Lille.

Le texte initial

Pour remédier à ce problème, Laure Darcos a donc déposé une proposition de loi supprimant « la faculté pour la personne détenue de s'inscrire dans la commune chef-lieu de département ou dans la commune d'implantation de l'établissement pénitentiaire ». À la place, le texte initial proposait que la personne détenue vote par correspondance « sur la liste électorale de la commune où elle a élu domicile avant son incarcération ou sur la liste électorale de la commune de résidence d'un ascendant ou d'un descendant », dans la mesure où elle s’y est inscrite. La possibilité de s’inscrire dans la commune où réside un « descendant »  est, il faut le noter, une nouveauté instaurée par ce texte.

Mais lors de l’examen en commission des lois, des difficultés logistiques ont été soulevées, « regrettées »  par les sénateurs mais bien réelles. Comme l’a expliqué le rapporteur Louis Vogel, « l'envoi et, surtout, la réception en temps utile des enveloppes du vote par correspondance », dans des milliers de communes, restent « problématiques ». Les auditions menées par la commission des lois auprès du ministère de l’Intérieur ont fait apparaître que ces contraintes sont impossibles à gérer. 

Consultée par la commission des lois, l’AMF a également émis un certain nombre de réserves sur ce dispositif : les modifications apportées sur le vote par correspondance « se traduiraient par une charge de travail accrue pour les communes concernées ». Par ailleurs, comme la commission, l’AMF a relevé que les difficultés logistiques « ne seraient pas levées »  par ce nouveau dispositif, qui compliquerait globalement « l’organisation des opérations pré-électorales »  pour les maires. 

Système hybride

La commission a trouvé une solution qui semble répondre en partie à ces difficultés, en proposant de distinguer les élections locales et nationales et d’instaurer deux systèmes différents.

En effet, pour les élections à circonscription unique (élection présidentielle, élections européennes et référendums), le problème soulevé plus haut ne se pose pas, puisque les voix sont comptabilisées à l’échelle nationale. Dans ce cas, le fait de centraliser les votes des détenus dans la commune chef-lieu du département où ils sont écroués ne pose pas de problème.

Pour les élections locales, en revanche, la commission des lois a admis l’idée de supprimer ce système, ce qui ne laissera plus aux détenus que le choix de l’autorisation de sortie ou du vote par procuration. 

En séance publique, hier, cette solution « hybride »  a rencontré l’assentiment d’une majorité de sénateurs – mais pas de tous. Plusieurs parlementaires ont regretté « un recul »  avec le retour à la seule procuration ou aux autorisations de sortie pour les élections locales, qui risquent de faire à nouveau chuter la participation. Ils ont prôné une autre solution, qui existe dans certains pays européens : l’installation d’un véritable bureau de vote au sein de chaque établissement pénitentiaire. Mais cette solution n’a pas convaincu les sénateurs. 

Le texte adopté propose donc l’instauration du système hybride : procuration ou autorisation de sortie pour les élections locales, et vote par correspondance dans la commune chef-lieu du département pour les élections nationales. 

Le ministre François-Noël Buffet, à la fin des débats, a promis « d’essayer d’inscrire rapidement ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ».  

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