Parrainages : vive passe d'armes entre François Bayrou et l'AMF
Par Franck Lemarc
C’est en tant que président du MoDem que François Bayrou s’est exprimé hier auprès de l’AFP, pour reprendre à son compte la proposition faite il y a une dizaine de jours par Éric Zemmour : la constitution d’un « pool » de maires qui donneraient leur parrainage, en quelque sorte à l’aveugle, pour les mettre à disposition des candidats en difficulté.
« Réserve de signatures »
« Je propose qu'un certain nombre de maires décident qu'ils vont participer à une réserve de signatures disponibles pour le cas où il manquerait des signatures aux candidats ''légitimes'' », a plaidé le maire de Pau. Ce qui pose aussitôt la question de savoir qui sont ces candidats « légitimes », et plus encore qui déciderait de cette légitimité. Le dispositif des 500 parrainages est, malgré ses défauts, précisément fait pour permettre aux élus locaux de donner une forme de légitimité aux candidats, sans que ce soit une instance centrale (et laquelle ? le gouvernement ? le Conseil constitutionnel ?) qui ait à se charger de déclarer « légitime » tel ou tel candidat.
François Bayrou propose deux pistes pour définir la « légitimité » : d’une part, « les représentants des grands courants qui ont participé sous la Ve République à l'élection présidentielle » ; et, d’autre part, « les candidats de surgissement », c’est-à-dire « ceux qui se sont imposés dans le débat politique et qui ont atteint la barre des 10 % dans les sondages ».
Le maire de Pau voit comme principale difficulté au système actuel que « quand on donne sa signature à l'un, on est soupçonné de vouloir influencer l'issue de l'élection en multipliant le nombre de partants ». Ce qui n’est, en réalité, pas le seul ni peut-être le principal problème rencontré par les petits partis, ceux qui n’ont que peu ou pas d’élus ou manquent d’un réseau militant étoffé. Ceux-ci rencontrent plus souvent le problème de maires qui craignent que leur parrainage soit assimilé à un soutien politique (le président de l’AMF, David Lisnard, a d’ailleurs tenu à rappeler à plusieurs reprises que ce n’était pas le cas) ; ou encore de pressions subies par les maires pour ne pas parrainer tel ou tel candidat, avec parfois des menaces sur le maintien de subventions venues, par exemple, des régions.
Quoi qu’il en soit, avec cette proposition de « réserve » de signatures, François Bayrou propose que des maires « « s'engagent à donner leur parrainage si la situation l'exigeait, non comme un soutien, mais comme une démarche citoyenne de la part d'élus qui, soucieux de démocratie, ne voudraient pas pour autant s'engager ».
« Mise en cause » de l’AMF
Éric Zemmour avait demandé que ce « pool » de signatures soit organisé par l’AMF. Il avait alors essuyé un refus poli de David Lisnard, le président de l’association, qui, sans méconnaître les difficultés liées au système actuel, identifiées depuis longtemps par l’AMF, avait répondu que « l’AMF est une association qui ne donne jamais une directive à ses membres, dans aucun domaine. [Elle] est au service des maires, dans le respect de leur indépendance, et ne peut se substituer à eux dans l’exercice de leurs compétences. Le ‘’droit de présentation’’ (dit parrainage) qui est reconnu aux maires est d’ailleurs une compétence individuelle et tracée. L’AMF ne peut être, et n’a pas à être, l’intermédiaire entre les maires et les candidats à l’élection présidentielle en recherche de leurs 500 parrainages. »
Quant à François Bayrou, il a estimé que l’AMF n’était pas le bon interlocuteur pour organiser cette « réserve » de signatures – non pour les raisons données par David Lisnard mais au motif que l’association serait trop « politisée ». Il propose donc de se tourner vers l’AMRF (maires ruraux).
C’est peu de dire que cette déclaration sur la « politisation » de l’AMF a irrité celle-ci, qui a aussitôt fait paraître un communiqué de presse signé des quatre membres de son bureau exécutif, dont deux membres (David Lisnard et Murielle Fabre) appartiennent à la droite et deux autres (André Laignel et François Deluga) à la gauche. « Le Haut-Commissaire au Plan, président du MoDem, maire de Pau et adhérent de l’AMF, François Bayrou, en politique depuis 40 ans, a cru nécessaire de déplorer que l’AMF soit une association trop ‘’politisée’’ », écrivent les quatre maires. « Ceci constitue une mise en cause inadmissible d’une association totalement indépendante depuis 1907 qui regroupe plus de 98% des maires de France, dont une immense majorité de maires ruraux et sans étiquette politique. (…) L’AMF défend les intérêts communaux en toute liberté à l’égard de tous les partis politiques et de tous les gouvernements qui se sont succédé ».
Les dirigeants de l’AMF renvoient dans les cordes le président du MoDem en déplorant sa « posture politicienne » et estiment, au passage, sa déclaration « d’autant plus incompréhensible que François Bayrou fait partie des quelques personnalités qui avaient tenté d’influencer le scrutin de novembre à l’AMF en lui donnant une coloration partisane ». « Les institutions associatives, syndicales ou professionnelles (…) assurent aussi la cohésion de notre pays », poursuivent les élus, et les « dénigrer systématiquement » relève de « l’arrogance ».
Sur le fond, les responsables de l’AMF jugent que la proposition de François Bayrou est « purement incantatoire » et inapplicable en l’état du droit. Il aurait en effet fallu s’y prendre bien plus tôt pour changer les règles du jeu, ce qui paraît impossible à moins de trois mois du scrutin. L’AMF rappelle qu’en mai 2021, le gouvernement s’était engagé à lancer une réflexion avec tous les partis sur ce sujet, engagement qui n’a jamais été suivi d’effet.
Enfin, le président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), Michel Fournier, s'est pour sa part dit « agréablement surpris d'apprendre que (son) association pourrait à elle seule sauver la démocratie », mais a appelé à ne pas « considérer les maires ruraux uniquement comme des pompiers de services » ou « un sparadrap de la vie publique ».
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