Annulation du scrutin dans certaines communes par le Conseil constitutionnel : faut-il une évolution du droit ?
Par Franck Lemarc
Dans la semaine qui a suivi le premier et le deuxième tour de l’élection présidentielle, le Conseil constitutionnel a publié les résultats officiels du scrutin. Ceux-ci diffèrent toujours légèrement de ceux qui sont donnés, le lendemain de l’élection, par le ministère de l’Intérieur. L’explication en est simple : le ministère de l’Intérieur centralise les résultats envoyés par les préfectures, issus du dépouillement effectué dans chaque bureau de vote de chaque commune. Le Conseil constitutionnel, lui, retranche à ces résultats les votes qui ont été annulés à la suite du constat d’irrégularités.
C’est ainsi que le jeudi 14 avril, le Conseil constitutionnel a publié des résultats du premier tour dans lesquels une dizaine de milliers de suffrages avaient été annulés, et n’étaient donc pas décomptés (21 bureaux de vote concernés) ; le jeudi 28 avril, il a fait de même pour le second tour, retranchant 19 960 suffrages aux résultats annoncés par le ministère de l’Intérieur, à la suite d’irrégularités constatées dans une quarantaine de bureaux de vote.
Mais comment ces irrégularités sont-elles constatées ?
1 400 délégués
Le Conseil constitutionnel, qui est le juge de l’élection présidentielle (à la différence des élections locales, où ce sont les tribunaux administratifs qui sont chargés de veiller à la régularité des scrutins), a la possibilité de choisir des « délégués », choisis « parmi les magistrats de l’ordre judiciaire ou administratif et chargés de suivre sur place les opérations ». Ces délégués sont environ 1400. Ils sont tous munis d’un ordre de mission nominatif, mentionnant les bureaux de vote que chacun a pour tâche de contrôler.
Il est demandé aux délégués, lorsqu’ils visitent un bureau de vote de mentionner leur nom et l’heure de leur passage sur le procès-verbal des opérations de vote, souligne le Conseil constitutionnel. « S'ils constatent des irrégularités, ils devront inviter le président du bureau de vote concerné à les faire cesser. Mention sera faite de cette intervention et de ses conséquences sur le procès-verbal des opérations. » Toute irrégularité doit être rapportée au chef de cour. Si une irrégularité est « de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin » ou si elle n’a pas cessé malgré l’intervention du délégué, les chefs de cour sont invités à faire remonter l’information, le lendemain du scrutin, au Conseil constitutionnel.
C’est sur la base de ces remontées que, à partir du lendemain du scrutin, les Sages statuent sur l’éventuelle annulation des opérations de vote dans un bureau, voire une commune entière. Leurs conclusions sont publiées au Journal officiel, avec, pour chaque incident, la mention du nom de la commune, non anonymisé.
« Opprobre »
À la suite de cette publication, un certain nombre de maires, ces jours derniers, ont protesté, estimant que les choses ne s’étaient pas passées comme l’avait rapporté le délégué du Conseil constitutionnel. Ainsi, dans une commune des Vosges, le scrutin a été annulé au motif que « le délégué du Conseil constitutionnel a été, de manière agressive, empêché d’exercer sa mission de contrôle par le président du bureau de vote » – en l’occurrence le maire lui-même.
Sauf que le maire en question n’a pas du tout vécu la même scène, comme le président de l’association départementale de maires des Vosges, Dominique Peduzzi, l’a rapporté à l’AMF dans un courrier du 15 avril. Selon le maire, le délégué « s’est saisi de l’urne pour la contrôler sans se présenter au préalable », a refusé de présenter une pièce d’identité alors que le maire lui demandait, « n’a pas obtempéré à la demande (du maire) de patienter pendant la vérification de la correspondance de l’ordre de mission avec les informations de la préfecture ». Et même, une fois son identité établie, a alors « refusé de vérifier les opérations de vote alors que (le maire) l’invitait à le faire ». Ces faits, précise Dominique Peduzzi, se sont déroulés « devant témoins ».
