Le gouvernement mis en échec sur plusieurs mesures de la proposition de loi contre le narcotrafic
Par Lucile Bonnin
Le vote solennel sur cette proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le narcotrafic est prévu pour mardi prochain. Pour l’heure, les débats sont houleux à l’Assemblée nationale et plusieurs mesures du texte ont provoqué de vifs débats.
Pour mémoire, face à « l'explosion incontrôlée » des crimes et délits liés au trafic de drogue, les ministres de l'Intérieur et de la Justice, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, avaient présenté en novembre dernier une série de mesures et l'ébauche d'un projet de loi, prévu pour le début de l'année 2025 (lire Maire info du 12 novembre). Finalement, le gouvernement a repris à son compte la proposition de loi des sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc.
Ce texte n’est pas sans importance pour les maires, loin de là. Dans une tribune publiée il y a deux jours dans Le Point, 250 maires demandent son adoption par les députés : « Le trafic de stupéfiants n'est plus l'apanage de quelques grandes métropoles, il touche nos villes et nos territoires. Il s'étend partout, s'adapte, recrute nos jeunes, intimide nos habitants et met en péril la paix publique. » Les maires demandent aussi que cette loi puisse leur donner les outils pour agir contre ce phénomène inquiétant.
Les discussions qui se tiennent en ce moment sur cette proposition de loi sont denses et près de 1 000 amendements ont été déposés par les députés.
Quartiers de haute sécurité
D’abord, la création d’un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) a été largement adoptée. Ce dernier, similaire aux parquets financier (PNF) ou antiterroriste (Pnat), serait chargé du « haut du spectre » des crimes en la matière et constituerait une « incarnation » de la lutte contre le narcotrafic, avec un rôle de coordination des parquets locaux.
Concernant le durcissement du régime de détention, l'extension de la visioconférence pour la comparution des narcotrafiquants les plus dangereux a été approuvée par les députés hier. Cette mesure vise avant tout à prévenir les risques d’évasion. De plus, l’Assemblée nationale a approuvé la création d’un nouveau régime carcéral d’isolement pour les trafiquants les plus importants. Cette disposition a été introduite par un amendement du gouvernement.
Cependant, sur avis du Conseil d’État, les députés ont adopté un amendement pour mieux cibler les personnes susceptibles d’être affectées dans les quartiers de haute sécurité prévus par cette proposition de loi. « Entre 600 et 900 personnes » détenues pourraient être concernées, selon le garde des Sceaux, Gérald Darmanin. Alors que le Sénat prévoyait une durée d’affectation dans ces quartiers de quatre ans, elle a été ramenée, par amendements, à deux ans renouvelables – encore sur avis du Conseil d’État.
Malgré les vives oppositions de nombreux députés à gauche sur ce dispositif que même Gérald Darmanin qualifie de « difficile », d’autres mesures particulièrement strictes ont été adoptées comme l’interdiction des unités de vie familiale, la limitation des appels téléphoniques à deux heures deux fois par semaine et l’autorisation des fouilles à nu systématiques après chaque visite.
L’accès aux messageries cryptées finalement rejeté
Au cours des débats, beaucoup ont fustigé un texte portant atteinte aux libertés publiques et aux droits fondamentaux. Deux mesures mises au vote cette semaine ont été présentées comme particulièrement problématiques sur ce plan : l’article proposant la mise en place d'un « dossier coffre » et celui permettant d’autoriser un accès aux correspondances issues des messageries chiffrées.
Finalement, ces deux mesures ont été supprimées du texte. Fortement contesté par les avocats, l’article 16 instaurant un dossier coffre devait permettre de stocker des informations recueillies via des techniques spéciales d'enquête sans que les avocats des narcotrafiquants puissent y accéder lors de la procédure judiciaire. Cette mesure a finalement été rejetée par les députés, au grand regret de son principal défenseur Bruno Retailleau. Elle risque fort, cependant, d’être réintroduite.
Hier, le gouvernement a essuyé une autre défaite sur le sujet des messageries chiffrées. Après qu’une panne a touché les machines de vote hier soir, les députés ont rejeté par 119 voix contre 24 l’amendement du gouvernement qui visait à rétablir l’article 8 ter qui permettait de contraindre les plateformes de messagerie chiffrée comme Signal ou WhatsApp à permettre l'accès aux services de renseignement aux correspondances des trafiquants pour les services de renseignement.
Quels outils pour les maires ?
La proposition de loi porte aussi des mesures pour permettre aux maires d’agir localement contre les trafiquants. Comme le rappellent les maires dans leur tribune du Point, les « centres-villes sont de plus en plus menacés par la présence des commerces de façade, qui n'ont d'autre but que celui de blanchir l'argent de la drogue. Nous voulons maintenant, comme le permettrait cette proposition de loi, avoir les moyens d'agir rapidement et efficacement pour faire cesser leurs activités. Les maires doivent avoir plus de moyens d'action en leur permettant notamment de valider l'installation de certains magasins en centre-ville qui aujourd'hui ne sont soumis à aucune autorisation. »
En effet, l’article 3 – qui n’a pas encore fait été discuté à l’heure où nous écrivons – prévoit des dispositifs qui devraient avoir un impact dans les communes touchées par le narcotrafic. Le texte crée notamment une mesure de fermeture administrative des commerces en lien avec le narcotrafic : « Tout établissement à l'égard duquel il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'il s'y commet de façon régulière une ou plusieurs infractions » pourrait, sur proposition du maire de la commune, faire l'objet d'un arrêté de fermeture administrative.
Plusieurs amendements ont été déposés sur le sujet. Les députés du groupe LFI-NFP ont par exemple déposé un amendement supprimant cette disposition : « Confier au maire la responsabilité de la lutte contre le narcotrafic dénature son rôle et l’expose à des risques inutiles » , peut-on lire dans la notice de l’amendement. D’autres amendements vont dans le sens inverse et proposent d’étendre la capacité du maire à pouvoir agir, à l’instar d’un amendement déposé par le RN qui vise à ce que « le maire soit systématiquement informé par les forces de l'ordre des infractions relatives aux trafics de drogues commises sur le territoire de la commune, et d'autre part qu'il soit informé par le procureur de la République des classements sans suite, des mesures alternatives aux poursuites, des poursuites engagées, des jugements devenus définitifs ou des appels interjetés relatifs à ces infractions. »
Maire info reviendra dans une prochaine édition sur les débats autour de cet article 3, particulièrement important pour les maires.
Retrouvez notre interview sur le sujet pendant le Congrès des maires :
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