Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mercredi 23 juin 2021
Élections

Abstention : plusieurs ministres favorables à une évolution des règles électorales

Les taux officiels de l'abstention lors des scrutins de dimanche dernier, parus hier, confirment un désintérêt majeur des électeurs qui pousse certains parlementaires et le gouvernement lui-même à réfléchir à une évolution des règles électorales. 

Par Franck Lemarc

Le ministère de l’Intérieur a publié hier les chiffres définitifs : 33,28 % de participation pour les élections régionales, et 33,32 % pour les élections départementales. 

L’analyse des chiffres par commune fait évidemment apparaître des disparités considérables, avec des communes qui votent toujours beaucoup – y compris cette fois-ci – et des communes où presque 9 électeurs sur 10 ne se déplacent pas. 

Disparités selon les communes

Fait rarissime, il existe même une commune où le taux d’abstention a été de 100 % : il s’agit de la commune de La Chapelle-sur-Chézy, dans l’Aisne, où aucun des 192 électeurs n’a voté. Mais, renseignement pris, cette commune a fait face à des circonstances tout à fait exceptionnelles : frappée par un orage de grêle la veille, elle a subi des dégâts majeurs, toutes les toitures du village ayant été détruites. La mairie étant inutilisable, il a fallu in extremis déplacer le bureau de vote dans une commune voisine. Malgré cette mesure, les habitants ont été de façon assez compréhensible plus occupés à tenter de couvrir leurs toitures détruites avec des bâches qu’à se déplacer dans une autre commune pour aller voter. 

À l’autre extrémité du spectre, il faut saluer la performance de 6 communes dont le taux de participation a été de 100 %. Il s’agit, à chaque fois, de petites communes (moins de 250 inscrits). Plus largement, si l’on considère les communes qui ont voté 80 % et plus (79 communes seulement), elles sont toujours de très petite taille (45 inscrits en moyenne). 

Il apparaît d’ailleurs, en règle générale, que l’on a beaucoup plus voté dans les petites communes que dans les grandes. Dans les communes qui comptent moins de 1000 électeurs, le taux d’abstention moyen est de 57 %. Dans les communes entre 1000 et 20 000 électeurs, il monte à 67 %, puis à 70 % de 20 000 à 100 000 électeurs.

L’autre élément qui joue de façon évidente dans la participation est social : ce sont les communes les plus pauvres, les plus touchées par le chômage, qui votent le moins. Dans les 20 communes qui ont le moins voté en France, on trouve ainsi Vaulx-en-Velin (88,3 % d’absention), Clichy-sous-Bois, Saint-Fons, Roubaix, Vénissieux, Goussainville, Forbach, Sarcelles… 

Distribution : un impact marginal sur l’abstention

Il était également intéressant de chercher à savoir si les dysfonctionnements considérables en matière de distribution (lire article ci-dessous) ont eu, ou non, un impact sur le taux de participation. Maire info a croisé les résultats en termes de participation avec la liste des départements où la distribution a été effectuée par La Poste ou par Adrexo. Conclusion : l’impact est marginal. Dans les 46 départements où c’est La Poste qui a distribué le matériel électoral, le taux d’abstention s’élève en moyenne à 65,61 %. Dans les 50 départements où c’est Adrexo qui a fait le travail, il est de 67,89 %. Il serait donc très exagéré de dire que ce sont les difficultés de distribution qui ont été la cause de l’abstention considérable, mais on peut en revanche estimer qu’elles ont un peu aggravé les choses. 

Et maintenant ?

Il va maintenant falloir tirer les conclusions de cette désaffection historique des Français pour un scrutin. En la matière, deux visions s’opposent : celle du ministre de l’Intérieur, par exemple, Gérald Darmanin, qui a estimé ce matin, devant la commission des lois du Sénat, que le problème de l’abstention est « un problème politique et non un problème de modalités ». Et celle des nombreux parlementaires et politiques qui, depuis lundi, estiment qu’il devient indispensable de modifier les règles électorales pour attirer davantage d’électeurs. 

À ce débat, il faut ajouter les conditions particulières de ces scrutins, marqués par les conditions sanitaires, la peur du virus, le manque d’information, la complexité du double scrutin… Il apparaît certain que les causes de l’abstention sont multiples – dues non seulement à cette liste de facteurs objectifs qu’à des raisons « politiques »  et organisationnelles. 

Plusieurs voix se sont en tout cas élevées, depuis lundi, au sein même de la majorité, pour une « modernisation »  des modalités de vote. Parmi elles, celle du président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, qui a introduit hier la séance de questions au gouvernement par une communication solennelle, exprimant son « trouble »  et son « inquiétude ». « C’est toute notre démocratie représentative qui doute. (…) L’abstention doit nous interroger et il nous appartient d’en identifier lucidement les ressorts », a déclaré le président du Palais-Bourbon, qui s’est engagé, « dès la semaine prochaine », à proposer des « initiatives »  pour « renouveler et perpétuer »  la démocratie. Le Premier ministre lui-même, Jean Castex, s’est également engagé, « une fois le scrutin terminé, à tirer tous ensemble toutes les conséquences de cette abstention ». 

Une proposition de loi à venir

Ce sont les députés du MoDem qui ont formulé les propositions les plus concrètes – on sait que le parti de François Bayrou est, depuis longtemps, favorable à une profonde réforme des modes de scrutin. 

Le président du groupe MoDem à l’Assemblée nationale, Patrick Mignola, s’en est expliqué hier soir, sur France info. « Dans les semaines qui viennent, nous devons avoir une grande loi de modernisation de nos outils d’expression démocratique », a-t-il plaidé. Concrètement, il a évoqué la facilitation de l’inscription sur les listes électorales, le vote « à distance »  et même le vote par internet. « Il faut le faire maintenant, on ne va pas attendre d’avoir zéro électeur pour agir ». 

Le député a notamment évoqué le fait que 85 % des électeurs jeunes ne se soient pas déplacés pour aller voter, égratignant le décalage entre le mode de scrutin et les pratiques devenues habituelles de la jeunesse, à savoir passer par internet. « Les jeunes vivent avec leur smartphone. Aujourd’hui, on peut signer un contrat de travail, payer ses impôts, et même contracter un prêt immobilier par internet, mais on ne pourrait pas voter par internet parce qu’on nous a expliqué qu’on ne pouvait pas sécuriser ? En réalité on est capable de sécuriser, et d’autres pays le font. » 

Indice qui ne trompe pas sur la volonté de la majorité de faire évoluer les choses : le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, s’est dit ce matin « favorable au vote électronique », sur BFMTV.

Patrick Mignola estime « indispensable »  qu’une loi en ce sens soit votée avant l’élection présidentielle. Il reste à savoir si le MoDem sera suivi par le reste de la majorité sur ce sujet – et on le saura sans doute dès la semaine prochaine. Rappelons que si le Code électoral (article L567-1A) interdit toute modification du mode de scrutin à moins d’un an d’une élection, cela n’est, en revanche, pas le cas pour l’élection présidentielle, dont les règles ne sont pas régies par le Code électoral mais par la loi du 6 novembre 1962. 

Ce matin, Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes, est allé dans le même sens sur France inter : « Si on ne (faisait) pas cela d'ici la présidentielle, si on ne regard(ait) pas cette option, on se tromperait. Ça fait partie de notre boîte à outils. » 

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