Autre exemple, dans le Gers, où deux maires ont contesté l’annulation du scrutin dans leur commune, au motif, a rapporté le délégué, « qu’un seul membre du bureau de vote était présent ». Un rapport que le maire d’une des communes n’a pas hésité à qualifier de « faux et délétère » auprès de l’AFP : « Quand elle est venue, j'étais à la Journée des déportés pendant 40 minutes, pour déposer des fleurs devant la tombe commémorative. Quatre adjoints étaient présents au bureau de vote à ce moment-là », précise le maire. Celui-ci a signalé les faits au préfet et écrit au président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, dénonçant « l’opprobre et le discrédit » jeté – publiquement – sur la commune et son administration.
Décision sans appel
Deux problèmes se posent ici : d’une part, la rapidité de la décision du Conseil constitutionnel, qui la rend en 48 heures, sur la seule foi des dires des délégués et sans enquête – alors que, dans le cas d’une élection municipale par exemple, les tribunaux administratifs mettent jusqu’à plusieurs mois pour statuer, après enquête approfondie. D’autre part, il n’y a aucun recours : le Conseil constitutionnel est la plus haute juridiction du pays, et ses décisions sont sans appel.
Interrogé sur ce sujet, le constitutionnaliste Dominique Rousseau rappelle qu’en théorie, le Conseil constitutionnel a dix jours pour rendre sa décision sur le résultat officiel de l’élection présidentielle, mais que les choses vont toujours nettement plus vite. Il invoque à ce sujet « la raison d’État » : en particulier au second tour, « par souci d’assurer la stabilité des institutions, la proclamation du nom du président de la République doit être rapide ». Le contrôle ne peut avoir lieu « qu’en amont », avant la proclamation des institutions, et pas en aval – contrairement à une élection municipale où un contrôle peut avoir lieu bien après la proclamation des résultats, quitte à annuler l’élection du maire et à rejouer le scrutin.
Par ailleurs, on peut s’interroger sur la nécessité de publier en clair le nom des communes incriminées, jetant ainsi « l’opprobre » sur les communes concernées, comme l’a déploré le maire gersois. « C’est l’application stricte du principe de transparence, explique Dominique Rousseau. On estime que les citoyens sont en droit de savoir ce qui se passe dans leur commune. » Le constitutionnaliste rapproche cette situation de celle de la publication des « présentations » (les parrainages des élus pour les candidats à l’élection présidentielle), qui ont été rendus publiques « par souci de transparence ».
Écrire au Conseil constitutionnel
Il n’est donc pas inutile de rappeler, en tout état de cause, que les délégués du Conseil constitutionnel sont munis d’un ordre de mission et qu’il est normal qu’un président de bureau de vote demande non seulement à voir cet ordre de mission, mais même à le comparer à un titre d’identité, dans la mesure où, comme le signale Dominique Peduzzi, l’ordre de mission ne comporte pas de photographie. Il paraît de bon sens de ne pas laisser une personne entrer dans le bureau de vote et toucher à l’urne sans savoir de qui il s’agit.
Au-delà, Dominique Rousseau reconnaît qu’il n’existe pas, « en l’état actuel du droit », de recours légal pour les maires qui s’estiment injustement traités dans ce dossier. « Il y a bien une toute petite fenêtre, qui consisterait à demander la correction de ce qu’on appelle en droit ‘’une erreur matérielle’’. Mais au-delà, il n’y a pas d’appel possible sur les décisions du Conseil constitutionnel. » Néanmoins, le constitutionnaliste invite tous les maires concernés à adresser, par courrier recommandé, leur protestation au président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, protestations qui peuvent être publiées sur le site du Conseil. « Plus important encore, je rappelle qu’à chaque élection présidentielle, le Conseil constitutionnel produit quelques mois plus tard ce qu’il appelle ses ‘’observations’’ sur le scrutin. Si plusieurs réclamations allant dans le même sens parviennent au Conseil constitutionnel, il peut tout à fait constater qu’il y a un problème et estimer qu’il conviendrait que le législateur s’en empare, afin de changer l’état du droit ».
Ce ne serait pas la première fois que les observations du Conseil constitutionnel aboutissent à un changement du droit en la matière. Cela a été le cas, par exemple, pour la publication intégrale du nom des « parrains » à l’élection présidentielle, dont la demande figurait dans les « observations » du Conseil après l’élection de 2012.
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